2 LE POIDS DE LA CONJONCTURE
§2 : LE POIDS DE
L’action économique des Etats est anéantie au profit des acteurs privés ou publics, le cas des OIG. L’Etat est censé fausser le jeu du fait des monopoles publics, situation délicate qui appelle déjà des transformations du droit public[1]. L’Etat doit se plier aux exigences des institutions qui encadrent ce secteur pour une collaboration concertée au préalable. C’est ce qui explique la collaboration des Etats de l’UE avec
Mais l’importance attachée par l’Etat au secteur économique suscite souvent des conflits soit d’intérêt, soit dans l’exécution des engagements. Par exemple la définition du contrat de concession en droit français se dilue dans un ensemble plus large du droit communautaire dont la concession est l’équivalent du marché public[2]. Ces aspects rentrent dans les contrats de partenariat public-privé.
Or les partenaires privés en l’occurrence les entreprises multinationales qui investissent dans le Sud se trouvent dans une situation identique de conflit d’intérêts débouchant sur des concurrences déloyales. Celles-ci sont occasionnées par l’impuissance de l’Etat due à une mauvaise structuration de son économie.
Ces Etats à majorité « sous-équipés » connaissent les mêmes difficultés économiques par l’absence d’une maîtrise de la nouvelle technologie, d’une législation appropriée et de capitaux. L’absence d’une législation pouvant guider l’Etat dans la conclusion de contrats avec les entreprises privés étrangères l’affaiblit davantage[3]. Cette faiblesse le met dans une situation d’infériorité[4] dans la négociation des accords sur le plan international ou national[5].
La renonciation à l’immunité de juridiction et d’exécution consacrée par la convention de Vienne[8] est aussi critiquée par la doctrine[9]. Le mauvais état de l’administration ne permet pas une prise de position pour pallier cette lacune. Déjà, le parlement est une chambre d’enregistrement des décisions du gouvernement. La proposition de loi reste la propriété des constitutionnalistes et des universitaires dès lors que les législateurs ne disposent pas des moyens techniques similaires à ceux du gouvernement.
Mais les accords commerciaux entre deux acteurs ou sujets de droit international sont régis par des clauses de droit international économique et ont pour objectif la sécurité ainsi que la stabilité des investissements. Il peut s’agir de la clause de stabilisation ou de celle du traitement de la nation la plus favorisée. Seulement les clauses contractuelles vouées à d’autres fins ne doivent pas être admises car elles sont préjudiciables à l’Etat concerné.
L’infériorité de certains Etats dans les rapports internationaux n’est plus un tabou car elle est reconnue par les Etats concernés[10], la doctrine[11] ainsi que le droit positif[12]. Elle est plus opérationnelle sur le plan économique et militaire. Les revendications par les Etats de leur souveraineté sur leurs ressources et richesses naturelles[13] viennent confirmer cette position. Elle constitue une preuve irréfragable de la différenciation des Etats. En effet, il n’y a égalité qu’en politique étant donné que chaque voix compte pour un, pour le vote des Etats lors des conférences diplomatiques ou pour les citoyens lors des élections. Mais la différenciation des situations légitime les inégalités[14] en économie.
Les Multinationales ont des pouvoirs non seulement financiers mais aussi technologiques. Ces pouvoirs limitent la souveraineté des Etats dans lesquels elles s’installent. Leurs activités dans ces Etats échappent à l’emprise de leur Etat d’origine[15]. Leur domination sur les Etats d’implantation fait penser à une nouvelle forme de colonialisme[16]. Elles affirment leur autorité sur le marché international et national où les accords sont négociés en vertu du profit avec un avantage implicite accordé librement aux Multinationales car elles sont la convoitise des autres Etats. Le défi de développement engendre beaucoup de pratiques illicites dont la responsabilité est partagée entre l’Etat et ses partenaires.
L’ONU reconnaît l’incapacité des Etats à avoir une emprise sur leurs ressources naturelles sans l’apport des capitaux et de la technologie. La rareté de ces éléments justifie la montée de l’hégémonie des entités qui les importent. Le Congo-Brazzaville, producteur de pétrole, n’a pas une maîtrise de l’industrie pétrolière. De ce fait, il ne peut discuter sur un pied d’égalité avec ses partenaires privés, opérateurs pétroliers.
Il n’a pu ni confirmer ni infirmer les niveaux de réserves avancés par l’opérateur, cocontractant, demandant aux dépens de l’Etat la révision des termes économiques et financiers de l’accord à raison de la baisse des resserves pétrolières[17] qui avaient servi de base à l’évaluation technique lors des négociations. L’Etat ne peut en soi déceler une opération de surinvestissement dès lors qu’il ne maîtrise pas la technologie.
Cette situation explique les difficultés rencontrées par l’Etat avec son principal partenaire pétrolier. En effet, il réclame à Total/Fina/Elf une enveloppe de près de 500 milliards[18] de dollars US après la découverte d’une pratique frauduleuse à laquelle s’est livré le groupe dans l’exécution de ses obligations. Ce groupe par son pouvoir financier est un agent déterminant dans le processus d’édiction des normes[19] puisque les revenus pétroliers assurent près de 80 % des ressources du budget de l’Etat.
Il a été accusé par l’opposition d’avoir apporté son soutien aux troupes angolaises[20] qui ont envahi la capitale économique du Congo-Brazzaville en faisant accoster leur navire de guerre sur ses installations de Djéno. Mais ce constat témoigne du poids qu’exercent les Multinationales dans des Etats « sous-équipés » dont les caractéristiques sont les mêmes pour tous les nouveaux Etats[21].
