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Les armes

Original anglais, « The meaning of Moscow: «Non-lethal» weapons and international law in the early 21st century »,

International Review of the Red Cross,

Vol. 87, No. 859, September 2005, pp. 525-552.

Le sens des événements de

Moscou : les armes «non

létales» et le droit

international à l’orée du

XXI

e siècle

David P. Fidler

Professeur de droit, titulaire de la bourse

de recherche Harry T. Ice, Faculté de droit

de l’Université de l’Indiana, Bloomington,

États-Unis.

Résumé

Le débat sur les armes dites «non létales» se situe au point de contact entre les nouvelles

technologies de l’armement et le droit international humanitaire; ces armes suscitent un

intérêt tout particulier. Cet article analyse la relation entre les armes «non létales» et le

droit international au début du XXI

emblématique survenu à ce jour dans la brève histoire du débat sur ce type d’arme, à

savoir l’emploi d’un produit chimique incapacitant pour mettre un terme à l’attaque

terroriste lancée dans un théâtre de Moscou en octobre 2002. Cet événement tragique a

montré que l’évolution rapide des techniques va continuer de mettre à l’épreuve le droit

international relatif à la mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus

chargée politiquement, plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que

l’application du droit international humanitaire par le passé.

e siècle, en se fondant sur l’événement le plus

*****

Comprendre les événements de Moscou

Depuis une dizaine d’années, le rapport entre les technologies des armes nouvelles et le

droit international humanitaire suscite un débat particulièrement intéressant : celui qui

porte sur les armes dites «non létales». Les aspects techniques, militaires, politiques,

juridiques et éthiques de ces armes ont suscité beaucoup d’attention et de vives

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

2

e siècle

controverses

qu’il s’agit d’autre chose que d’un simple engouement passager au lendemain de la

guerre froide. Il est donc légitime, dans la réflexion sur la manière dont le droit a traité

l’apparition de technologies qui diffèrent, si l’on en croit leurs partisans, de celles des

armes «létales», de s’arrêter sur la place des armes «non létales» dans le droit

international humanitaire, et plus généralement en droit international. Le présent article

analyse la relation entre les armes «non létales» et le droit international au début du

XXI

emblématique survenu à ce jour dans la courte histoire du débat sur ces armes : l’emploi

d’un agent chimique incapacitant pour mettre un terme à une attaque terroriste contre un

théâtre de Moscou en octobre 2002.

L’apparition de nouvelles technologies d’armement est souvent le fruit d’un

moment historique où leur emploi concrétise soudain des questions politiques, juridiques

et morales qui restaient jusque-là abstraites. Le déploiement d’armes chimiques sur les

champs de bataille de la Première Guerre mondiale est encore pour beaucoup dans la

manière dont ces armes sont perçues dans l’opinion. De la même manière, la perception

des armes biologiques est marquée par les horreurs des expériences japonaises réalisées

en la matière en Chine, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les explosions

atomiques qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki en août 1945 pèsent jusqu’à ce jour sur

le débat concernant les armes nucléaires. À l’heure où ces lignes sont écrites,

l’événement le plus significatif à avoir marqué le débat sur les armes «non létales» est

l’emploi d’un agent chimique incapacitant à Moscou en 2002. Si cet événement concerne

surtout les controverses qui entourent les armes chimiques «non létales», les faits

survenus à Moscou ont des répercussions plus vastes pour la relation entre la mise au

point d’armes «non létales» et les règles de droit international; nous y reviendrons plus

loin.

Cet article commence par retracer le déroulement du débat sur les armes «non

létales» et le droit international avant les événements de Moscou. Au cours de cette

période, de nombreux analystes – dont l’auteur du présent article

mise au point et l’emploi de diverses armes «non létales» au regard du droit international

existant, en particulier le droit international concernant le désarmement et le droit

international humanitaire. Ces travaux avaient mis en évidence des divergences de vues

entre les partisans des armes «non létales» et les sceptiques quant au rôle du droit

international dans la mise au point et l’emploi de ces armes. En l’absence de faits, de

preuves ou de données concrets, ce dialogue revêtait par la force des choses un caractère

abstrait, faisant plus de place aux réflexions théoriques qu’à l’analyse empirique

1. L’ampleur, la complexité et l’intensité croissantes de ce débat montrente siècle, en prenant pour point de départ l’événement sans doute le plus2, 3 – avaient étudié la4.

1

bibliographie, compilée par la Air University Library à la base de l’armée de l’air des États-Unis de

Maxwell, à l’adresse <http://www.au.af.mil/au/aul/bibs/soft/nonlethal.htm> (Non-Lethal Weapons,

juillet 2005).

Les publications consacrées aux armes «non létales» sont aujourd’hui légion. On trouvera une

2

International Law,

David P. Fidler, «The international legal implications of •non-lethal’ weapons», Michigan Journal ofVol. 21, 1999, pp. 51-100.

3

David P. Fidler, «•Non-lethal’ weapons and international law: Three perspectives on the future»,

Medicine, Conflict and Survival,

Vol. 17, 2001, pp. 194-206.

4

«non létales» et de leur intégration dans les forces armées et dans la stratégie militaire, une très large

part des analyses juridiques menées sur le plan international ne peuvent se fonder sur aucun précédent,

J’avais ainsi affirmé en 1999 qu’«étant donné le caractère embryonnaire de la mise au point des armes

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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3

e siècle

L’article décrit ensuite le déroulement des faits dans le théâtre de Moscou et la

manière dont cette crise a transformé les arguments abstraits du débat sur les armes «non

létales» en un événement réel d’importance majeure, touchant des questions de vie ou de

mort. L’une des conséquences les plus importantes des événements de Moscou a été de

concentrer l’attention sur la manière dont la Convention sur les armes chimiques

l’emploi d’agents chimiques incapacitants par les forces chargées du maintien de l’ordre,

et cet article donne une interprétation de cet aspect de la Convention à la lumière des

événements de Moscou. Enfin, les relations actuelles et futures entre les armes «non

létales» et le droit international sont examinées dans le contexte de l’«après-Moscou».

5 régit

L’avant-Moscou : le débat sur les armes «non létales» et le droit

international

Le débat sur les implications juridiques internationales des armes «non létales» ne s’est

développé que vers la fin des années 1990, en réaction à l’intérêt croissant manifesté à

l’égard de ces armes par les armées dans divers endroits du monde, et en particulier aux

États-Unis d’Amérique. La question des armes conçues comme étant moins létales que

les armes classiques, ou prétendues telles, avait déjà été abordée en droit international;

des traités sur les armes biologiques, chimiques et classiques réglementaient les capacités

«non létales». Ainsi, la Convention sur les armes biologiques ou à toxines avait interdit la

mise au point d’armes biologiques «non létales», à des fins antipersonnel ou

antimatériel

l’emploi d’armes chimiques, définies comme incluant les produits chimiques toxiques qui

entraînent une incapacité temporaire

d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre

annexé à la Convention sur les armes classiques un protocole interdisant l’emploi des

armes à laser aveuglantes conçues pour provoquer la cécité permanente

Bien qu’il s’agisse là indéniablement d’exemples de dispositions de droit

international régissant les capacités «non létales» des armes, il fallut attendre le milieu

des années 1990 pour que s’instaure un débat réellement centré sur les armes «non

létales» en tant que telles. L’intérêt croissant des militaires — et, dans une moindre

mesure, des forces de maintien de l’ordre

6. La Convention sur les armes chimiques interdisait la mise au point et7. Cette même Convention interdisait aussi l’emploi8. En 1995, les États avaient9.10 — à l’égard de ces armes dans la deuxième

ce qui leur confère un caractère abstrait, voire parfois de pure spéculation». Fidler,

p. 55 [notre traduction].

op. cit. (note 2),

5

armes chimiques et sur leur destruction, 13 janvier 1993, doc. Nations Unies CD/CW/WP.400/Rev. 1.

Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des

6

bactériologiques (biologiques) ou à toxine et sur leur destruction, 10 avril 1972, Recueil des traités des

Nations Unies, Vol. 1015, 1976, pp. 174-179.

Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes

7

Articles I, par. 1 et II, par. 2, de la Convention sur les armes chimiques.

8

Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.

9

l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées

comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination),

13 octobre 1995, doc. Nations Unies CCW/CONF.I/7, 12 octobre 1995.

Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV à la Convention de 1980 sur

10

moitié des années 1990; les forces de police et de sécurité intérieure utilisaient en effet depuis

Les armes «non létales» étaient certes bien connues des services de répression dans la deuxième

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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e siècle

moitié de cette décennie a stimulé une analyse juridique spécifique, sur le plan

international, des armes «non létales» en tant que nouvelle catégorie d’armes (voir le

tableau ci-après pour la description des technologies). Les experts prirent position par

rapport aux affirmations selon lesquelles ces armes différaient, non seulement sur le plan

technique mais aussi sur le plan éthique, des armes que le droit international essayait

depuis longtemps de réglementer par les traités de désarmement et par le droit

international humanitaire.

Les principaux domaines technologiques des armes «non létales»

11

Technologie Exemples

Énergie cinétique Munitions à impact (projectiles en mousse de

caoutchouc, chevilles en bois, sacs à fèves, balles en

plastique, canons à eau, anneaux aérodynamiques)

Barrières et filets de rétention ou d’enchevêtrement Dispositifs destinés à ralentir la progression et à

stopper des véhicules ou des bateaux (p. ex. filets,

chaînes, pointes, mousses rigides)

Électricité Technologie d’incapacitation musculaire par

électrochoc (p. ex. arme à électrochoc Taser, «épée

rétractable à décharge électrique», exosquelette à

décharge électrique, arme électrique sans fil (p. ex.

fusil à électrochoc pour combat rapproché (

Quarters Shock Rifle),

laser)

Acoustique Générateurs acoustiques, canons acoustiques,

dispositifs acoustiques à longue portée

Énergie dirigée Micro-ondes à haute puissance, ondes

millimétriques, lasers, armes envoyant des

projectiles à énergie pulsée

Chimie Agents de lutte antiémeute, produits malodorants,

agents antitraction, obscurcissants, mousses

collantes, produits chimiques antimatériel,

défoliants/herbicides

Chimie/biochimie Produits sédatifs, convulsants, agents incapacitants

Biologie Micro-organismes antimatériel, agents anticulture

Technologies combinées Grenades aveuglantes, dispositifs de diffusion

cinétiques et chimiques, dispositifs de diffusion

optiques et chimiques

Vecteurs Munitions «non létales» (p. ex. obus de mortier),

mines terrestres, véhicules et engins nautiques sans

pilote, encapsulation/microencapsulation

longtemps des armes telles que balles en plastique, «sacs à fèves», agents de lutte antiémeute, canons à

eau et matraques. Toutefois, l’intérêt des forces de maintien de l’ordre et leur participation active au

débat sur les armes «non létales» semblent avoir pris de l’ampleur au moment même où les forces

armées commençaient à réfléchir plus sérieusement au déploiement de ce type de techniques.

