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Commentaire d'arrêt

 

TPICE, 3 novembre 2008, Union Nationale de l’apiculture française (et autres) contre Commission
Introduction
L’action en annulation, prévue par l’article 230 du traité CE, est un recours direct dirigé contre un acte communautaire et visant à en obtenir l’annulation pour illégalité. Le droit d’exercer  le recours en annulation est reconnu à des requérants dits privilégiés (les Etats et les institutions européennes) dans le sens où ils n’ont pas à démontrer d’un quelconque intérêt à agir contrairement aux particuliers. En effet, à son alinéa 4 l’article 230 dispose que les personnes physiques ou morales peuvent former un recours en annulation en faisant une distinction entre les décisions dont elles sont destinataires et celles qui ne leur sont pas destinées. Pour « les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne» une double condition cumulative est exigée ; il faut que l’acte les concerne « directement et individuellement » ; ces critères de recevabilité ont été  interprétés de façon très stricte par le juge de Luxembourg dès l’affaire Plaumann du 15 juillet 1963. Il est apparu dans la jurisprudence communautaire comme un principe d’irrecevabilité de l’action en annulation des particuliers. Ainsi, les particuliers disposent d’un droit d’action très encadré, en pratique réduit, quand il s’agit des actes dont ils ne sont pas destinataires. Souvent, le recours en annulation est adressé au juge communautaire par des personnes morales. L’ordonnance du tribunal de première instance des communautés européennes (TPICE), objet de notre analyse ne déroge pas à cette généralité.
                Le 8 novembre 2007, des syndicats d’apiculteurs européens demandaient l’annulation  de la directive 2007/52CE prise par la commission en date du 16 aout 2007, modifiant la directive 91/414/CEE du conseil de 1992 en vue d’y inscrire les substances actives éthoprophos, pyrimiphos-méthyl et fipronil. Les substances actives sont définies comme les substances ou micro-organismes y compris les virus exerçant une activité générale ou spécifique sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux. Dans le cadre du programme graduel de l’examen des produits phytopharmaceutiques prévu dans un délai de douze ans par la directive de 1992, le règlement du 28 février 2000 est intervenu en mentionnant dans son annexe I le fipronil parmi les substances visées par la deuxième phase du programme. L’inscription par la directive du 16 août 2007 des substances comme l’éthoprophos, le pyrimiphos-méthyl et le fipronil à l’annexe I de la directive de 1992 conformément aux articles 8 du règlement sus-indiqué et 19 de la directive de 1992 doit se traduire au niveau national des Etats membres par des mesures de transposition portant sur soit le retrait, soit la modification des autorisations existantes des produits phytopharmaceutiques. Pour l’admission du fipronil, en tant que substance active pour le 9 avril 2008, les Etats se doivent d’accorder une attention particulière à la protection des abeilles.
Les requérants persuadés du caractère nocif du fipronil pour les abeilles, contestent son inscription à l’annexe I et demandent l’annulation intégrale de la directive de 2007. Selon eux, la directive porterait atteinte à leurs intérêts propres en tant qu’apiculteurs, les individualisant d’une manière analogue à celle du destinataire. De plus conclure à une irrecevabilité du recours serait une méconnaissance de leur droit fondamental à une protection juridictionnelle effective. En revanche, la commission n’est pas de cet avis. Elle soulève l’exception d’irrecevabilité en ce qui concerne les 2 autres substances puisque les requérants dans les moyens développés n’évoquent que le fipronil. La commission précise qu’ils n’ont aucun intérêt à agir au sens de l’article 230 al 4. Pour elle, la recevabilité d’un recours en annulation ne saurait dépendre du respect du  droit à la protection juridictionnelle effective. La commission demande le rejet de la requête des apiculteurs.
Le TPICE va examiner la recevabilité du recours en ce qui ne concerne que l’inscription du fipronil, comme le voulait la commission, puisque pour les deux autres substances actives la requête ne contient pas l’exposé sommaire des moyens invoqués (article 44 du règlement de procédure du tribunal). La décision présente une particularité puisqu’elle concerne le recours en annulation contre une directive, acte adressé directement aux Etats et nécessitant une mesure de transposition dans l’ordre interne. Le juge va dans un premier temps dire si l’article 230 al 4 s’applique au recours formulé contre une directive en procédant à son interprétation (I) puis dans un second temps, apprécier les conditions de recevabilité du recours (II).