En définitive, l’Etat ne peut prétendre revendiquer sa souveraineté si celle-ci n’est pas menacée. Les relations entre Etats ne sont que le reflet de celles des individus fondées sur les rapports de force. Or toute personne en position de force tend toujours à en abuser en vue de maintenir cette position. Si
La politique de l’autorité unique incorporée dans la vie de l’Etat congolais diminue progressivement la puissance de l’Etat. Il s’expose à des pressions de deux ordres : internes par les rebellions ou les insurrections et externes par la corruption des Multinationales consolidant leur acquis ainsi que le changement du paysage politique international tendant à infléchir la souveraineté, situation qualifiable de miracle puisque l’Etat est justiciable[23].
Mais pour éviter d’être anéanti sur une scène internationale où la triade, l’axe Japon-Europe occidentale-Etats-Unis d’Amérique, règne en maître incontesté, l’union des Etats faibles de la même nature que le Congo-Brazzaville est la voie de prédilection pour assurer sa survie et faire entendre sa voix. D’ailleurs, l’union fait la force.
Cette situation effraie les Etats économiquement forts. Ils se ressaisissent encore de leur coté de la souveraineté pour une contre offensive dans une société des Etats membres de l’ONU dominée quantitativement par les Etats de situation identique à celle du Congo-Brazzaville. Ainsi, les Etats-Unis, dans leur volonté d’étouffer le traité de Rome portant création de laCcour pénale internationale, se sont tournés avec des propositions de toutes sortes vers ces Etats afin qu’ils ne ratifient pas ce traité.
[1] V. GALLETTI F., Transformation du droit public en Afrique francophone, Bruylant, 2004, p 437 et s. ; aussi KIRAT T. et VIDAL L., Economie et droit du contrat administratif, Documentation française., 2005.
[2] CJCE, 21 juillet 2005, affaire CONAME c/ commune di Cingia de Bolti (Italie) : dans cette affaire, le juge astreint la municipalité à respecter les critères d’appel d’offre et de transparence dans l’attribution d’un contrat utilisés dans la passation des marchés publics or, ce contrat par sa nature était un contrat de délégation de service public selon le droit public français ; v. aussi ARNOULD J., « Le projet de communication interprétative de la commission européenne sur les concessions en droit communautaire des marchés publics », in RFDA 2000, pp 24 -28.
[3] BIKOUMOU B., « L’exténuation en sourdine de la souveraineté étatique : un diagnostic des contrats d’Etat du Congo », in Penant 2004, p 172.
[4] V. BRIAL F., article op. cit., pp 78 et ss.
[5] Il s’agit des accords internationaux signés dans une localité congolaise.
[6] Cour suprême, avis n° 17/CS- 95 du 2 novembre 1995 relatif à la convention d’emprunt entre le Congo-Brazzaville et la société Qwinsy capital.
[7] Cour d’appel, Paris 17 janvier 1997, République du Congo c/ Qwinzy capital group et soc. Quizy Nomince, JDI, 1997, pp 823-836, note de COSNARD M. : le juge prononça des mesures de saisies-attributions sur les comptes bancaires de la représentation diplomatique du Congo en France tandis que pour une situation similaire
[8] Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur la protection et privilèges diplomatiques.
[9] BRETON J-M. (dir.), Le droit public congolais, Economica, 1987, p 215.
[10] Les Etats du Mouvement des Non-alignés réunis à Lusaka en 1970 reconnaissent implicitement cette inégalité par leur déclaration qui reconnaît « (…) le droit de tout Etat à l’égalité et à une participation active aux affaires internationales » ; v. aussi BRAILLARD P. et DJALILI M., Tiers-monde et relations internationales, Masson, Paris, 1984.
[11] BRIAL F., op.cit. ; CHEMILLIER -GENDREAU M., «Hégémonies et inégalités: les ambiguïtés des Nations-unies », in Les Temps modernes, vol 610, 2000, pp 227-242.
[12] Dans ce sens, v. les accords liant l’UE et les Etats ACP dont celui de Cotonou est la base à partir de laquelle chaque Etat ACP conclura un accord bilatéral ; aussi les statuts de
[13] Rés. 1803 (XVII) du 14 décembre 1962.
[14] Cf. CE Ass. 13 juillet 1962, Conseil national de l’Ordre des médecins, Rec. 479 : le principe d’égalité n’exclut pas les différences de situations ; v. aussi la répartition inégale des contributions des Etats au budget de l’ONU, www.un.org.
[15] CLAIRMONT F., « Le développement planétaire des multinationales. Ces deux cents société qui contrôlent le monde », Le Monde diplomatique, avril 1997, pp 16-17.
[16] GOLSMITH E., « Quand les firmes imposent leur loi. Une seconde jeunesse pour les comptoirs coloniaux », Le Monde diplomatique, avril 1999.
[17] L’Assemblée nationale pour ce fait a rejeté le projet de loi portant approbation de cet avenant. V. Rapport de la commission des affaires juridiques et administratives de l’assemblée nationale, Brazzaville 11 février 2003, pp 45-53.
[18] MALET S-H., « Zoom Congo-Brazza, Total/Fina/Elf sur la sellette », L’Humanité du 21 février
[19] YENGO P., «Affinités électives et délégation des compétences », in Afrique contemporaine, n°105, 200, p 109.
[20] Cf. Les propos concernant Elf au Congo-Brazzaville dans Le Monde du 27 novembre 1997.
[21] Pour les caractéristiques de ces Etats, cf. LACOSTE Y., Les pays sous-développés, (coll. « Que sais-je ? » n°853) PUF, 1979.
[22] GOUREVITCH J-P., op.cit., p 166.
[23] WEIL P. et POUYAUD D., Le Droit administratif, PUF, 1997, p. 3.