Closearme à plasma induit par

11

Désarmement,

Research Project Research Report No. 7,

Non-Lethal Weapons Research Project Research Report No. 6,

Nicholas Lewer et Neil Davison, «Tour d’horizon des technologies non létales», Forum du2005, pp. 41-57; Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradford Non-Lethal Weaponmai 2005; et Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradfordoctobre 2004.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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e siècle

Le débat sur les incidences des armes «non létales» au regard du droit international

s’est déroulé d’une manière qui a exacerbé les controverses. À la fin du XIX

pendant la majeure partie du XX

de l’armement s’était en effet développé, dans les grandes lignes, de manière à définir et

appliquer des règles régissant des armes de plus en plus destructrices et meurtrières

Or, les armes «non létales» n’entraient pas dans ce schéma. Selon la définition du

Département américain de la défense, les armes «non létales» sont des armes

«explicitement conçues et employées avant tout afin de causer l’incapacité du personnel

ou du matériel, tout en réduisant au minimum les décès, les lésions permanentes aux

personnes ainsi que les dommages indésirables aux biens et à l’environnement

Définies de cette manière, les armes «non létales» faisaient écho à l’objectif du droit

international humanitaire de rendre le conflit armé plus humain

armes «non létales» était guidée, dans une certaine mesure, par les contraintes que le droit

international humanitaire imposait aux forces militaires engagées dans des opérations non

traditionnelles telles que les missions de maintien de la paix. Cette apparente

convergence d’intérêts créait un cadre dans lequel on pouvait imaginer que les forces

armées d’une part, les juristes et les experts en droit international humanitaire d’autre

part, finiraient par se rallier ensemble à ces nouvelles technologies d’armement.

Cette conjonction ne s’est pas produite. Les partisans des armes «non létales» se

sont heurtés au scepticisme des analystes politiques, des juristes et des acteurs

humanitaires internationaux

personnes : pourquoi donc ces experts exprimaient-ils des réticences à l’égard de moyens

somme toute plus humains de mener la guerre et de maintenir la paix ? Pour simpliste

qu’elle soit, cette question menaçait de prendre à contre-pied tous ceux qui manquaient

d’enthousiasme à l’égard des armes «non létales». Ils répondaient en soulignant les

nombreuses questions auxquelles le droit international exigeait une réponse avant que des

armes puisent être légitimement déployées

e siècle ete siècle, le droit international touchant les technologies12.13».14. En outre, l’étude des15. Cette attitude suscita la perplexité de nombreuses16. Rien ne symbolise mieux le fossé entre

12

du droit international humanitaire, thème traité en 1996 dans un avis consultatif rendu par la Cour

internationale de justice. Voir l’affaire de la

L’exemple le plus parlant, à ce titre, est sans doute le problème posé par les armes nucléaires au regardLicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,

avis consultatif, 8 juillet 1996,

CIJ Recueil 1996, p. 226.

13

1996) [notre traduction]. Voir aussi Politique de l’OTAN sur les armes non létales, OTAN, 13 octobre

1999, à l’adresse <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p991013f.htm> (lien consulté pour la dernière

fois le 22 juin 2005). («Les armes non létales sont des armes spécifiquement conçues et mises au point

pour mettre hors de combat ou repousser le personnel, avec une faible probabilité d’issue fatale ou de

lésion permanente, ou mettre hors d’état le matériel, avec un minimum de dommages non

intentionnels ou d’incidences sur l’environnement.»)

Policy for Non-Lethal Weapons, US Departement of Defense Directive No. 3000.3, par. C (9 juillet

14

Jonathan D. Moreno, «Medical ethics and non-lethal weapons», American Journal of Bioethics,

Vol. 4, 2004, p. W1 (qui note que «les armes non létales semblent répondre à l’une des exigences de la

guerre juste selon Saint Augustin, à savoir l’emploi de la force strictement nécessaire à la tâche à

accomplir» [notre traduction]).

15

Form of Warfare: The Rise of Non-Lethal Weapons

Steven Schofield,

Coupland, «•Non-lethal’ weapons: Precipitating a new arms race»,

1997, p. 72.

On peut citer, parmi les premiers critiques notoires des armes «non létales», Malcolm Dando, A New, Brassey’s, Londres, 1996; Nicholas Lewer etNon-Lethal Weapons: A Fatal Attraction?, Zed Books, Londres, 1997; et RobinBritish Medical Journal, Vol. 315,

16

nouvelle arme ainsi que de tous nouveaux moyens ou méthodes de guerre (art. 36). Voir, en ce qui

Ainsi, le Protocole additionnel I de 1977 exige que les États parties évaluent la légalité de toute

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partisans et sceptiques de ces armes que leurs divergences touchant l’expression «arme

non létale

spécificité, sur le plan technique comme sur le plan éthique; pour les sceptiques, cette

désignation était trompeuse, parce qu’elle conférait un statut moral à des armes sur la

base de leur technologie, et non sur la base d’une analyse juridique et éthique des raisons

et du contexte de leur emploi, et de la manière dont elles étaient employées.

Ce désaccord a eu des répercussions sur le débat juridique international. Persuadés

que les armes «non létales» étaient des armes qui se distinguaient des autres sur le plan

éthique, leurs partisans ont mis en question les règles internationales susceptibles de

limiter leur mise au point et leur emploi, affirmant qu’il était nécessaire d’envisager la

modification de ces règles. Un certain nombre de partisans de ces armes ont affirmé que

les traités restreignant leur mise au point devraient être amendés

en pleine lumière les restrictions imposées par les Conventions sur les armes biologiques

et chimiques à la mise au point d’armes biologiques et chimiques «non létales».

Dans certains cas, cependant, les tenants de ces armes sont allés plus loin, laissant

entendre qu’il fallait repenser le cadre moral qui avait guidé historiquement le droit

international des conflits armés, et le remplacer par un droit qui reconnaisse le nouveau

contexte militaire et éthique rendu possible par les technologies des armes «non

létales

létales» sur la règle traditionnelle de droit international humanitaire qui interdit

d’employer les armes intentionnellement contre les populations civiles

des armes «non létales» ont soulevé la question de savoir si cette interdiction était

défendable sur le plan éthique, au vu de la probabilité croissante de conflits armés en

zones urbaines. L’emploi intentionnel d’une arme «non létale» contre des populations où

se mêlent combattants et non-combattants n’offrirait-il pas la possibilité de faire moins de

morts et de blessés parmi les civils que le fait de restreindre les forces armées à l’emploi

d’armes «létales» dans une situation où il est pour ainsi dire impossible de distinguer

entre combattants et non-combattants et où cet emploi est désavantageux sur le plan

militaire

17». Pour les partisans de ces armes, cette expression résumait parfaitement leur18. Cette position a mis19». Cette position radicale peut être illustrée par l’impact potentiel des armes «non20. Les partisans21 ?

concerne cette obligation, Isabelle Daoust, Robin Coupland et Rikke Ishoey, «New wars, new

weapons? The obligation of States to assess the legality of means and methods of warfare»,

internationale de la Croix-Rouge,

review of weapons in accordance with Article 36 of Additional Protocol I»,

Croix-Rouge,

RevueVol. 84, n° 846, juin 2002, pp. 345-363; Justin McClelland, «TheRevue internationale de laVol. 85, n° 850, juin 2003, pp. 397-415.

17

Legitimating Forces? Technology, Politics and the Management of Conflict

2003, pp. 17-34.

Pour une discussion de l’expression «armes non létales», voir Brian Rappert, Non-Lethal Weapons as, Frank Cass, Londres,

18

perspective».

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «selective changeFidler, op. cit. (note 3), pp. 199-201.

19

perspective». Ibid.,

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «radical changepp. 201-204.

20

brought by new means and methods of warfare with new effects?», in Davison et Lewer 2004,

Robin Coupland, «•Calmatives’ and •incapacitants’: Questions for international humanitarian lawop. cit.

(note 11), p. 35 et p. 38 («Une autre préoccupation majeure, en ce qui concerne les armes •non létales’,

est le fait que leurs partisans proposent qu’elles soient utilisées par les soldats contre des civils en cas

de besoin» [notre traduction]).

21

Jefferson D. Reynolds, «Collateral damage on the 21st century battlefield: Enemy exploitation of the

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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e siècle

Persuadés que les armes «non létales» étaient des armes comme les autres, sans

particularité spécifique sur le plan éthique, les sceptiques invoquaient quant à eux le droit

international existant relatif à la maîtrise des armements, à l’emploi de la force, aux

conflits armés et aux droits de l’homme, pour affirmer que ces armes soulevaient un

grand nombre de graves questions d’ordre juridique et moral qui ne sauraient être

dissimulées par la rhétorique relative à leur «non-létalité». En outre, les tenants de cette

position insistaient sur le fait que la mise au point et l’emploi des armes «non létales»

devait être conforme au droit international existant et à venir

partisans de ces armes ont affirmé qu’il convenait de modifier ou d’abroger des règles

juridiques internationales importantes pour faire leur place aux armes «non létales»

qu’une vive opposition s’est manifestée. Les sonnettes d’alarme ont retenti avec une

vigueur toute particulière au sujet des armes «non létales» qui pourraient être susceptibles

de saper les Conventions sur les armes biologiques et sur les armes chimiques

Il est un point, cependant, sur lequel les tenants de ces armes et les sceptiques

tombaient d’accord : le débat sur les armes «non létales» et le droit international

concernait essentiellement les technologies de demain, et non les armes «non létales»

susceptibles d’être déployées dans la deuxième moitié des années 1990 et au début des

années 2000. Bien que ce débat couvre les balles en plastique, les «sacs à fèves», le filets

d’enchevêtrement, les chausse-trapes, les mousses collantes, les agents de lutte

antiémeute, les grenades aveuglantes et assourdissantes et autres techniques similaires, ce

type d’arme «non létale» faisant appel à de technologies simples ne constituait pas

l’enjeu le plus important, ni pour les partisans ni pour les sceptiques. La génération

actuelle de ces armes avait des capacités limitées parce qu’elles reposaient

principalement sur des dispositifs mécaniques, chimiques ou cinétiques à courte portée; le

débat portait surtout sur les armes «de science-fiction», c’est-à-dire la génération suivante

d’armes non létales, qui utiliseraient des capacités bien plus avancées, sur les plans

cinétique, acoustique, électrique, électromagnétique, biologique et chimique, sans oublier

d’autres possibilités futuristes éventuelles comme la nanotechnologie

C’est pour cette raison que les partisans de ces armes et les sceptiques se livraient

pour l’essentiel, dans leur analyse de la manière dont les armes «non létales» pourraient

influencer les conflits armés, à des spéculations relevant de la boule de cristal. Les

tenants des armes «non létales» considéraient qu’elles pourraient réduire le nombre de

morts sur les champs de bataille; à l’opposé, les sceptiques mettaient en garde quant au

22. C’est surtout lorsque les23.24.

law of armed conflict, and the struggle for a moral high ground»,

2005, p. 1, pp. 99-100 («Les plus prometteuses de toutes sont sans doute les armes non létales, qui

peuvent être employées contre des combattants ennemis mêlés à la population civile» [notre

traduction]).

Air Force Law Review, Vol. 56,

22

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «compliance perspective».

Fidler,

op. cit. (note 3), pp. 198-199.

23

p. 1 (où l’on peut lire que «il est de plus en plus urgent, au vu des investissements croissants dans les

nouvelles technologies relatives aux •armes non létales’, de prendre conscience de la menace qu’elles

représentent pour le régime juridique de la Convention sur les armes chimiques et de la Convention

sur les armes biologiques» [notre traduction]).