 
      I.            L’étendue de l’interprétation de l’article 230, al. 4 par le juge
 Cet article ne prête à aucune confusion lors de l’examen d’un recours en annulation dirigé contre un règlement. L’examen de la recevabilité, constance jurisprudentielle, se déroule en deux ou trois étapes, vérification de la nature de l’acte attaqué puis appréciation, selon un ordre habituel, des critères « individuellement » et « directement » concernés.
Dès lors que la requête sous-tend  l’annulation d’une directive, une question essentielle se pose concernant l’application aux directives du même régime que les règlements étant donné l’absence de l’expression « directive »  de la lettre de l’article 230 al 4 (A) et de ce fait, la nécessité de déterminer la nature exacte de l’acte attaqué (B).
A.   La « directive » absente dans la formulation de l’article
La lettre de l’article est la suivante : « toute personne physique ou morale peut former dans les mêmes conditions un recours … contre les décisions qui bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne la concerne directement et individuellement ». A aucun moment dans cet article, on ne voit apparaître l’expression « directive » contrairement aux expressions « règlement » et « décision ».  L’alinéa 4 de l’article 230 CE ne prévoit donc aucun recours en faveur des particuliers contre les directives ou contre les décisions qui ont été adoptées sous l’apparence d’une directive. Il est effectivement difficile de concevoir qu’un particulier puisse être individuellement et directement concerné par une directive. Instrument privilégié du rapprochement des législations, la directive tend à l’établissement de règles générales et impersonnelles par le truchement des Etats membres destinataires.
La recevabilité de l’action en annulation des personnes morales et physiques contre une directive paraît définitivement plus difficile à alléguer que dans le cadre d’un règlement. En effet, dans un recours en annulation contre un règlement, le particulier  invoque souvent  le fait qu’il subit directement les effets du règlement sans pouvoir s’en défendre puisqu’aucune mesure d’exécution n’est prévue au niveau étatique (argument évoqué dans l’affaire TPICE Jego-Querré c /commission du 3 mai 2002 point 39 et qui a été décisif pour conclure à la recevabilité du recours). Cet argument n’est plus invocable dès lors qu’il est question d’une directive, acte pour lequel la transposition dans l’ordre interne est imposée.     
Mais le juge communautaire précise, dans une jurisprudence constante notamment dans les affaires Gibraltar de 1993 et Vannieuwenhuyze de 2003, que l’absence d’allusion directe à la directive dans l’alinéa 4 ne peut suffire à la conclusion de l’irrecevabilité du recours en annulation des particuliers contre un tel acte et rappelle que le terme « décision » tel noté dans l’article doit être défini de façon technique au sens de l’article 249 CE comme un acte obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu’il désigne. Il faudra alors déterminer la nature de l’acte attaqué, s’agit-il d’une décision  ou d’un acte de nature normative? Par la détermination de la nature de l’acte, le juge se rallie à la pratique jurisprudentielle mise en place dans le cadre de la demande d’annulation des règlements.
 
B.   La détermination de la nature exacte de l’acte attaqué
            Cette détermination n’est pas une opération nouvelle puisque très tôt, en 1962, la CJCE décide pour juger de la recevabilité du recours en annulation formulé par les particuliers de déterminer la nature exacte de l’acte considéré. En effet, dans l’affaire Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes et autres c/conseil du 14 décembre 1962, des associations de producteurs avaient exigé l’annulation d’une disposition du règlement visant à créer une organisation commune du marché dans leur secteur ; pour la recevabilité de leur recours le juge de Luxembourg précisait que « la cour ne saurait se contenter de la dénomination officielle de l’acte , mais tenir compte en premier lieu de son objet et de son contenu ». Le critère de la distinction doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question. Cet arrêt fut le point de départ d’une jurisprudence abondante dans le cas des règlements puis étendue à tout acte dont le particulier n’est pas le destinataire. La détermination de la nature de l’acte est considérée par certains auteurs, à l’instar du professeur Georges VANDERSANDEN, comme une opération renforçant  le principe d’irrecevabilité du recours en annulation formulé par des particuliers contre les actes dont ils ne sont pas les destinataires ; cette manière d’agir du juge outrepasserait même le cadre de l’article 230, alinéa 4.
