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CHAPITRE II

      La République du Congo est en voie de conjuguer ses efforts avec d’autres Etats qui ont des ambitions similaires aux siennes. Depuis la disparition du bloc socialiste[1], beaucoup de mouvements[2] ont perdu leur force. La teneur et la vivacité de ceux-ci prenaient une tournure dégressive du jour au lendemain dès la décennie 1980. La globalisation dont les cycles de Tokyo et d’Uruguay[3] étaient un vecteur d’ouverture des marchés a pris une autre posture à l’heure de la « gouvernance » d’Internet. Les Etats sont de plus en plus rapprochés dans une société dans laquelle le pouvoir de l’information prend son ascension sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

      Les notions comme « les frontières » sont devenues des notions sur lesquelles s’appuie la mondialisation. Est-ce pour dire qu’on est dans un « Etat universel » à l’instar de la conception kantienne ? Les hommes sont toujours identiques quelle que soit leur origine[4] ou couleur. Les gouvernements acceptent pour le bien-être de leurs gouvernés de libérer leurs frontières à des flux de biens et de personnes en provenance d’autres territoires. Cette perspective ouvre la voie à une nouvelle solidarité pour concurrencer les Etats en détention du monopôle économique et politique.

      Cette concurrence prend pour point de repère le système américain soit en admettant l’organisation d’un tel système, soit en la récusant. Les Etats fournissent des efforts dans ce sens ainsi que d’autres acteurs et sujets de droit international qui voient les méfaits d’une organisation de la société internationale fondée sur la puissance d’une seule entité. Cette puissance n’est pas contestée[5] de la même manière par tous les Etats  de la société internationale car elle est une potestas de facto.

      Certains Etats forment des groupes d’entités régionales pour faire face à la nouvelle donne de la politique internationale de peur d’être anéantis par ce grand géant qui en compagnie de ses satellites s’affirmerait peu à peu comme l’autorité sans l’assentiment duquel aucun droit n’est possible sur la scène internationale[6].

      Tout ceci se ramène à deux interrogations : primo, nous pouvons nous demander quelles sont les stratégies à mettre en œuvre pour un Etat comme le Congo-Brazzaville afin de participer de facto comme de jure sur une scène internationale davantage mondialisée. Et secundo, une autre question porte sur la valeur du mimétisme normatif hérité de la métropole ainsi que son impact sur une toile où chacun aimerait apporter son file. Pour répondre à ces interrogations, il serait mieux d’analyser successivement la problématique de la survie du Congo-Brazzaville (section I) puis le modèle étatique dominant dont l’apogée témoigne son adaptabilité adéquate aux enjeux majeurs d’aujourd’hui (section II).

 

SECTION I : LA SOUVERAINETE DANS LA SURVIE DE L’ETAT

 

      Les menaces sur la souveraineté prennent leur source dans la faiblesse de l’Etat qui n’arrive pas à s’adapter à la nouvelle donne à cause d’une mauvaise orientation des acteurs politiques. Ces derniers ne s’intéressent qu’à résoudre les difficultés d’aujourd’hui, c'est-à-dire en militant pour les projets de l’immédiateté. Ces projets qualifiés de « projets à court terme » ne pallient pas les difficultés car il faut les exécuter du jour au lendemain et surtout la politique de la nouvelle caste se contente du ventre. Mais la primauté du droit international sur le Congo-Brazzaville pose un fondement (§1). En partant de ce postulat, il en résultera des observations (§2).

 

§1 : LE FONDEMENT DE LA  SURVIE  DE L’ETAT

 

      L’Etat est considéré comme un ensemble constitué d’un groupe humain assis sur une aire géographique déterminée et ayant une autorité centrale, ce qui est qualifié de monopole de la « contrainte légitime[7] ». Ce faisant, il a l’obligation d’harmoniser les rapports entre ses trois composantes ainsi que celles des autres Etats qui partagent la même histoire que lui. Les gouvernants se voient ouverts vers l’extérieur pour bénéficier de la légitimité en vue de mener une action pour le développement. Il y a donc un infléchissement dans la conception de la souveraineté[8] au Congo-Brazzaville entre la période du « socialisme-scientifique » et celle d’après la conférence nationale souveraine.