«•Non-lethal’ weapons, the CWC and the BWC» CBW Conventions Bulletin, No. 61, septembre 2003,

24

dans : Center for Responsible Nanotechnology, Dangers of Molecular Manufacturing

[<http://www.crnano.org/dangers.htm#arms> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin 2005)].

On trouvera une description des conséquences potentielles des armes recourant à la nanotechnologie

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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e siècle

fait que ces armes pourraient démultiplier les effets des armes «létales», et rendre ainsi

les champs de bataille plus meurtriers encore. Du point de vue du droit international,

l’issue de ce type de débat théorique repose sur la «densité» du régime juridique

international pertinent pour telle ou telle technologie d’armes «non létales». Les régimes

les plus «denses» interdisaient à la fois la mise au point et l’emploi de certaines

techniques, à l’instar des interdictions générales des armes biologiques ou chimiques.

Les régimes juridiques moins «denses» n’interdisent pas spécifiquement des

technologies précises, mais appliquent des règles générales à la mise au point et à

l’emploi des armes. Ainsi, il n’existe aucun traité régissant l’emploi d’armes utilisant les

hyperfréquences, mais le droit international humanitaire applique à tout emploi d’armes,

y compris les armes à hyperfréquences, des principes généraux, dont l’exigence que cet

emploi distingue les combattants des non-combattants

superflus aux combattants

technologies ou de données empiriques sur leur emploi, les débats sur les armes «non

létales» dans les domaines où le droit international était le moins «dense» étaient par

conséquent les plus spéculatifs, car souvent le résultat de l’analyse dépendait de

l’intention et du comportement réels des soldats.

Ces débats, pour abstraits et théoriques qu’ils fussent, ont cependant eu deux

conséquences qui ont placé les partisans de ces armes sur la défensive. Premièrement, les

arguments plaidant pour la mise au point de la nouvelle génération de technologies

dépendaient dans une large mesure de leur «non-létalité». S’il était impossible de prouver

empiriquement qu’une nouvelle technologie était «non létale», les arguments moraux en

faveur de son développement perdaient de leur force. Les données concernant les effets

sur l’être humain de la plupart des armes «non létales» actuelles ou proposées étaient

inexistantes, rares ou n’étayaient guère les affirmations relatives à leur «non-létalité

Les partisans avaient ainsi entraîné le débat dans une voie qui exigeait d’eux qu’ils

établissent les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Le seuil éthique qu’ils

avaient eux-mêmes fixé imposait un prix empirique en termes de recherchedéveloppement

qui restait à payer

La deuxième conséquence résultait, elle aussi, des arguments d’ordre éthique

avancés par les tenants de ces armes. Si les armes «non létales» étaient supérieures sur le

25 et ne cause pas des maux26. Du fait du manque d’informations sur les nouvelles27».28.

25

compréhension et au respect du droit des conflits armés»,

sélection française 2005,

humanitaire coutumier, «[l]es parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et

combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent

pas être dirigées contre des civils.»)

Jean-Marie Henckaerts, «Étude sur le droit international humanitaire coutumier : une contribution à laRevue internationale de la Croix-Rouge :CICR, Genève, 2006, p. 315 (affirmant que, en droit international

26

des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.»

Ibid., p. 322 (affirmant que, en droit international humanitaire coutumier, «[i]l est interdit d’employer

27

qu’aucune arme dite «non létale» ne répondait aux critères qui permettraient de la qualifier réellement

de non létale). Pour des descriptions plus récentes des problèmes d’impact sur la santé, voir Lewer et

Davison,

Fidler, op. cit. (note 2), p. 62 (décrivant des études, réalisées à la fin des années 1990, qui concluaientop. cit. (note 11), pp. 48-49; Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 28.

28

l’absence de données empiriques concernant les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Voir

Davison et Lewer 2005,

des armes «non létales», des «préoccupations concernant le manque de données touchant les effets des

armes •non létales’ sur l’être humain» [notre traduction]).

Certains partisans des armes «non létales» ont exprimé leur agacement au sujet des remarques surop. cit. (note 11), p. 21 (qui évoque la réfutation par John Alexander, partisan

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

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e siècle

plan éthique, demandaient certains experts, alors les gouvernements auraient-ils

l’obligation morale de les employer en premier lieu, avant de recourir à une force

«létale» ? Les tenants de ces armes opposaient à cet argument éthique un argument

juridique : le droit international n’exige pas l’emploi d’une force «non létale» avant

l’emploi d’une force «létale» dans les conflits armés

droit international, cette réponse juridique ne répondait pas à l’interrogation morale.

Comment pourrait-on plaider pour la mise au point d’armes supérieures sur le plan

éthique, et ne pas avoir l’obligation morale d’employer ces armes avant des armes

«létales» ? Cette question est certainement loin de couvrir tous les aspects pertinents du

problème du choix des armes dans un conflit armé, mais elle met en pleine lumière les

incohérences potentielles, sur le plan éthique, de la position des partisans des armes «non

létales». Ce type d’interrogation morale, associé aux incertitudes quant aux effets

concrets sur l’être humain des technologies en question, posait bien des problèmes aux

tenants de ces systèmes d’armement dans le débat juridique international.

Ce débat animé sur les armes «non létales» et le droit international s’est développé

dans la seconde moitié des années 1990, sans qu’aucun des deux camps ne l’emporte

vraiment, et il a montré que tenants et opposants de ces armes se préparaient à débattre

des questions que soulèveraient des armes faisant appel à des technologies plus avancées.

Malgré le nombre croissant de conférences, d’articles, de livres et de rapports, il

manquait dans ce débat un événement qui cristalliserait les problèmes et qui susciterait un

intérêt plus large, tant à l’échelon politique qu’en termes d’orientations générales, à

l’égard des questions débattues par les tenants et les opposants des armes «non létales».

C’est alors, en octobre 2002, que des terroristes tchétchènes prirent d’assaut un

théâtre de Moscou.

29. Bien que correcte au regard du

Les événements de Moscou : le «brouillard de fentanyl»

L’attaque du théâtre Nord-Ost, à Moscou, par un commando tchétchène et la crise qui

s’ensuivit, avec la prise de quelque 830 otages, prirent fin lorsque les forces de sécurité

russes diffusèrent dans le bâtiment un produit chimique qui était sans doute un dérivé du

fentanyl (produit opiacé), avant d’envahir le théâtre. Les forces russes tuèrent tous les

terroristes et sauvèrent des centaines d’otages. Toutefois, le fentanyl tua environ

130 otages, ce qui représente un taux de mortalité de 16%, soit plus du double du taux de

mortalité causé par les armes chimiques «létales» utilisées sur les champs de bataille de la

Première Guerre mondiale

30. Le recours à un produit chimique incapacitant pour mettre

29

constitue pas une obligation d’emploi de ces armes ni n’impose une norme supérieure, ou des

restrictions supplémentaires, au recours à la force létale.» Voir, cependant, Davison et Lewer 2005,

cit.

la situation actuelle du droit international sur cette question a «peu de chances de durer» et qui prédit

«qu’à l’avenir, les armes •non létales’ élèveront bel et bien le seuil pour le recours à la force létale»

[notre traduction]).

OTAN, op. cit. (note 13) : «L’existence, la présence ou l’effet potentiel des armes non létales neop.(note 11), p. 27 (évoquant le juriste expert en armes «non létales» David Koplow, qui affirme que

30

biologiques»,

santé des otages survivants deux ans après les faits dans l’article de Anna Rudnitskaya, «Nord-Ost

tragedy goes on»,

<http://english.mn.ru/english/issue.php?2004-41-2> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin

Alexander Kelle, «La science, la technologie et les régimes de contrôle des armes chimiques etForum du Désarmement, 2005, p. 7, p. 10. On trouvera un rapport sur les problèmes deThe Moscow News, No. 41, 2004, à l’adresse

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

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e siècle

un terme à la crise des otages de Moscou a bouleversé le débat sur les armes «non

létales» et le droit international.

L’emploi du fentanyl eut sur ce débat deux conséquences immédiates. La première

fut de porter au grand jour la controverse sur les produits chimiques incapacitants

pouvant potentiellement servir d’armes «non létales». Comme indiqué plus en détail cidessous,

les événements de Moscou ont appelé particulièrement l’attention sur la manière

dont la Convention sur les armes chimiques traite ces produits chimiques. Le drame de

Moscou a fait ressortir l’importance politique et juridique du traitement des produits

chimiques incapacitants dans la Convention, et renforcé la place de cette problématique

dans le débat sur les armes «non létales» et sur le droit international.

Deuxièmement, la crise de Moscou a produit ce que j’appelle le «brouillard de

fentanyl», car l’emploi de ce produit incapacitant a fourni des arguments aux deux camps

en présence, obscurcissant ainsi les enjeux du débat plutôt que de les éclaircir. Pour les

tenants des armes «non létales», les événements de Moscou représentaient le type même

de scénario qui appelait une réflexion plus approfondie sur ces armes. La combinaison du

fentanyl et des forces classiques avait permis de sauver la majorité des otages, ce que

n’aurait pas permis l’emploi des seules forces classiques. La capacité d’allier des

capacités «non létales» et des capacités «létales» semblait donc pouvoir sauver des vies.

À la lumière des prédictions concernant la menace du terrorisme après le 11 septembre

2001, les événements de Moscou semblaient donc — aux yeux des tenants de ces armes

— suggérer la nécessité de s’engager plus vigoureusement sur la voie de leur emploi pour

garantir l’ordre public et la sécurité et pour faire face aux nouvelles menaces militaires

dans ce contexte inédit.

La crise de Moscou apportait aussi, cependant, de l’eau au moulin des sceptiques.

Le nombre de décès dus au fentanyl prouvait en effet que les produits chimiques

incapacitants n’étaient pas «non létaux». L’emploi du fentanyl dans un contexte qui ne

permettait de maîtriser ni le dosage, ni les conditions de l’exposition au produit avait

causé un taux de létalité considérable parmi les personnes exposées. Ces morts

confirmaient le bien-fondé des arguments des sceptiques selon lesquels les armes «non

létales» devaient être considérées purement et simplement comme des armes, dont la

dangerosité dépend de nombreux facteurs exigeant d’être évalués au cas par cas, et ne pas

être occultée par une étiquette trompeuse et politiquement correcte.

Les événements de Moscou renforcèrent les craintes des sceptiques à l’égard d’un

intérêt accru pour les produits chimiques incapacitants, qui pourrait menacer la

Convention sur les armes chimiques. La manière dont les forces de sécurité russes avaient

achevé les terroristes déjà mis hors d’état de nuire venait renforcer les préoccupations

d’ordre humanitaire, à l’échelon international, quant au fait que les armes «non létales»

pourraient encourager les forces militaires à violer le principe de droit international

humanitaire concernant le respect des personnes hors de combat

causés par le fentanyl parmi les otages, ils soulevaient des questions touchant le

comportement du gouvernement russe au regard des droits de l’homme, en particulier en

31. Quant aux décès

2005).

31

est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat.»)