En l’espèce, le TPICE commence par déterminer la nature exacte de l’acte attaqué en appréciant les effets juridiques qu’il vise à produire ou produit effectivement. Il conclut qu’il s’agit d’un acte normatif car il contient des règles qui définissent de manière générale et abstraite, les conditions selon lesquelles les autorisations pour les produits contenant du fipronil sont accordées  par les Etats membres. La directive produit des effets de façon objective à l’égard des catégories de personnes envisagées et en plus elle nécessite des mesures de transposition, ajoute le juge, comme pour marquer le fait qu’il serait difficile d’alléguer la recevabilité contre un tel acte.
Cependant il ne conclut pas immédiatement à l’irrecevabilité du recours. Cette conduite nous renvoie à une certaine affaire exceptionnelle C-309/89 du 18 mai 1994, dite « Codorniu », marquant la volonté du juge communautaire d’assouplir la rigueur de la distinction entre l’acte général et l’acte individuel. A l’instar de la CJCE dans l’affaire Cordoniu, le TPICE admet qu’un acte puisse avoir simultanément une nature normative et une portée individuelle. Une telle détermination paraît ainsi désormais dépourvue d’intérêt, il faut donc passer directement à l’examen des conditions de recevabilité classiques.
   II.            L’appréciation des conditions de recevabilité du recours
            L’examen de la recevabilité du recours en annulation des particuliers à l’encontre de la directive est finalement soumis au même régime jurisprudentiel que celui d’un règlement. Le TPICE ne déroge pas aux habitudes, il affirme le cumul des critères classiques de recevabilité posés à l’article 230 al 4 et décide comme il est maintenant acquis dans la jurisprudence de vérifier dans un premier temps si les requérants sont individuellement concernés par la directive. Ce critère étant difficilement allégable, après son examen, il est conclu dans la plupart des espèces à l’irrecevabilité de la requête sans qu’il y ait besoin de vérifier le « directement concerné ».
En l’espèce, le juge n’a examiné que l’ « individuellement concerné » des associations requérantes (A). Mais il ne s’arrêtera pas là puisque depuis des années, dans l’examen de la recevabilité, le juge de Luxembourg accorde un intérêt à la protection juridictionnelle effective (B). 
A.   L’ « individuellement concerné » des associations requérantes
Le juge communautaire s’intéresse là à la nature même des auteurs du recours. Dans l’affaire Plaumann du 15 juillet 1963, complétant l’arrêt confédération nationale des producteurs de fruits et de légumes de 1962 déjà cité, la Cour a donné le ton d’une interprétation stricte des conditions exigées par l’alinéa 4. Elle y définit le critère de l’ « affectation individuelle ». Le requérant doit être atteint « en raison de certaines qualités qui (lui) sont particulières ou d’une situation de fait qui (le) caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait (l’) individualise d’une manière analogue à celle des destinataires ».
Cette définition est toujours en vogue. Mais comme la Commission l’a si bien rappelé dans l’exposé de ses arguments en faveur du rejet de la requête, lorsque les requérants sont des associations, il a été dégagé de la jurisprudence trois hypothèses dans lesquelles il est reconnu qu’elles sont individualisées par la directive (ordonnance du Tribunal du 8 septembre 2005, Lorte c/ conseil). Les trois types de situations sont : premièrement lorsqu’une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural, deuxièmement lorsque l’association représente les intérêts d’entreprises qui seraient elles-mêmes recevables à agir et, troisièmement lorsque l’association est individualisée en raison de l’affectation de ses intérêts propres en tant qu’association notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée.
En l’espèce, le juge conclu que les requérants ne peuvent se prévaloir d’aucune de ces trois hypothèses. En effet, pour la première hypothèse, le tribunal précise que la directive 91/414 ne reconnaît aucun droit procédural à des associations  professionnelles comme les requérantes et que ces dernières ne le revendiquent pas d’ailleurs ; pour la deuxième hypothèse, une carence d’arguments des requérantes en faveur de cette hypothèse puisqu’elles n’évoquent nulle part un quelconque intérêt à agir des apiculteurs qu’ils représentent ; pour la troisième hypothèse, le tribunal refuse d’alléguer le moyen par lequel les requérantes ont essayé de démontrer qu’elles sont caractérisées de façon individuelle par la directive en ce sens qu’elle porte atteinte à leurs intérêts propres du fait qu’elle reporte à une date ultérieure l’inscription du fipronil dans l’annexe et faisant par la même occasion peser sur l’auteur de la notification de la substance active la preuve de son innocuité à l’égard des abeilles.