     A/ - L’harmonisation horizontale et verticale des rapports

      C’est en toute souveraineté que le Congo-Brazzaville organise minutieusement les rapports de ses composantes. On assiste prima facies à une volonté des gouvernants consistant à pratiquer une politique de « municipalisation accélérée » dans le cadre de l’aménagement du territoire[9] en vue de réduire les écarts de niveau de vie entre les deux principales villes et le reste de l’Etat. Déjà, la répartition inégale de la population sur l’étendue du territoire national impose de nouvelles orientations pour permettre au gouvernant de bien assurer la sécurité des biens et des personnes dans une République affaiblie par des conflits et dont les armes sont illégalement détenus par presque toutes les couches sociales. Par exemple, le vol à main armé couramment appelé « braquage » est le vol le plus répandu à Brazzaville depuis la fin des hostilités de juin-octobre 1997.

      Ensuite apparaît d’un côté le problème identitaire. Les différents groupes linguistiques ont développé des liens affectifs avec les lieux plus restreints que le territoire, ceux concernant les traces du passé sont relégués au second plan. Cette attitude s’explique par le fait qu’il n’y a pas des lieux de mémoire que sont les monuments et toutes les formes d’expression architecturale ou artistique liée à une culture. Par ailleurs, ces lieux, s’ils existaient, peuvent susciter de nombreux problèmes dès lors que les groupes ethniques résidants ne sont pas ceux qui s’identifieraient à cet héritage à l’instar de la dispute israélo-palestinienne sur la ville de Jérusalem ou celle des Albanais et Serbes au Kosovo.

      Toute l’histoire du Congo-Brazzaville, d’un autre côté, se construit autour des personnages, devenus  des héros, qui par leur sagesse et leur bravoure ont marqué les consciences populaires. Les marxistes-léninistes regrettent leur doctrine d’usurpation de l’histoire d’un peuple qui se fondait sur le changement du point de départ de l’histoire nationale sur tous les plans. Cette lamentation conduit à une reprise de conscience pour redéfinir mais surtout encadrer tous ces personnages qui ont joué un rôle primordial dans le processus d’édification d’une nation congolaise.

      Si l’Etat en Occident est le fruit d’un cheminement de plusieurs siècles dans lequel la nation précède l’Etat, le Congo-Brazzaville est dans une logique contraire[10]. En effet, il n’y a toujours pas une nation derrière chaque Etat et une nation peut exister sans un Etat à l’instar de la Palestine. Le processus de construction de l’Etat congolais est sans exception celui suivi par tous les Etats extra-européens. Ce faisant, le  Congo-Brazzaville fut d’abord une société d’économie[11], celle-ci proche de celle instituée en Amérique du nord, avant de devenir une société politique. Cette société d’économie est longtemps restée sous la direction des exploitants miniers et agricoles. Mais ces derniers exerçaient un pouvoir stricto sensu féodal, une force utilisée à l’encontre des autres qu’ils traitaient en esclavage. Un pouvoir pareil n’a pas pour fin la construction d’un ordre stable sur un vaste territoire.

      Cette force a permis aux concessionnaires d’exploiter par le biais du travail forcé les ressources. Tout le monde a pris conscience des conséquences que cela a provoquées sur les populations dans tous les départements. Les politiques  ignorent que le  pouvoir ne peut voir le jour que si les hommes se réunissent en vue de l’action et il disparaît quand, pour une raison ou pour une autre, ils disparaissent et s’abandonnent les uns et les autres (…).  Quand des hommes réussissent à conserver intact le pouvoir jailli entre eux au cours d’une action particulière quelconque, c’est qu’est déjà engagé le processus de fondation par lequel ils constituent un édifice stable[12]. Dans cet ordre d’idées, ils devraient prôner la cohésion sociale car le pouce ne lave jamais le visage[13].