Henckaerts, op. cit. (note 25), p. 320 (indiquant qu’en droit international humanitaire coutumier, «[i]l

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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ce qui concerne son manque de préparation pour soigner les personnes victimes du

fentanyl après l’assaut lancé contre le théâtre

Ce «brouillard de fentanyl» signifiait que, pour dramatique que soient les

événements de Moscou, l’emploi de ce produit chimique incapacitant ne réglait pas le

débat sur les armes «non létales» et le droit international. En tant qu’événement concret

le plus important ayant donné lieu à l’emploi d’une arme «non létale» autre que les

dispositifs cinétiques et mécaniques habituels et les agents de lutte antiémeute, la crise de

Moscou a souligné l’importance du débat, en particulier en ce qui concerne les armes

chimiques «non létales». Nous allons, dans les deux sections suivantes de cet article,

examiner de plus près l’impact des événements de Moscou sur le débat concernant les

armes «non létales» et le droit international, en commençant par les dispositions

concernant les produits chimiques incapacitants dans la Convention sur les armes

chimiques, pour explorer ensuite les conséquences plus larges des événements de Moscou

sur la relation future entre ces armes et le droit international.

32.

L’«après-Moscou» : les produits chimiques incapacitants et la Convention sur les armes chimiques

L’impact des événements de Moscou sur la Convention

Le plus ancien volet du débat sur les armes «non létales» et le droit international

concerne les armes chimiques «non létales». Au cours des négociations de la Convention

sur les armes chimiques, la question de savoir si les agents de lutte antiémeute pouvaient

être utilisés comme moyens de guerre a été vivement débattue

Convention ont aussi traité de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins liées au

maintien de l’ordre

pendant la seconde moitié des années 1990 a conduit leurs partisans à plaider la nécessité

de réexaminer, et le cas échéant de modifier, les règles restreignant l’emploi de ces agents

de lutte antiémeute et des produits chimiques incapacitants à des fins militaires

expert a résumé cette position par une image hardie, allant jusqu’à affirmer que «les

produits chimiques peuvent être nos amis

33. Les négociateurs de la34. L’intérêt à l’égard des armes «non létales» qui s’est manifesté35. Un36».

32

for Consequences of Gas Violates Obligation to Protect Life, Human Rights Watch, 30 octobre 2002,

à l’adresse <http://www.hrw.org/press/2002/10/russia1030.htm> (lien consulté pour la dernière fois le

20 juin 2005).

Independent Commission of Inquiry Must Investigate Raid on Moscow Theater: Inadequate Protection

33

Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.

34

Ibid., art. II, par. 9, al. d).

35

Foreign Relations, New York, 1999, à l’adresse

<http://www.cfr.org/pub3326/richard_l_garwin_w_winfi

eld/nonlethal_technologies_progress_and_prospects.php#Report> (lien consulté pour la dernière fois

le 22 juin 2005). L’auteur soutient, au sujet des armes chimiques et biologiques, que la modification

des traités y afférents pourrait permettre de renforcer la sécurité des États-Unis.

Voir, p. ex., Nonlethal Technologies: Progress and Prospects, Independent Task Force, Council on

36

operations», exposé présenté à la 4

2000 [notre traduction].

Russell Glenn, «Separating the wheat from the chaff: Non-lethal capabilities in future urbane conférence annuelle de Jane sur les armes non létales, 5 décembre

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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L’emploi du fentanyl lors de la crise de Moscou a attiré une attention toute

particulière sur les dispositions de la Convention sur les armes chimiques concernant les

produits chimiques incapacitants, et en particulier sur l’article II, par. 9, al. d), qui

autorise l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre

public

préoccupations tant pendant qu’après les négociations sur la Convention

interrogations quant à sa portée et à son impact possibles sur la Convention avaient

persisté jusqu’à la crise de Moscou

urgence et une importance nouvelles, tant pour la Convention que pour le débat plus large

touchant les armes «non létales» et le droit international. La plupart des experts

tombèrent d’accord pour considérer que les événements de Moscou relevaient bien de la

disposition de la Convention touchant le maintien de l’ordre public, et ce consensus

exacerba encore les controverses sur la manière dont cette disposition devait être

interprétée

Pour ce qui est de l’interprétation de la disposition relative au maintien de l’ordre

public, l’enjeu était important, pour les tenants des armes «non létales» comme pour les

sceptiques. Pour ces derniers, cette disposition représentait une lacune potentielle, que les

tenants des armes chimiques incapacitantes pouvaient exploiter pour saper l’interdiction

— inscrite dans la Convention — de l’emploi de produits chimiques incapacitants à des

fins antipersonnel

l’ordre public offrait la possibilité de développer le potentiel des produits chimiques

incapacitants et de démontrer leur utilité, tant aux fins de maintien de l’ordre que pour les

missions que les armées auraient à accomplir dans les conflits armés du XXI

disposition représentait donc une plate-forme permettant d’élaborer un argument selon

lequel l’interdiction, dans la Convention, de l’emploi à des fins militaires des agents de

lutte antiémeute et de produits chimiques incapacitants devrait être révisée pour refléter

les nouvelles capacités «non létales» dans le domaine chimique. En ce sens, la disposition

sur le maintien de l’ordre public représentait une passerelle potentielle vers des capacités

37. Cette disposition sur le maintien de l’ordre public avait suscité des38, et les39; celle-ci, cependant, conféra à ces questions une40.41. Pour les partisans de ces armes, la disposition sur le maintien dee siècle. La

37

Convention’ : (…) d) Des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan

intérieur.»

Article II, par. 9, al. d), qui dispose que : «On entend par •fins non interdites par la présente

38

disposition touchant le maintien de l’ordre public (art. II, par. 9, al. d)), s’interrogeait en ces termes :

«qu’est-ce que le •maintien de l’ordre’ ? (...) De quel ordre s’agit-il ? Qui le maintient et où ?» «New

weapon technologies and the loophole in the Convention»,

No. 23, mars 1994, p. 1 [notre traduction].

À titre d’exemple, un éditorial dans le Chemical Weapons Convention Bulletin, consacré à laChemical Weapons Convention Bulletin,

39

en posant la question : «que faut-il entendre par •maintien de l’ordre’ dans le contexte de la

Convention ?» «•Law enforcement’ and the CWC»,

décembre 2002, p. 1 [notre traduction].

Un éditorial du CBW Conventions Bulletin revint sur cette question après les événements de MoscouCBW Conventions Bulletin, No. 58,

40

l’ordre public contenue dans la Convention sur les armes chimiques, à savoir la tenue au printemps de

l’année 2003 — six mois environ après les événements de Moscou — de la première conférence

d’examen de la Convention. À cette occasion, les États parties ne parvinrent pas à traiter des

problèmes soulevés par la crise de Moscou, ce qui renforça la controverse.

Un autre facteur a renforcé l’importance accordée à la signification de la disposition sur le maintien de

41

fins antimatériel, dans des contextes où cet emploi n’a pas d’effet néfaste sur les êtres humains ou les

animaux. Voir Fidler,

La Convention sur les armes chimiques n’interdit pas l’emploi de produits chimiques toxiques à desop. cit. (note 2), p. 72.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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chimiques «non létales» plus conséquentes pour le personnel responsable du maintien de

l’ordre public et pour les forces armées.

La question de savoir comment la disposition sur le maintien de l’ordre public

serait interprétée après les événements de Moscou devint ensuite une question politique et

juridique de première importance pour le débat sur les armes «non létales» et le droit

international; nous allons maintenant nous pencher sur l’interprétation de cette

disposition et sur les conséquences de cette interprétation pour l’avenir de ce débat

42.

Quels produits chimiques toxiques peuvent-ils être employés à des fins de

maintien de l’ordre public ?

La question initiale pour l’interprétation concernait la gamme de produits chimiques

autorisés à des fins de maintien de l’ordre public. L’article II, par. 9, al. d) inclut

clairement les agents de lutte antiémeute dans la gamme de produits chimiques

autorisés

maintien de l’ordre public devait avoir les mêmes propriétés qu’un agent de lutte

antiémeute

Premièrement, l’article II, par. 9, al. d) autorise les pays à employer des produits

chimiques toxiques pour imposer la peine capitale, et les produits chimiques employés à

cette fin ne sont pas des agents de lutte antiémeute

Deuxièmement, les règles d’interprétation des traités n’appuient pas la restriction

de la portée de l’article II, par. 9, al. d) aux seuls produits chimiques qui sont des agents

de lutte antiémeute. En droit international, un traité doit être interprété «de bonne foi

suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière

de son objet et de son but

L’article II, par. 1, al. a) de la Convention dispose que : «On entend par "armes

chimiques" les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a) Les produits

43. Certains experts ont affirmé que tout produit chimique employé à des fins de44. Cette interprétation est erronée, pour quatre raisons.45.46».

42

présentée dans cet article se fonde sur l’analyse antérieure de cette question par l’auteur, qui a été

présentée pour la première fois à l’occasion du forum ouvert destiné aux organisations non

gouvernementales lors de la première conférence d’examen de la Convention sur les armes chimiques,

en mai 2003, puis, sous forme révisée, dans : David P. Fidler, «Background paper on incapacitating

chemical and biochemical weapons and law enforcement under the Chemical Weapons Convention»,

25 mai 2005, préparé pour un colloque sur les armes biochimiques incapacitantes en juin 2005.

L’interprétation de la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public qui est

43

chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains

une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé

l’exposition.»)

Article II, par. 7 de la Convention (qui définit un agent de lutte antiémeute comme «[t]out produit

44

other toxic chemicals under the Chemical Weapons Convention»,

Bulletin

Berlin Information and Center for Transatlantic Security Research Note 03.2, avril 2003, p. 4.

Abraham Chayes et Matthew Meselson, «Proposed guidelines on the status of riot control agents andChemical Weapons Convention, No. 35, mars 1997, p. 13; Walter Krutzsch, «‘Non-lethal’ chemicals for law enforcement?»,

45

maintien de l’ordre public aux produits qui répondent à la définition des agents de lutte antiémeute,

certains admettent que des doses létales de produits chimiques toxiques peuvent être utilisées pour

administrer la peine de mort. Chayes et Meselson,

Parmi les partisans d’une limitation de la gamme de produits chimiques toxiques utilisés aux fins deop. cit. (note 44), p. 13, et Krutzsch, op. cit.

(note 44).

46

des Nation Unies, vol. 1155, p. 331 (ci-après, «Convention de Vienne»).

Article 31, par. 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traités

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins

non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en

jeu sont compatibles avec de telles fins». Ainsi, les «produits chimiques toxiques» sont

des armes chimiques, sauf lorsqu’ils sont destinés à des fins non interdites par la

Convention sur les armes chimiques, comme le maintien de l’ordre public. La disposition

relative au maintien de l’ordre public s’applique donc aux «produits chimiques toxiques»

tels que définis à l’article II, par. 2

antiémeute tels que définis à l’article II, par. 7. L’article II, par. 1, al. a) ne mentionne pas

les agents de lutte antiémeute comme limitant les «produits chimiques toxiques» qui

peuvent être utilisés à des fins non interdites par la Convention.

Troisièmement, les agents de lutte antiémeute sont définis comme des produits

chimiques qui ne sont inscrits sur aucun tableau de la Convention sur les armes

chimiques

sont pas interdites, y compris le maintien de l’ordre public, peuvent être inscrits sur les

tableaux 2 et 3 de la Convention. L’Annexe de la Convention sur la vérification stipule

clairement qu’un État partie à la Convention ne peut fabriquer, ni acquérir, conserver ou

utiliser de produits chimiques du tableau 1sauf si, entre autres, «ces produits chimiques

servent à des fins de recherche, à des fins médicales ou pharmaceutiques ou à des fins de

protection

produits chimiques du tableau 1 peuvent être fabriqués, acquis, conservé ou utilisés.