Retenir ces trois hypothèses ne fait que réduire toute chance de recevabilité de ce recours. Mais le TPICE ne s’arrête pas là, puisqu’il va s’intéresser aussi au droit fondamental des requérantes à une protection juridique effective.
  
B.   Le droit à la protection juridictionnelle effective
  Le recours en annulation intenté par un particulier contre une directive est déclaré irrecevable par la Cour de justice aussitôt que sa portée de directive est établie. La jurisprudence a justifié cette exclusion par le fait que la protection juridictionnelle des particuliers est dûment et suffisamment assurée par les juges nationaux qui peuvent contrôler la transposition des directives dans leur droit interne. Cette jurisprudence a été critiquée à deux égards : d’une part, un juge national ne peut contrôler la validité d’une directive que si celle-ci est d’applicabilité directe or, les directives n’ont pas toujours cette propriété ; d’autre part, une directive qui n’a pas été transposée dans sa totalité ou a été transposée de manière tardive ou erronée ne peut pas faire l’objet d’un recours par les particuliers, mais seulement par la Commission ou un autre Etat membre.
                L’illustre affaire Jégo-Querré du 3 mai 2002 fut accueillie par cette critique comme un début d’une libéralisation du droit d’action des particuliers pour la remise en cause de la légalité des actes communautaires mais l’euphorie ne va pas durer longtemps ; la fenêtre ouverte va être, aussitôt le 25 juillet, refermée par la CJCE. En effet, dans cette affaire le Tribunal avait pris le contre-pied de la position jurisprudentielle adoptée jusque là. Suivant la solution préconisée par l’avocat général Jacobs, il déclare recevable le recours intenté par une société d’armement à la pêche contre un règlement de la commission qui imposait un maillage minimal aux filets utilisés pour la capture de certaines espèces. Son raisonnement étant le suivant : le droit de recours effectif permettant aux justiciables « de contester la légalité de dispositions communautaires de portée générale qui affectent directement leur situation juridique » n’est pas garanti par le système communautaire actuel, alors qu’il est reconnu par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le TPICE adopta en conséquence une nouvelle définition ; « une personne physique ou morale doit être considéré comme individuellement concernée par une disposition communautaire de portée générale qui la concerne directement si la disposition en question affecte, d’une manière certaine et actuelle, sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations ». La nouvelle position affichée sera très vite censurée par la CJCE, dans l’arrêt Union de pequenos agricultores du 25 juillet 2002, rappelant qu’elle n’est dotée que d’une compétence d’attribution et qu’il ne lui appartient pas de réécrire les traités.
Il n’en demeure pas moins que Jégo-Querré a apporté un renouveau puisque désormais le droit des requérants à une protection juridique effective sera prise en compte dans l’examen de la recevabilité de l’action en annulation menée par les particuliers contres les actes communautaires dont ils ne sont pas les destinataires. En l’espèce, c’est ce que fait le TPICE. Il ne commet aucun écart, fidèle élève de la CJCE, il se contente de rappeler qu’il existe dans l’ordre juridique communautaire d’autres voies de recours (renvoi préjudiciel, l’exception d’illégalité) permettant à ces associations d’apiculteurs de faire valoir l’invalidité des actes et de préciser qu’il incombe aux Etats membres de prévoir un système complet de voies de recours et de procédures pour assurer la garantie de ce droit au recours effectif. Le juge de Luxembourg, comme il est de coutume dans la jurisprudence, conclu à l’irrecevabilité du recours de ces syndicats.  
L’élargissement effectif du droit des particuliers d’agir en annulation contre des actes autres que les décisions qui leur sont adressées, n’interviendra que si tous les Etats membres se décident à ratifier le traité de Lisbonne, un élargissement qui ne sera pas sans son lot d’effets.
Source : MA
 
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