      Le tribalisme caché fait que chaque gouvernement est composé en fonction des clivages ethniques[14]. C’est une représentation géo-ethnique qui est pratiquée lors de la répartition des portefeuilles ministériels afin d’intéresser toutes les sensibilités à l’action gouvernementale. Tous les efforts menés par l’élite sur cette question finissent par se révéler inefficaces du moment qu’ils ne s’intéressent pas à prendre le mal à sa racine. Pourquoi tout citoyen aspirant à une fonction représentative tend-il toujours à s’appuyer sur sa terre d’origine ?

      Cette question constatée au Congo-Brazzaville a aussi une valeur pour beaucoup d’autres Etats comme la France. Est-ce pour autant dire que le tribalisme a une origine politique ? La réponse à cette question ne peut être que positive car ce concept né de la tradition romaine renvoie à une certaine organisation administrative de l’empire. Mais ce qu’il faut bannir ce sont les abus de la manipulation humaine assise sur les tribus[15].

      L’autorité centrale combat toujours toutes les formes de coutumes qui constituent en soi une source de tribalisme ou de haine à cause d’une opposition acharnée entre clans. Une loi pénale de 1962 réprime par exemple la coutume téké qui consiste à balafrer toute leur progéniture. En effet, la présence des balafres sur le visage d’un Congolais est à l’origine de la rupture du principe d’égalité entre citoyens. Personne ne peut ignorer l’appartenance ethnique d’un tel citoyen balafré puisque la langue n’est plus un critère déterminant pour justifier l’appartenance ethnique d’un individu dans l’Etat. Déjà, certaines langues ont dépassé leurs limites géographiques[16].

      Les mariages inter-claniques sont encouragés et le code de la famille congolais[17] n’autorise l’opposition des parents au mariage de leurs enfants que pour des motifs légitimes reconnus par le procureur de la République. En plus, une loi de 2005 proscrit tout parti politique fondé sur des considérations ethniques. Mais le retard enregistré pour la consécration et la promotion pratique des droits individuels et collectifs constitue le principal handicap afin d’atteindre les résultats souhaités.

      Enfin, face à une caste au pouvoir qui ne satisfait pas les attentes des gouvernés, les populations constatent les dommages d’une mauvaise gouvernance. Cette attitude consolide davantage les liens de solidarité entre les différentes catégories et composantes ethniques. Elle procure plus de compassion à l’égard des populations de la même entité linguistique que le gouvernant incarnant l’autorité de l’Etat. C’est à tort que certains croient que toutes les personnes appartenant à l’ethnie de ce gouvernant tirent profit du gaspillage des deniers publics. Tout le monde réalise que les gouvernants constituent une autre forme d’ethnie qu’il faut bannir. Il naît donc une autre forme de tribalisme entre l’ethnie-gouverné et l’ethnie-gouvernant.

      Par ailleurs, les faiblesses d’une jeune République poussent l’Etat à consentir à de nombreux transferts de souveraineté sur des matières qu’il n’arriverait jamais à gérer seul. Ces transferts sont à l’origine d’une harmonisation verticale des rapports parce que ce ne sont  plus ses sujets qui sont la cible de telles mesures nouvelles mais ceux des Etats de la sous-région.

      Le transfert de compétence à une institution supranationale ne tue pas la souveraineté mais au contraire renforce celle-ci en vue de résister à d’éventuelles immixtions de diverses natures dans les affaires intérieures de l’Etat. Si l’Etat consentit à une intervention extérieure dans sa sphère d’action, ce n’est pas de l’ingérence sinon de la coopération. Celle-ci est animée par des raisons qui justifient des transferts de souveraineté à l’instar de la réalisation de l’unité politique dans l’Union européenne[18].