Comme le relèvent Krutzsch et Trapp, l’Annexe sur la vérification concernant les

produits chimiques du tableau 1est plus restrictif que l’article II, par. 9, ce qui signifie

qu’«un produit chimique du tableau 1 ne peut être utilisé à des fins autres que celles

citées, même s’il s’agit de fins pacifiques qui ne sont pas liées à la mise au point, à la

fabrication ou à l’emploi d’une arme chimique

La partie de l’Annexe sur la vérification concernant les produits chimiques du

tableau 1 signifie, par conséquent, que les États parties à la Convention sur les armes

chimiques ne peuvent fabriquer, acquérir, conserver ni utiliser des produits chimiques du

tableau 1 à des fins de maintien de l’ordre public. En revanche, la partie de l’Annexe sur

la vérification concernant les produits chimiques des tableaux 2 et 3 ne restreint pas de la

même manière les fins qui ne sont pas interdites, ce qui signifie que les produits

chimiques toxiques énumérés dans les tableaux 2 ou 3 —qui ne peuvent être de agents de

lutte antiémeute —peuvent être employés à de fins de maintien de l’ordre public.

Quatrièmement, lors des événements de Moscou, l’emploi d’un produit chimique

toxique qui n’est pas un agent de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre public

47, et non pas exclusivement aux agents de lutte48. Les produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des fins qui ne49». Le maintien de l’ordre public n’est pas cité parmi les fins auxquelles les50».

47

chimique qui, par son action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres

humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents. Cela

comprend tous les produits chimiques de ce type, quels qu’en soient l’origine ou le mode de

fabrication, qu’ils soient obtenus dans des installations, dans des munitions ou ailleurs. (Aux fins de

l’application de la présente Convention, des produits chimiques toxiques qui ont été reconnus comme

devant faire l’objet de mesures de vérification sont énumérés aux tableaux figurant dans l’Annexe sur

les produits chimiques.)»

L’article II, par. 2 de la Convention définit les «produits chimiques toxiques» comme : «[t]out produit

48

Art. II, par. 7 de la Convention sur les armes chimiques.

49

Ibid., Annexe sur la vérification, Sixième partie, Lettre A, par. 2, al. a).

50

Nijhoff Publishers, La Haye, 1994, p. 418 [notre traduction].

Walter Krutzsch et Ralf Trapp, A Commentary on the Chemical Weapons Convention, Martinus

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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apporte un élément de preuve d’une pratique étatique selon laquelle la Convention sur les

armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte antiémeute la gamme des produits

chimiques pouvant être utilisés en vertu de l’article II, par. 9, al. d). Au regard du droit

international, l’interprétation d’un traité peut tenir compte de la pratique ultérieurement

suivie par les États dans l’application de ce traité

donné lieu les événements de Moscou ne comprend pas seulement l’emploi par la Russie

du produit chimique toxique, mais aussi l’acceptation de cet emploi par les autres États

parties à la Convention. Comme l’a noté Mark Wheelis, «la plupart des analystes

considèrent que l’emploi par la Russie d’un dérivé du fentanyl était légal» au regard de

l’article II, par. 9, al. d)

indique que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte

antiémeute la gamme des produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des

fins de maintien de l’ordre public.

51. La pratique étatique à laquelle ont52. Ainsi, le droit international relatif à l’interprétation des traités

Les limitations imposées par la Convention sur les armes chimiques à la

mise au point et à l’emploi des produits chimiques toxiques à des fins de

maintien de l’ordre public

Bien que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte

antiémeute les produits chimiques toxiques pouvant être employés à des fins de maintien

de l’ordre public, cet emploi est soumis à la condition que les types et les quantités de

produits chimiques mis au point, fabriqués, acquis, stockés, conservés, transférés ou

employés soient compatibles avec ces fins autorisées

la mise au point, la possession et l’emploi de produits chimiques toxiques aux fins de

maintien de l’ordre public ne sapent pas l’interdiction, par la Convention sur les armes

chimiques, de la mise au point et de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins

militaires. Tout comme pour d’autres dispositions de ce traité, ces règles doivent être

interprétées de bonne foi pour que leur sens ordinaire soit établi à la lumière de leur

contexte et de l’objet et du but du traité.

La règle sur les «types et quantités» exige que soit examinée la relation entre le

produit chimique employé et l’objectif y relatif en matière de maintien de l’ordre public.

Plus il est difficile de maîtriser les effets d’un produit chimique employé dans une

opération de maintien de l’ordre public, plus il est permis de douter que le type ou la

quantité de l’agent en question soit conforme à un but de maintien de l’ordre public. Cette

53. Ces restrictions garantissent que

51

Art. 31, par. 3, al. b) de la Convention de Vienne.

52

p. 6, p. 8 [notre traduction]. Cette analyse ne suggère pas que la pratique d’un État dans un incident

donné pourrait régler des questions d’interprétation soulevées par la Convention sur les armes

chimiques, mais la pratique étatique suscitée par la prise d’otages de Moscou est un cas important de

pratique étatique au regard de l’article II, par. 9, al. d).

Mark Wheelis, «Will the new biology lead to new weapons?» Arms Control Today, juillet-août 2004,

53

doit non seulement apporter la preuve que la fabrication ou le stockage d’un produit chimique donné se

fondait sur une intention licite, mais aussi que le produit chimique est bien d’un type

compatible/conforme à l’intention visée, et que sa quantité correspond bien à l’objectif spécifié.»

Krutzsch et Trapp,

Art. II, par. 1, al. a) de la Convention sur les armes chimiques. Selon Krutzsch et Trapp, «un État partieop. cit. (note 50), p. 27 [notre traduction].

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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interprétation va dans le sens des préoccupations exprimées au sujet des décès causés à

Moscou par l’emploi d’un produit chimique incapacitant

54.

Situations extrêmes de maintien de l’ordre public

L’emploi de produits chimiques incapacitants dans des contextes où il est impossible de

maîtriser le dosage individuel et les conditions d’exposition n’est donc légitime que dans

des situations extrêmes. Les situations extrêmes en matière de maintien de l’ordre public

sont celles où le gouvernement est confronté à la nécessité de recourir à une force

potentiellement létale pour résoudre des situations urgentes et où des vies sont en danger,

parce que les moyens moins violents et moins dangereux de résoudre les problèmes ont

échoué. La crise de Moscou pouvait être qualifiée de situation extrême de maintien de

l’ordre public

pas un agent chimique incapacitant par sa nature ou par son dosage conformément à des

fins de maintien de l’ordre public s’il ne peut en maîtriser ni le dosage, ni les conditions

d’exposition.

Le droit international relatif aux droits de l’homme, en tant que corpus pertinent de

droit international selon les règles d’interprétation des traités

Dans des situations extrêmes de maintien de l’ordre public, les gouvernements qui

envisagent de recourir à des produits chimiques incapacitants doivent faire face à

l’obligation de protéger le droit à la vie

priver arbitrairement de la vie les personnes relevant de leur juridiction

international des droits de l’homme n’autorise aucune dérogation à cette obligation,

même en cas de danger public exceptionnel

Les organisations de défense des droits de l’homme ont accusé la Russie d’avoir

violé le droit à la vie en ne fournissant pas des services médicaux suffisants aux otages

55. En l’absence d’une telle situation extrême, un gouvernement n’emploie56, appuie cette conclusion.57. Cette obligation interdit aux gouvernements de58, et le droit59.

54

partie du bâtiment était difficile à maîtriser, les effets d’une concentration donnée de fentanyl sur telle

ou telle personne particulièrement vulnérable ne pouvaient être connus, et il est extrêmement difficile

de distinguer entre les effets incapacitants et les effets létaux du produit, en d’autres termes de fixer la

limite entre la dose induisant une perte de connaissance et la dose provoquant l’arrêt de la respiration.»

Malcolm Dando, «The danger to the Chemical Weapons Convention from incapacitating chemicals»,

First CWC Review Conference Paper No. 4, mars 2003, p. 4 [notre traduction].

«Comme pour tout produit chimique incapacitant, la concentration de fentanyl dans n’importe quelle

55

droit international n’interdit pas l’emploi d’une force potentiellement létale dans des opérations visant

à libérer des otages, mais il exige que cette force soit •absolument nécessaire’ et que toutes les

précautions soient prises, tant dans la planification que dans l’exécution de telles opérations, pour

réduire au minimum les pertes en vies civiles.» Human Rights Watch,

traduction].

Comme l’a relevé Human Rights Watch dans ses commentaires sur la crise des otages à Moscou, «leop. cit. (note 32) [notre

56

contexte : (...) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les

parties»).

Art. 31, par. 3, al. c) e la Convention de Vienne («Il sera tenu compte, en même temps que du

57

Nations Unies, doc. Nations Unies A/810, 1948, p. 71; art. 6 du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, rés. 2200 A (XXI),

16 décembre 1966, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 999, p. 186.

Art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, rés. 217 A (III) de l’Assemblée générale des

58

des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu

d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (Note du secrétariat),

HRI/GEN/1/Rev. 7, 12 mai 2004, p. 141.

Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 6 : Article 6 (droit à la vie), in Récapitulationdoc. Nations Unies

59

Art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

17

e siècle

qui avaient été sauvés et qui ont succombé au fentanyl

dosage ou le conditions d’exposition lorsque des produits chimiques incapacitants sont

employés dans des situations de maintien de l’ordre public extrêmes et urgentes exacerbe

la responsabilité des autorités de veiller à ce que toutes les précautions soient prises pour

réduire au minimum les dommages causés aux personnes innocentes et de fournir des

soins médicaux immédiats aux personnes exposées et qui pourraient subir de effets

néfastes

60. L’incapacité de maîtriser le61.

La détention de personnes aux fins de maintien de l’ordre public

Cette interprétation signifie que la condition limitative touchant les «types et quantités»

au sujet de l’emploi de produits chimiques incapacitants dans des situations de maintien

de l’ordre public qui ne sont pas des situations extrêmes exige des États parties à la

Convention sur les armes chimiques qu’ils maintiennent une stricte maîtrise sur le dosage

du produit et sur les conditions d’exposition à ce produit

les autorités responsables du maintien de l’ordre doivent avoir la garde physique de la

personne en question. Conformément aux règles sur l’interprétation des traités, la règle

sur les «types et quantités» doit être interprétée à la lumière du droit international

pertinent applicable aux relations entre les États

l’ordre public qui exige la garde physique de personnes requiert nécessairement que soit

pris en considération le droit international des droits de l’homme

relatif aux droits civils et politiques traite directement des activités de maintien de l’ordre

public

droits de l’homme limite considérablement les contextes dans lesquels les autorités

responsables du maintien de l’ordre pourraient recourir à des produits chimiques

incapacitants contre des personnes détenues.

Le droit international des droits de l’homme interdit la torture ainsi que les autres

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et n’autorise aucune dérogation à

62. Cette maîtrise signifierait que63. Ainsi, une situation de maintien de64. Le droit international65. Une lecture de la règle sur les «types et quantités» à la lumière du droit des

60

Human Rights Watch, op. cit. (note 32).