      Les faiblesses d’un Etat en construction suscitent la politique d’institution des unions politico-économiques. En effet, Le Congo-Brazzaville a connu les bienfaits de cette politique à l’époque de l’AEF pendant laquelle il était associé à la CEE[19]. Cette politique a persisté jusqu’alors. Elle favorise la coopération dans la sous-région entre les Etats voisins constitués par des peuples parlant à majorité les mêmes langues. Cela a conduit à de nombreux accords bilatéraux et plurilatéraux entres eux. Par exemple les deux Congo, le Congo-Brazzaville et la RDC, disposent d’une police commune chargée d’assurer la sécurité entre les deux rives du fleuve Congo. Ils ont aussi consacré une libre circulation des personnes entre les deux capitales politiques : Brazzaville et Kinshasa.

      La panoplie de ces instruments d’harmonisation des relations sous-régionales souffre d’une absence d’effectivité due à la non-réalisation des mesures d’accompagnement. Les textes sans support permettant leur application sont de simples meubles d’ornement. C’est ainsi que la liberté d’aller et venir des personnes ainsi que des marchandises reconnues aux ressortissants de la CEMAC dans le territoire des Etats membres est un rêve. Elle est toujours ignorée par tous car certains Etats membres exigent aux ressortissants des autres Etats un visa pour entrer dans leur territoire.

       L’absence d’infrastructures rend davantage illusoire l’expression de cette liberté d’aller et venir. D’ailleurs, les voies de communication constituent la majeure difficulté  pour les citoyens des différents Etats membres de jouir de cette liberté. Seules les Brazzavillois et les Kinois jouissent d’une telle liberté car les citadins de ces deux villes par l’augmentation du trafic traversent le fleuve sans contrainte consulaire.

      Il est vrai que les relations entre ces Etats que sont le Congo-Brazzaville, le Gabon, le Tchad, la Centrafrique, le Cameroun…visent à renforcer la sécurité des régimes en place. Elles relèguent les populations au second rang. Les gouvernants se contentent d’harmoniser davantage le traitement dont bénéficient les groupes des Multinationales opérant dans la région puisque les agents de ces groupes ont le droit de circuler librement dans cet espace.

      Déjà l’exploitation pétrolière rapproche plus le Congo-Brazzaville, le Gabon et l’Angola étant donné que cette activité menée en ZEE se trouve concentrée dans des zones inter-frontalières non seulement qui échappent au contrôle des Etats mais également où les agents des filiales des Multinationales installées dans les Etats concernés peuvent travailler sur une même plate-forme.

      La méfiance de certains gouvernants vis-vis de ceux relevant des Etats en instabilité corrobore leur volonté de durcissement des conditions de séjours dans leur Etat. Pour ce fait, le Congo marxiste ne saurait admettre l’interpénétration des peuples dont les gouvernants sont des marginaux de l’impérialisme. Cela est illustré par sa volonté et son soutien accordés au MPLA pro-marxiste dans le processus de l’indépendance de l’Angola. De même, le Congo-Brazzaville et le Bénin ont conclu un accord  d’établissement[20] que l’Etat n’a pas encore conclu avec un autre Etat de la sous-région ni même pour les ressortissants des autres Etats membres de la CEMAC. Aussi la politique d’intégration des Etats de l’ancienne AEF diffère-t-elle de celle de l’AOF.

      Le développement des voies de communication et la suppression des frontières dans la CEDEAO permettent la libre circulation des personnes et des biens. En effet, il y a des routes bitumées liant les grandes villes des Etats membres. Déjà, les commerçants congolais vont à Accra et à Lomé via Cotonou par camion ; ce trajet n’est pas possible dans la CEMAC. Les populations de cet espace sont plus dépendantes les unes des autres pour des raisons historiques et géographiques. On peut citer la crise ivoirienne par exemple dès lors qu’elle a eu des impacts sur les populations des Etats voisins comme le Burkina Faso.

      Nous nous rendons finalement compte que la politique de l’harmonisation des relations entre gouvernants se dilue dans une politique d’estime pour bénéficier du soutien des autres Etats membres de l’ONU. Elle est un objet de mesure pour bénéficier de la confiance de cette communauté des Etats en prônant même une coopération judiciaire pour une démocratisation durable ainsi que la pérennisation de la justice. La justice ne serait pas juste si elle restait l’apanage d’une seule entité.

B/ - La légitimité démocratique

      Le processus de démocratisation lancé après la conférence nationale au Congo-Brazzaville souffre encore de ses mauvais fondements[21]. Cette démocratisation revêt une forme différente de celle adoptée par le Gabon ou le Bénin pendant la période transitoire de 1991-1992. Il faut admettre que le concept de « démocratie » est présent dans le langage politique congolais. Il concerne également d’autres Etats soit d’obédience socialiste comme les ex-Républiques dites « démocraties populaires » de l’Europe orientale et centrale, soit d’obédience  « monopartiste »  comme au Gabon ou bien dans l’ex-Zaïre.

      En revanche, cette démocratie populaire ne connaissait pas la contradiction d’idées. Elle consacrait une religion d’Etat qui était l’idéologie marxiste. Les instructeurs étaient répartis sur l’étendue du territoire national pour instruire les jeunes pionniers afin de pérenniser les valeurs du « socialisme-scientifique ». Cela avait pour conséquence des élections présidentielles à candidat unique et législatives à liste unique qui, en réalité, furent des consultations de renouvellement de confiance. Le chef d’Etat en sa qualité du président du parti n’était pas susceptible d’être élu en dehors du parti.

      C’est le parti qui dirige l’Etat. Par exemple, le parti unique zaïrois faisait une propagande inlassable sur les mérites d’être dirigé par un seul parti et avoir un seul président. Il en ressort que  toute personne n’a qu’une mère et est soumise à l’autorité d’un seul Dieu Créateur tout le long de sa vie. Il y avait aussi des situations spécifiques dans l’ordonnancement des normes. Par exemple, la charte du parti avait une valeur supra-constitutionnelle[22]. Ainsi, lors des consultations populaires, il y avait un seul bulletin : c’était le bulletin rouge pour le Congo ou vert pour l’ex-Zaïre.

      Mais les choses ont changé aujourd’hui. La démocratie plurielle fondée sur un multipartisme est la règle d’or dans les relations internationales. Ce mouvement en faveur de la démocratie s’accompagne d’initiatives normatives qui incitent à évoquer la naissance d’un principe de légitimité qui impliquerait au terme de son progrès que seuls soient légitimes, au regard du droit international public, les régimes de démocratie libérale[23]. Ceux-ci sont fondés sur le respect des droits de l’homme et sur des processus électoraux libres et transparents. Dans cet ordre d’idées, les Etats du Sud qui critiquaient l’injustice[24] dans ces relations subissent les mêmes critiques de la part des Etats du Nord. Ces derniers ont incorporé dans leur politique d’aide au développement la protection des droits de l’homme qu’avaient défendue les Etats du Sud[25] au sein de l’Assemblée générale de l’ONU.

      Les Etats Membres de l’Union européenne ont affirmé une telle volonté[26] dans le cadre de leur nouvel instrument encadrant les échanges UE / ACP. Comme l’avait déclaré le professeur Pinheiro devant l’assemblée paritaire ACP-CE réunis à Luxembourg en 1997 : je dirais que Lomé IV, tel un grand navire, poursuit un parcours en vue duquel elle a été conçue (…), tandis que l’on s’apprête à mettre en service une nouvelle alimentation en énergie et de nouveaux instruments de pilotage (…). Cette nouvelle alimentation concerne la prise en compte d’une dimension politique[27] dans le cadre de l’accord du 23 juin 2000 conclu au Bénin entre ces différents sujets. Mais ce fait révèle une conséquence de la prise en compte des libertés et droits fondamentaux dans le cadre institutionnel du Marché commun européen qui n’avait pas incorporé cet aspect dès sa formation.

      La dimension politique concerne les modalités d’alternance au pouvoir, le multipartisme, la bonne gouvernance, le respect des droits de l’homme, etc. Cette perspective est celle de l’Europe occidentale qui avait accordé une place au principe de légitimité démocratique au sein de la CSCE. Le CE exige la démocratie au lendemain de la seconde guerre mondiale[28] et le premier Protocole additionnel à CESDH adopté en 1952 recommande aux Etats parties d’organiser des élections libres et périodiques. Il en résulte que la communauté des Etats dans son ensemble est favorable à la consécration des droits et libertés fondamentaux dans tous les Etats[29] ; le renforcement et l’extension de la démocratie sont affirmés.