61

incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public : «La décision d’utiliser une substance pour

provoquer un état d’inconscience calme ou profonde implique de connaître les antécédents médicaux

du sujet, et notamment l’utilisation de tout médicament prescrit ou non, ainsi que toute information

pertinente sur l’état de santé de la personne. Une telle décision entraîne aussi une responsabilité

considérable en termes d’assistance immédiate et de suivi après l’incident.» Cité par Lewer et Davison,

Le gouvernement britannique a déclaré, au sujet de l’emploi éventuel de produits chimiques

op. cit.

(note 11), p. 52.

62

dangereux de dépression respiratoire (en d’autres termes, calmer tout en maintenant la conscience)

exige un contrôle strict du dosage.»

Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology, National Academies

Press, Washington, D.C., 2003, p. 27 [notre traduction].

«Obtenir le niveau souhaité de modification du comportement psychique sans provoquer un niveauAn Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,

63

Art. 31, par. 3, al. c) de la Convention de Vienne.

64

droits de l’homme ait été formulé, ce qui rend d’autant plus légitime la référence à ce droit pour

interpréter la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public.

La Convention sur les armes chimiques a été négociée bien après que le droit international relatif aux

65

privation arbitraire de la vie et règles relatives à la peine de mort), 7 (interdiction de la torture et des

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9-10 (règles relatives à la privation de liberté)

et 14-15 (règles sur l’accusation et les poursuites contre les personnes soupçonnées d’infraction

pénale).

Voir, p. ex., le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 6 (interdiction de la

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

18

e siècle

cette interdiction

d’un produit chimique incapacitant contre des personnes détenues constituerait un

traitement dégradant et pourrait, selon la gravité des effets physiologiques de la substance

chimique, constituer un traitement cruel ou inhumain, voire une torture

consentement et à des fins autres que thérapeutiques de produits psychotropes et d’autres

types de produits chimiques contre des personnes détenues est condamné depuis

longtemps par des États, des organisations internationales et des organisations non

gouvernementales de défense des droits de l’homme. Les seuls contextes dans lesquels

l’administration non consensuelle et non thérapeutique d’un produit chimique

incapacitant à une personne détenue pourrait être compatible avec le droit des droits de

l’homme seraient les situations dans lesquelles la personne détenue représente une

menace immédiate et violente pour sa propre sécurité physique (par exemple, tentative de

suicide) ou pour la sûreté et l’ordre au sein de l’établissement de détention (par exemple,

attaque contre les gardiens ou participation à des émeutes).

On le voit, les fins de maintien de l’ordre public auxquelles des produits chimiques

incapacitants pourraient être légitimement utilisés sont très limitées en vertu de la règle

de la Convention sur les armes chimiques touchant les «types et quantités». Le facteur

crucial de cette interprétation est la pertinence du droit international des droits de

l’homme pour déterminer les types et quantités de produits chimiques incapacitants qui

peuvent être légitimement utilisés à des fins de maintien de l’ordre public liées à la

détention des personnes.

66. L’emploi sans consentement et à des fins autres que thérapeutiques67. L’emploi sans

Résumé : les limites posées par la Convention sur les armes chimiques à la mise au point

et à l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public

De manière générale, la règle sur les «types et quantités» limite de manière notable la

capacité d’un État partie à la Convention sur les armes chimiques de mettre au point et

d’employer des produits chimiques incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public,

que ces fins concernent des groupes de personnes ou des individus détenus. La «lacune»

juridique de l’article II, par. 9, al. d) n’est donc pas, en réalité, aussi dangereuse que le

craignaient certains opposants des armes «non létales». La Convention sur les armes

chimiques, telle que complétée par le droit international des droits de l’homme, fixe des

limites strictes à la mise au point et à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des

fins de maintien de l’ordre public. Le fait de recourir au droit international des droits de

l’homme pour interpréter la restriction des «types et quantités» est conforme aux objectifs

éthiques invoqué par les tenants des armes «non létales» pour justifier leur intérêt à

l’égard des produits chimiques incapacitants. Les tenants des armes «non létales»

manqueraient de cohérence, du point de vue éthique, s’ils rejetaient l’application des

normes des droits de l’homme à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des fins

de maintien de l’ordre public. Ainsi, les positions des tenants et des adversaires de ces

armes convergent pour ce qui est de l’interprétation de la règle des «types et quantités»

présentée plus haut.

66

relatif aux droits civils et politiques.

Art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; art. 4, par. 2 et 7 du Pacte international

67

l’homme dans Fidler,

On trouvera une analyse détaillée de ces questions relatives au droit international des droits deop. cit. (note 42), pp. 33-44.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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Le sens du «maintien de l’ordre public»

La deuxième grande question soulevée par l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) au

lendemain des événements de Moscou concerne la portée de l’expression «maintien de

l’ordre public». Le consensus sur le fait que l’emploi du fentanyl par les autorités russes

répondait bien à des fins de maintien de l’ordre public a suscité inquiétudes et confusion

sur la question de savoir jusqu’où allait cette notion en ce qui concerne l’emploi de

produits chimiques incapacitants. Pour reprendre la formulation de Malcolm Dando, «la

question est de savoir où s’arrête la notion de maintien de l’ordre et où débute celle de

moyen de guerre

du «maintien de l’ordre public», ce qui oblige une nouvelle fois à interpréter le traité. La

question fondamentale consiste à savoir si la notion doit être interprétée strictement ou

largement

l’ordre public» englobe les activités concernant le droit international.

68». La Convention sur les armes chimiques ne donne pas de définition69. Comme on le verra ci-dessous, il s’agit aussi de décider si le «maintien de

Le maintien de l’ordre public sur le plan national

Qu’entend-on par «maintien de l’ordre public» ? Il s’agit généralement de faire respecter

la loi

le plan national, le respect des lois qui s’appliquent aux activités menées sur le territoire,

ou sous la juridiction d’un État souverain. L’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur

les armes chimiques traite donc du maintien de l’ordre public sur le plan national. Il

autorise l’emploi de doses létales de produits chimiques toxiques pour appliquer la peine

capitale, une fonction d’application de la loi qui relève de la compétence de l’État. En

outre, cet article permet l’emploi de produits chimiques toxiques à «des fins de maintien

de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur». Le membre de

phrase «y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur» illustre un type d’activité de

maintien de l’ordre public autorisé par l’article II, par. 9, al. d), et focalise l’attention sur

le maintien de l’ordre public à l’intérieur des frontières ou de la juridiction d’un État

L’emploi du fentanyl par la Russie a eu lieu sur son territoire, en réponse à des actes

violents et criminels. Bien que l’article II, par. 9, al. d) concerne le maintien de l’ordre

public sur le territoire d’un État souverain, deux questions subsistent : cet article autoriset-

il l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale

en dehors des limites de la juridiction nationale, et pour faire respecter le droit

international ?

70; l’«ordre public», dans son acception ordinaire, désigne le plus souvent l’ordre sur71.

68

armes chimiques : le problème des armes non létales»,

Malcolm Dando, «Les réalisations scientifiques et techniques et l’avenir de la Convention sur lesForum du Désarmement, 2002, pp. 33-34.

69

l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur’ peut être interprété comme signifiant

qu’il existe des luttes antiémeute autres que sur le plan intérieur. Or, cette lutte antiémeute •non

intérieure’ devrait être un moyen de •maintien de l’ordre public’ accepté sur le plan international.»

Krutzsch et Trapp,

Krutzsch et Trapp ont explicité cette alternative : «Le membre de phrase •[d]es fins de maintien deop. cit. (note 50), p. 42, note 45 [notre traduction].

70

Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 820.

71

l’intérieur du territoire sur lequel ils exercent leur souveraineté. Voir Davison et Lewer 2004,

La pratique des États révèle un emploi fréquents d’agents de lutte antiémeute par les gouvernements àop. cit.

(note 11), pp. 34-35 (qui recense les cas d’emploi d’agents de lutte antiémeute dans le monde afin de

contenir des foules).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale audelà

de la juridiction nationale

Afin d’établir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques toxiques

pour faire respecter la législation nationale au-delà de la juridiction nationale, il faut

examiner les règles de droit international en la matière. Il ressort clairement de ces règles

que la Convention sur les armes chimiques n’autorise pas un tel emploi.

En droit international, un État ne peut faire respecter une loi que s’il détient une

compétence normative à son égard

autorisent un État à adopter des lois concernant des personnes, des comportements et des

activités situés hors des frontières de sa juridiction. Le droit international sur la

compétence d’exécution définit en revanche des limites plus strictes : «Il est

universellement reconnu, à titre de corollaire de la souveraineté de l’État, que les

fonctionnaires d’un État ne peuvent exercer leurs fonctions sur le territoire d’un autre

État sans le consentement de celui-ci

position : premièrement, le principe de la souveraineté et de l’égalité souveraine des

États

d’un autre État

prises dans la juridiction d’un autre État sans son consentement.

Ces règles signifient que l’article II, par. 9, al. d) autorisent un État partie à

employer des produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public

uniquement dans des lieux relevant de sa juridiction. Au regard du droit international sur

la compétence d’exécution, cet article ne saurait être interprété comme autorisant un État

partie à utiliser un produit chimique toxique pour faire respecter sa législation nationale

dans des zones soumise à la juridiction d’un autre État. Un tel emploi ne serait légitime

que dans des cas où 1) l’État partie à la Convention ayant la compétence territoriale aurait

autorisé l’emploi de produits chimiques toxiques; 2) l’autorisation porterait sur un emploi

à des fins de maintien de l’ordre public; et 3) l’emploi serait conforme à l’exigence

relative aux «types et quantités

Les règles internationales sur la compétence d’exécution démontrent que le sens

usuel de l’expression «maintien de l’ordre public» utilisée à l’article II, par. 9, al. d)

72. Les règles relatives à la compétence normative73.» Deux principes fondamentaux étayent cette74, et deuxièmement le principe qui interdit l’ingérence dans les affaires intérieures75. Des mesures destinées à faire respecter le droit pénal ne peuvent être76».

72

American Law Institute Publishers, St. Paul, 1986, par. 431(1). En droit international, un État exerce

sa compétence normative sur : 1) des comportements, des personnes ou des activités qui se situent en

totalité ou en grande partie sur son territoire ou dans des zones relevant de sa juridiction; 2) les

activités, les intérêts, le statut ou le relations de ses ressortissants à l’extérieur comme à l’intérieur de

son territoire et des zones soumises à sa juridiction; et 3) les comportements hors de son territoire ou

des zones soumises à sa juridiction a) qui ont ou qui sont destinées à avoir un effet substantiel sur son

territoire, et b) par des personnes qui ne sont pas ses ressortissants, qui visent à porter atteinte à la

sûreté de l’État ou à une catégorie limitée d’autres intérêts de l’État.

telle base, cependant, l’exercice de la compétence doit en outre être raisonnable.

American Law Institute, Restatement (Third) of the Foreign Relations Law of the United States,Ibid. par. 402. Même avec uneIbid., par. 403.

73

Ibid., p. 329 [notre traduction].

74

Art. 2, par. 1 de la Charte des Nations Unies.

75

Ibid., art. 2, par. 7.