      Les bases du droit international ne sont pas remises en cause par ces faits. Il y a le respect du consentement des Etats qui ont souverainement admis ce virement dans leurs rapports avec l’UE. Par conséquent, la démocratisation prime la souveraineté de l’Etat[30] dans leurs relations réciproques. Ne pas admettre la démocratie est le revers même de la souveraineté.

      Les élections ont été longtemps laissées dans l’indifférence par un droit international[31] victime de la guerre froide, qu’elles aient eu lieu ou non, qu’elles aient été ajournées ou non, authentiques ou libres, qu’elles aient été frauduleuses ou viciées. D’ailleurs, le Congo-Brazzaville ne saurait admettre une surveillance de ses élections dans son passé. Une telle vision s’est modelée sur les avancées du temps : désormais, les élections se déroulent en présence des observateurs internationaux.

      Le principe des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes est, en effet, incontestablement étranger à la question de savoir si l’exercice de ce droit à l’autodétermination doit conduire à un Etat démocratique[32]. Mais la volonté de doter un Etat des institutions démocratiques est admise aujourd’hui et les Etats s’y conforment comme si cela était du droit. Cette pratique pourrait faire apparaître une coutume dans le droit international public. Par exemple, tous les Etats qui ont reconnu le gouvernement de Brazzaville en octobre 1997 réclamaient le rétablissement des élections démocratiques.

      Il sied de remarquer que l’organisation des élections est aujourd’hui l’instrument de mesure de la démocratie. Chaque fois que l’on parle des élections, on parle de l’état défectueux ou non de la démocratie dans un Etat à l’instar des erreurs survenues dans les élections présidentielles des Etats-Unis en octobre 2000. Tout le monde a parlé des faiblesses de la démocratie américaine. Cela vaut aussi pour les élections nigérianes d’avril 2007 qui se sont déroulées dans la violence.

      Or la démocratie devrait se mesurer à partir d’un fuseau d’indices qui tourne autour des droits de l’homme car être dirigé par une autorité choisie n’est que l’expression d’une des libertés reconnues à tout citoyen, membre d’une société organisée. Ainsi, on pourra facilement dénicher les « démocratures[33] » dans les Etats comme le Congo-Brazzaville ou ailleurs.

      Le constitutionnalisme de promotion des droits et libertés fondamentaux à l’occidentale déferle sur la scène internationale avec une force sans précédent. Tous les Etats adoptent des constitutions avec des principes d’économie libérale, c‘est à dire qu’ils insèrent des normes du marché reconnues par tous. Chaque entité étatique se dote des constitutions par voie référendaire. Elles s’étalent sur un modèle présidentiel implicite ou explicite : ceci  concerne les Etats africains francophones. Il y a une évidence. En se dotant des règles occidentales d’organisation des prérogatives publiques, l’Etat est vite admis par les grands clubs financiers. Il devient un partenaire transparent et privilégié car les relations internationales sont aujourd’hui animées par des expressions comme « conditionnalités » et « ajustement structurel ». 

      Cela étant, la démocratisation ne peut se construire à petit feu comme en Occident mais elle doit être accélérée. Par conséquent, elle devient un bien universel pour tous. Aucun Etat ne peut s’en démarquer. Mais de telles pratiques finissent par engendrer plusieurs difficultés[34] dans l’intériorisation des valeurs importées et mal adaptées ou différentes des valeurs africaines.

      La démocratie congolaise hésite encore et elle est lion de s’affirmer. Les constitutions successives du Congo populaire reconnaissent que la République populaire est un Etat démocratique[35] et travailleur. Elle a pour devise : travail- démocratie- paix. Cette perspective d’une démocratie verbale reste toujours la règle d’or de nos jours. En effet, les deux dirigeants les plus populaires sur la scène politique ont scellé un accord pour une majorité présidentielle au cours des élections législatives de cette grande saison sèche (cet été) 2007. Ce sera le PCT et le MCDDI qui gouverneront ensemble ; la coalition URD- FDU est ressuscitée après neuf ans d’exil du président fondateur du MCDDI. Cette situation rappelle les accords de 1963 conclus par les  différents états-majors des trois partis politiques[36] les plus représentatifs, source des « trois glorieuses » du 12 au 14 août 1963.

      Mais tant que les intellectuels des territoires décolonisés qui ont importé la démocratie n’arriveront pas à concilier la pratique culturelle de l’exercice du pouvoir et les principes démocratiques exogènes, il n’y aura pas de progrès politique, social et économique. Les valeurs occidentales ne sont pas les valeurs orientales. Une telle différence impose une prise de conscience de masse tout en privilégiant les valeurs endogènes[37]. Déjà, la culture de la palabre[38] sur laquelle se fonde la juridiction traditionnelle africaine est l’exemple type à ne pas ignorer dans les potentialités des mœurs de ces territoires. La médiation judiciaire consacrée en France fonctionne de la même façon que la palabre puisque le but est de concilier les parties, de parvenir à une solution à l’amiable.

      D’ailleurs, les gouvernants congolais comme leurs homologues africains restructurent leur Etat pour plaire et donc, avoir de l’estime à l’extérieur. Tout cela mérite quelques observations en vue de bien appréhender la situation justifiant de telles bases chères aux Etats au XXIe siècle.



[1] On a assisté après la chute du mur de Berlin en novembre 1989 à la dislocation de l’URSS en 1991.

[2] C’est le cas du mouvement  des pays non-alignés.

[3] Les cycles de Tokyo d’Uruguay ont affiché des objectifs très ambitieux pour le renforcement du GATT qui sera remplacé par l’OMC après les accords de Marrakech.

[4] BODIN J., La République II, Fayard, 1986.

[5] Débat opposant les Etats-Unis au reste du monde sur la question de la gestion de l’Internet au sommet de Tunis de 2005 dont le principal sujet porte sur le « gouvernement » d’Internet.

[6] Depuis les attentats du 11 septembre 2001, on assiste à un unilatéralisme américain sur l’échelle mondiale comparable à leur doctrine Monroe appliquée dans le continent américain.

 

[7] BRAUD PH., Sociologie politique, LGDJ, 2006, p 129.

[8] Cet infléchissement est relatif puisqu’il n’est qu’une transposition de la confiance autrefois accordée à Moscou et à Pékin. Le Congo-Brazzaville fut l’un des rares Etats non-alignés qui se proclama République populaire.

[9] La Semaine africaine du 15 mars 2003, p 6.

[10] Pour bien appréhender cette question de construction de l’Etat en Afrique au lendemain des indépendances, cf. BADIE B., Le monde sans souveraineté, Fayard, 1999 ; SINDJOUN L., L’Etat ailleurs, déjà cité et KAMTO M., Pouvoir et droit Afrique noire, déjà cité ; GONIDEC P-F., L’Etat africain, LGDJ, 1985.

[11] PICQ J., Histoire et droit des Etats, sciences po, 2005, p 256.

[12] ARENDT H., Essai sur la Révolution, Gallimard, 1985, pp 287-288.

[13]Traduction d’un proverbe Kongo en Lingala : « mosapi moko esokola elongi te », c’est à dire l’union fait la force.

[14]  V. LISSOUBA P., op.cit. ; LOPEZ H., op.cit.

[15] PHILIPPE F., « Ethnies et partis : le cas du Congo », Afrique contemporaine, juin 1997, pp 5 et s.

[16]  Lors de la tenue d’une conférence débat au siège de l’association Niosi après la célébration en 2005 de la journée mondiale de la langue maternelle organisée dans les locaux de la représentation de l’UNESCO à Brazzaville, les participants se sont accordés sur les statistiques du laboratoire de recherche linguistique de Niosi à propos de la langue Lâdi qui aujourd’hui remplit les critères objectifs pour être reconnue comme une langue nationale dès lors que près de 65% des personnes qui parlent cette langue ne sont pas des ba- Lâdi. Cette langue est le dialecte originaire du district de Kinkala, cf. Malonga J., La Légende de Mfumu Mâ-zono, Présence africaine, 1959.