76

opérations navales (

d’un agent de lutte antiémeute en temps de paix est admissible «hors d’une base militaire à des fins de

maintien de l’ordre s’il est spécifiquement autorisé par le gouvernement hôte». Steven F. Day, «Legal

considerations in noncombatant evacuation operations»,

[notre traduction].

La pratique des États-Unis reflète cette interprétation. Le manuel du commandant sur le droit desCommander’s Handbook on the Law of Naval Operations) indique que l’emploiNaval Law Review, Vol. 40, 1992, p. 45, p. 60

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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inclut l’application de la loi nationale sur le propre territoire de l’État ou dans des zones

soumises à sa juridiction. L’expression «maintien de l’ordre public», dans son acception

usuelle, exclut l’application extraterritoriale du droit national, parce qu’une telle

application dépend entièrement du consentement d’un autre État.

L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit international

La question de savoir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques

toxiques pour faire respecter le droit international a aussi été soulevée

de l’expression «maintien de l’ordre public», dans le cadre de l’objet et de la portée de la

Convention sur les armes chimiques, inclut-il l’application du droit international ?

Considérer que la notion de «maintien de l’ordre public» formulée à l’article II,

par. 9, al. d) inclut le droit international exigerait une conception peu orthodoxe de la

relation entre le droit international et les mesures d’application du droit. La question de

savoir si le droit international est exécutoire est un débat ancien, et de ce fait il paraît bien

peu plausible d’inclure ce droit dans la notion usuelle de «maintien de l’ordre public». La

nature décentralisée et anarchique des relations internationales complique son

application, d’où la controverse : le droit international contient peu de mécanismes

centralisés qui permettraient à des États d’en contraindre d’autres à le respecter. Comme

indiqué dans

en ce qui concerne les moyens à disposition pour faire respecter ses règles

conséquent, et étant donné la relation générale qui existe entre le droit international et son

application, il serait peu crédible d’affirmer que le sens usuel du «maintien de l’ordre»

englobe le droit international au même titre que le droit national.

Le respect du droit international est aussi soumis aux principes qui régissent la

manière dont les États devraient traiter les différends relatifs à des violations du droit

international. Le règlement pacifique des différends est un principe d’application

générale

la violence et aux armes. Les États peuvent prendre des contre-mesures pacifiques (des

sanctions économiques, par exemple) afin d’essayer de contraindre un autre État à

respecter ses obligations découlant du droit international. Le règlement pacifique des

différends n’englobe cependant pas l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire

respecter le droit international. Rien, en droit international, ne justifie l’emploi par un

État de produits chimiques toxiques pour obliger un autre État à respecter le droit

international.

77. Le sens ordinaireOppenheim’s International Law, le droit international présente des carences78. Par79, selon lequel les États doivent régler leurs différends sans recourir à la force, à

Le maintien de l’ordre public et le droit de recourir à la force en cas de légitime défense

On pourrait arguer qu’un État partie à la Convention sur les armes chimiques serait en

droit d’utiliser des produits chimiques toxiques, en application de la disposition sur le

maintien de l’ordre public, dans l’exercice de son droit inhérent à la légitime défense

contre une attaque armée ou une autre forme d’agression illégale par des parties étatiques

77

explicitement quelles sources de droit les États pourraient faire respecter en invoquant l’article II,

par. 9, al. d). Il semble donc possible que les États pourraient souhaiter invoquer le droit international

pour justifier leurs activités •de maintien de l’ordre public’.» Chayes et Meselson,

p. 15 [notre traduction].

Comme l’ont relevé Chayes et Meselson, la Convention sur les armes chimiques «n’indique pasop. cit. (note 44),

78

Oppenheim’s International Law, 9e éd., Longmans, Londres, 1992, p. 11.

79

Art. 2, par. 3 et 4 et art. 33, par. 1 de la Charte des Nations Unies.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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ou non étatiques. En d’autres termes, l’emploi par un État de produits chimiques toxiques

ferait partie de la mise en oeuvre des règles juridiques internationales prohibant le recours

à la force. Or rien, en droit international, n’étaye cette argumentation. La légitime défense

est un droit inhérent des États, et non un mécanisme de «maintien de l’ordre public

Qui plus est, le texte de la Convention sur les armes chimiques, son contexte, son

objet et sa raison d’être servent l’objectif d’éliminer l’emploi des produits chimiques

toxiques dans les conflits armés. Autoriser l’emploi de produits chimiques toxiques dans

le cadre du droit à la légitime défense contre une agression reviendrait à autoriser

l’emploi des armes chimiques dans un conflit armé; c’est précisément là ce que la

Convention sur les armes chimiques interdit. Le même raisonnement s’applique aux

conflits armés menés par les forces armées d’un État hors de son territoire, que ces

opérations concernent des interventions collectives de sécurité autorisées par le Conseil

de sécurité de l’ONU, des interventions humanitaires ou des mesures de légitime défense

préventives.

80».

Activités extraterritoriales de maintien de l’ordre public menées par des forces armées et

autorisées par le droit international

Ainsi, l’article II, par. 9, al. d) n’autorise pas les États parties à la Convention sur les

armes chimiques à employer des produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit

international. Le droit international autorise cependant certaines activités

extraterritoriales de maintien de l’ordre public par des forces armées, dans des opérations

militaires tant traditionnelles que non traditionnelles. Ces activités sont couvertes par

l’article II, par. 9, al. d).

Le droit international reconnaît un certain nombre de situations dans lesquelles des

forces militaires mènent des activités de maintien de l’ordre en relation avec des

opérations militaires de type traditionnel. Ces situations sont généralement liées au

maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans des zones placées sous l’autorité de

forces militaires. En premier lieu, le droit international humanitaire reconnaît la

responsabilité de la Puissance occupante « d’assurer l’administration régulière du

territoire

disposition conférait à la puissance occupante des pouvoirs «en sa qualité de Puissance

responsable de l’ordre et de la vie publics

et de la sécurité publics peut inclure, par exemple, des activités destinées à contenir des

foules civiles afin d’empêcher des désordres dans le territoire occupé.

Deuxièmement, le droit international humanitaire autorise aussi les forces

occupantes à assurer la sécurité de leurs membres et de leurs biens, de l’administration

d’occupation, ainsi que des établissements et des lignes de communications utilisés par

elle

et à faire appliquer une législation pénale afin de protéger leurs soldats, leurs

administrateurs, leurs bâtiments, leurs lignes de communication, leur matériel et d’autres

81». Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a relevé que cette82». L’exercice de cette responsabilité de l’ordre83. Les forces d’occupation sont donc autorisées, en droit international, à promulguer

80

Ibid., art. 51.

81

12 août 1949, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 75, p. 287 (ci-après, «CG IV»).

Art. 64, Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,

82

de Genève

p. 362.

Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, IV : La Conventionrelative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, CICR, Genève, 1956,

83

Art. 64, CG IV.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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types de biens contre les problèmes ou les menaces dues aux non-combattants dans le

territoire occupé

Troisièmement, le droit international humanitaire reconnaît qu’outre les lois du

territoire occupé, la puissance occupante peut faire respecter des lois qu’elle promulgue

elle-même conformément aux responsabilités qui lui incombent en vertu du droit

international relatif à l’occupation

des armes de maintien de l’ordre comme les agents de lutte antiémeute, qui sont

employés pour maîtriser des foules civile et pour sauvegarder l’ordre et la sécurité

publics.

Quatrièmement, le droit international humanitaire autorise les forces militaires à

réglementer le comportement des prisonniers de guerre

faire respecter des lois, des règlements et des ordonnances concernant les prisonniers de

guerre

circonstances extrêmes telles que des tentatives de fuite

appropriées aux circonstances soient restées sans réponse. Selon le CICR, la puissance

détentrice peut recourir à la force contre des prisonniers de guerre qui se rebellent ou se

mutinent : «Avant de faire usage de leurs armes de guerre, les sentinelles peuvent utiliser

d’autres moyens ne causant pas de blessures mortelles et que l’on peut à la rigueur

considérer comme des sommations, tels que l’emploi de gaz lacrymogènes, matraques,

etc.

Ces quatre contextes dans lesquels le droit international reconnaît la légitimité

d’activités extraterritoriales de maintien de l’ordre par les forces militaires montrent que

l’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur les armes chimiques englobe ces activités.

Cette interprétation couvre certaines des circonstances dans lesquelles les États-Unis

revendiquent la possibilité d’employer des agents de lutte antiémeute dans des situations

militaires, à savoir : 1) dans des zones se trouvant sous le contrôle militaire direct et

distinct des États-Unis, y compris pour maîtriser des mutineries de prisonniers de guerre,

et 2) dans des zones situées à l’arrière du front, pour protéger les convois contre les

troubles civils

L’analyse qui précède s’applique aussi aux activités militaires non traditionnelles

telles que les opérations de maintien de la paix, reconnues comme légitimes en droit

84.85. Ces pouvoirs peuvent comprendre des techniques et86. Les forces militaires peuvent87 et peuvent utiliser des armes contre des prisonniers de guerre dans des88, après que des sommations89»90.

84

puissance occupante dans un rapport sur les armes «non létales» financé par le Council on Foreign

Relations. En réponse à l’invasion par des civils d’une base militaire occupée par l’armée américaine à

Bagdad, et à la tentative de pillage, le personnel militaire américain a employé diverses armes «non

létales», dont un agent de lutte antiémeute — le gaz poivré — pour évacuer les civils du bâtiment.

Independent Task Force,

Foreign Relations, 2004, p. 51. Voir aussi Davison et Lewer 2005,

(décrivant l’emploi de divers agents de lutte antiémeute dans des opérations militaires des États-Unis

en Irak et en Afghanistan).

On trouve un exemple de l’emploi d’un agent de lutte antiémeute pour protéger les biens de laNon-Lethal Weapons and Capabilities, Washington, D.C., Council onop. cit. (note 11), pp. 22-24

85

CG IV, art. 64 à 78.

86

1949, Recueil de Traités des Nations Unies, vol. 75, p. 135 (ci-après, «CG III»).

Art. 41 et 82, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août

87

Art. 82, CG III.

88

Art. 42, CG III.

89

Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,

Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, III : La Convention deCICR, Genève, 1958, p. 262.

90

États-Unis, Executive Order 11850, Federal Register, Vol. 40, 1975, p. 161, par. (a), (d).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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international. Les opérations militaires non traditionnelles sont reconnues légitimes en

droit international si elles sont conduites 1) en réponse à une demande d’envoi de forces

de maintien de la paix émanant d’un État souverain, et 2) en tant qu’opérations de

maintien de la paix autorisées par le Conseil de sécurité de l’ONU en vertu du

Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Les forces militaires menant des opérations de maintien de la paix se trouvent

souvent responsables de la sécurité et du maintien de l’ordre public pour des populations

civiles. Elles peuvent être amenées à faire respecter la loi (par exemple en arrêtant des

personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre ou en libérant des otages),

et elles peuvent faire face à des menaces causées par l’action de non-combattants contre

la sécurité de leur personnel et de leur matériel

auxquelles sont confrontées les forces armées face aux populations civiles durant des

opérations de maintien de la paix qui ont motivé en partie l’intérêt des militaires à l’égard

des armes «non létales» au cours des dix dernières années

Ainsi, la Convention sur les armes chimiques autorise l’emploi par les forces

armées d’agents de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre lors d’opérations

militaires non traditionnelles autorisées par le droit international. Cette interprétation est

conforme aux revendications des États-Unis, selon lesquels leurs forces armées peuvent

recourir légitimement aux agents de lutte antiémeute dans les contextes suivants :

1) opérations militaires menées en temps de paix dans une zone de conflit armé en cours

lorsque les États-Unis ne sont pas parties au conflit; 2) opérations de maintien de la paix

autorisées par l’État hôte, y compris opérations de maintien de la paix menées

conformément au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies; et 3) opérations de

maintien de la paix dans lesquelles l’emploi de la force est autorisé par le Conseil de

sécurité de l’ONU en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies

Cette interprétation, toutefois, n’étaye pas la position des États-Unis selon laquelle

ils seraient en droit d’utiliser des agents de lutte antiémeute contre des forces

combattantes dans les opérations militaires non traditionnelles énumérées ci-dessus

types d’activités de maintien de l’ordre que le droit international autorise des forces

militaires à entreprendre dans des opérations militaires traditionnelles et non

traditionnelles concernent des contacts entre troupes militaires et des non-combattants —

prisonniers de guerre ou civils —, et non des affrontements entre forces combattantes.