[17] Loi n° 73/84 du 17 octobre 1984 institue un code de la famille.

[18] CHALTIEL F., op.cit., p 133 et ss.

[19] En vertu de l’art. 227 (§3) du traité de Rome de 1957 tous  les pays et territoires dont la liste figure à l’annexe IV du présent traité font l’objet du régime spécial d’association défini dans la quatrième partie de ce traité. Cette liste concerne les territoires coloniaux des Etats parties notamment l’AEF, l’AOF, Saint-Pierre et Miquelon, la Somalie italienne, la côte française des Somalies, Togo et Madagascar et dépendances.

[20]  Cet accord bilatéral date des années 1970 lorsque les deux gouvernements étaient marxistes-léninistes et il dispense les ressortissants des deux Etats d’un visa.

 

[21] NTSAKALA R., Les conférences nationales de démocratisation en Afrique francophone, Poitiers, 2001, pp 102 et s.

[22] La charte du MNR était supérieure à la constitution de décembre 1964 qui inaugurait l’ère du socialisme congolais.

[23] THIERRY H., « L’Etat et l’organisation de la société internationale », in colloque de Nancy, op.cit., p 196.

[24] BRAILLARD PH. et DJALILI M., op.cit., p 201.

[25] VIRRALY M., « Droit international et décolonisation devant les Nations-Unies », in AFDI 1963, pp 508 et ss.

[26]  C’est la CSCE, consacrée par la charte de Paris pour une nouvelle Europe du 21 novembre 1990, qui associe étroitement « Etat de droit, démocratie et droits de l’homme » en soulignant que la démocratie est devenue le seul mode de gouvernement légitime dans l’espace CSCE et que cette volonté européenne s’affirme dans les relations des Etats d’Afrique et d’Europe de l’Union. Celle-ci associe des principes de gouvernement dans la coopération.

[27] Titre II de l’accord de Cotonou, art. 8 et s.

[28] Art. 2, statut du CE :  tout membre du CE reconnaît le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales  et le Comité des ministres veille au caractère démocratique des Etats qui déposent leur candidature pour devenir membre du CE en vertu de l’art. 3 du même statut.

[29] BATAILLER- DEMICHEL F., « Droits des l’homme et droits des peuples dans l’ordre international », in Mélanges offerts à C. CHAUMONT, Pédone, 1984 ; V. aussi : FEUER G., « Le nouveau paradigme pour les relations entre l’Union européenne et les Etats ACP », in RGDIP 2002, pp 278 et ss.

[30] KOKOROKO D., « Souveraineté étatique et principe de légitimité démocratique », in RRJ 2004-4, p 2550.

[31] GROS -ESPIELL H., « Liberté et observation internationales des élections », in colloque de Laguna, Bruylant, 1994, p 79.

[32] D’ASPREMONT J., « La création internationale d’Etats démocratiques », in RGDIP 2005, p 898.

[33] Expression utilisée par KOKOROKO D. qui n’est qu’une caricature démocratique en trompe l’œil, op.cit., p 2558.

[34]  LE ROY E., « Gouverner la néo-modernité africaine ? », in Cahiers d’anthropologie du droit, 2005, p 183.

[35] Constitutions congolaises depuis celle de décembre 1969 jusqu’à celle de juillet 1979, titre I.

[36] Il s’agit de l’accord conclu en avril entre l’UDDIA, le MSA et le PPC pour fonder le parti unique afin d’éradiquer le « partisanisme » ethnocentriste, cause lointaine du déclin du régime de l’abbé FULBERT YOULOU au bénéfice d’ALPHONSE MASSAMBA -DEBAT, père du socialisme au Congo-Brazzaville.

[37]  LE ROY E., op.cit., p 194.

[38] NTSAKALA R., op.cit., pp 115.

 
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