L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) telle que présentée ci-dessus a deux

conséquences qui méritent d’être soulignées. Premièrement, elle signifie que dans des

situations extrêmes de maintien de l’ordre, les forces militaires qui mènent hors de leur

territoire national des activités de maintien de l’ordre autorisées par le droit international

91. Ce sont d’ailleurs les difficultés92.93.94. Les

91

au Kosovo en mars 2004, l’Allemagne a annoncé son intention d’équiper ses troupes de maintien de la

paix d’agents de lutte antiémeute. Davison et Lewer 2004,

les forces armées françaises ont employé des agents de lutte antiémeute contre des civils qui

protestaient violemment contre l’intervention militaire française faisant suite à une attaque lancée par

l’aviation du pays contre les forces françaises de maintien de la paix. Davison et Lewer 2005,

Après s’être trouvée dans l’incapacité d’empêcher que des foules violentes attaquent des monastèresop. cit. (note 11), p. 34. En Côte d’Ivoire,op. cit.

(note 11), p. 53.

92

Fidler, op. cit. (note 2), p. 58.

93

US Senate Executive Resolution No. 75 – Relative to the Chemical Weapons Convention,

Congressional Record

, Vol. 143, p. S3373-01, 17 avril 1997, par. 26A.

94

Ibid.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

25

e siècle

dans le cadre d’opérations militaires traditionnelles et non traditionnelles pourraient ne

pas être limitées à l’emploi d’agents de lutte antiémeute. La pratique des États suggère

cependant que la Convention sur les armes chimiques est plus restrictive en ce qui

concerne l’emploi par les forces militaires de produits chimiques toxiques dans de telles

activités. Qui plus est, les États parties à la Convention sur les armes chimiques — les

États-Unis y compris — n’ont jamais employé, ni revendiqué le droit d’employer, des

produits chimiques autres que des agents de lutte antiémeute dans les types d’activités de

maintien de l’ordre autorisées par le droit international dans des opérations militaires

traditionnelles et non traditionnelles

deux facteurs : premièrement, ces activités sont extraterritoriales et ne bénéficient donc

pas de la latitude que le droit international reconnaît aux gouvernements sur leur propre

territoire; et 2) elles sont menées par des forces armées. L’objet et la raison d’être de la

Convention sur les armes chimiques signifient que les activités militaires

extraterritoriales au cours desquelles sont employés des produits chimiques toxiques

exigent un degré de surveillance accru et des mesures de sauvegarde supplémentaires.

La deuxième conséquence de l’interprétation ci-dessus de l’article II, par. 9, al. d)

est qu’elle couvre un grand nombre, mais pas la totalité, des emplois d’agents de lutte

antiémeute que les États-Unis affirment être autorisés par la Convention sur les armes

chimiques. Elle ne couvre pas deux situations dans lesquelles les États-Unis considèrent

que l’emploi d’agents de lutte antiémeute est légalement acceptable : 1) les situations

dans lesquelles des civils sont employés pour dissimuler ou camoufler des attaques et où

il est possible de limiter, voire de réduire à zéro, le nombre de victimes civiles; et 2) les

missions de sauvetage dans des zones éloignées d’équipages et de passagers d’avions

abattus, et de prisonniers de guerre en fuite

celles dans lesquelles les forces armées peuvent s’engager dans les types d’activité de

maintien de l’ordre sanctionnées par le droit international.

L’emploi d’agents de lutte antiémeute contre des combattants ennemis qui tentent

de capturer l’équipage et les passagers d’avions abattus, ou contre des prisonniers de

guerre en fuite, ou contre des combattants ennemis qui emploient des civils comme

boucliers humains ou pour dissimuler des attaques, ressemble davantage à une méthode

de guerre qu’à un objectif de maintien de l’ordre public. Aucun de ces actes ne répond au

type d’activité de maintien de l’ordre entreprises par des forces militaires et autorisées

95, 96. Cette interprétation plus restrictive s’appuie sur97. Ces deux situations ne sont pas similaires à

95

antiémeute en Irak en 2003, dans les circonstances spécifiées par le décret-loi (Executive Order)

11850. Neil Davison et Nicholas Lewer,

Report No. 4,

n’emploieraient des agents de lutte antiémeute en Irak qu’à des fins de maîtrise d’émeutes. Davison et

Lewer 2004,

Le président Bush a autorisé les forces armées des États-Unis à employer des agents de lutteBradford Non-Lethal Weapons Research Project Research2003, p. 13. Les autorités militaires britanniques ont indiqué en mars 2003 qu’ellesop. cit. (note 11), p. 34.

96

que les produits malodorants, dans la catégorie des agents de lutte antiémeute. C’est ce qu’ont fait les

États-Unis (Davison et Lewer 2003,

pour des produits chimiques incapacitants plus puissants. Comme le relève un rapport du National

Research Council, «l’emploi de produits sédatifs a (...) été envisagé par rapport à des situations de

prise d’otages et pour traiter des prisonniers •ingérables’, mais pas pour des situations d’émeute dans

lesquelles les personnes rendues inconscientes risqueraient d’être piétinées ou écrasées par les

émeutiers». Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,

Cette situation représente une incitation à tenter de faire entrer de nouveaux composés chimiques, telsop. cit. (note 95), p. 10). Ce procédé, toutefois, ne peut être utiliséop. cit.

(note 62), p. 27 [notre traduction].

97

États-Unis, Executive Order 11850, op. cit. (note 90), par. (b)-(c).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

26

e siècle

par le droit international. L’interprétation présentée ici de l’article II, par. 9, al. d) est

conforme aux principes de l’interprétation des traités, parce qu’elle fait la distinction

entre les objectifs de maintien de l’ordre public autorisés par l’article II, par. 9, al. d) et

les méthodes de guerre interdites par l’article premier, par. 5.

Le maintien de l’ordre public et la répression des insurrections

Les opérations de répression de l’insurrection en Irak ont soulevé la question de savoir si

les forces armées pouvaient utiliser dans ce cadre des agents de lutte antiémeute ou des

produits chimiques incapacitants. En d’autres termes, peut-on considérer les activités de

lutte contre l’insurrection menées par des forces militaires comme des opérations menées

à des fins de maintien de l’ordre public aux termes de l’article II, par. 9, al. d) ? Le

contexte de l’insurrection pose des problèmes conceptuels, car il est à cheval entre les

notions traditionnelles de conflit armé entre États et de maintien de l’ordre à l’intérieur

d’un État. Les situations d’insurrection et de violences civiles organisées à grande échelle

ont posé par le passé des difficultés en termes de droit international humanitaire, comme

le montrent les controverses qui ont entouré la négociation du Protocole additionnel II sur

les conflits armés non internationaux. Il n’est donc pas surprenant que les situations

insurrectionnelles créent des problèmes en ce qui concerne l’interprétation de l’article II,

par. 9, al. d).

Les règles du droit international humanitaire sur les conflits armés non

internationaux s’appliquent aux conflits qui se déroulent sur le territoire d’un État entre

des forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui

exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des

opérations militaires continues et concertées

entre le conflit armé et le maintien de l’ordre à l’intérieur d’un État. Ainsi, le Protocole

additionnel II est une source pertinente en ce qui concerne les règles applicables pour

l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d).

Une action militaire menée contre des insurgés qui exercent un contrôle sur une

partie du territoire d’un État et qui mènent des opérations militaires continues et

concertées constitue un conflit armé plutôt qu’une action de maintien de l’ordre, et ne

tombe donc pas sous le coup de l’article II, par. 9, al. d). L’interdiction de l’emploi

d’armes chimiques «en aucune circonstance

que les conflits internationaux. Ce raisonnement suggère aussi que l’emploi d’agents de

lutte antiémeute dans des opérations contre une insurrection serait un moyen de guerre

prohibé par l’article premier, par. 5 de la Convention. La pratique étatique des forces

militaires en Irak à ce jour étaye cette interprétation, car ces forces n’ont pas employé

d’agents de lutte antiémeute ni de produits chimiques incapacitants dans leurs opérations

de lutte contre l’insurrection.

98. Ce seuil trace une ligne de démarcation99» englobe les conflits civils au même titre

98

protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, Recueil des

traités des Nations Unies, Vol. 1125, p. 609.

Art. premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la

99

Art. premier, par. 1 de la Convention sur les armes chimiques.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

27

e siècle

Moscou, le maintien de l’ordre public et la Convention sur les armes

chimiques

L’analyse détaillée de la disposition de la Convention sur les armes chimiques touchant le

maintien de l’ordre public à laquelle nous venons de nous livrer est motivée par l’onde de

choc qu’a suscité, dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international,

l’emploi du fentanyl pour mettre un terme à la crise des otages à Moscou. La plupart des

expert sont tombés d’accord pour considérer que l’emploi du fentanyl par la Russie

tombait bien sous le coup de l’article II, par. 9, al. d), mais il subsistait des incertitudes et

des inquiétudes quant au sens de cette disposition et quant à son application dans des

contextes autres que le scénario de Moscou, auxquelles il était urgent d’apporter une

réponse. L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) donnée ci-dessus répond à de

nombreuses questions soulevées sur cette disposition, ainsi qu’aux craintes selon

lesquelles les événements de Moscou auraient démontré, comme certains commentateurs

l’ont affirmé, l’existence d’«une grave lacune» qui rendrait la Convention sur les armes

chimiques vulnérable «aux progrès de la science et des techniques

disposition relative au maintien de l’ordre est complexe, mais l’analyse faite à la lumière

des événements de Moscou montrent qu’elle ne prive pas la Convention de son objet et

de sa raison d’être en cas de manipulations, bien ou mal intentionnées, des progrès de la

science et de la technique. Il est important, après les événements de Moscou, d’expliciter

cette disposition, mais comme nous le verrons dans la section suivante, l’impact de ces

faits sur le débat concernant les armes «non létales» et le droit international dépasse la

seule question de déterminer le sens de la disposition relative au maintien de l’ordre

public dans la Convention sur les armes chimiques.

100». Certes, la

Comprendre les événements de Moscou : les armes «non létales» et le

droit international, aujourd’hui et demain

Les armes «non létales» chimiques et biologiques et le droit international :

une ère nouvelle ?

Au-delà de l’impact exercé par la crise de Moscou sur l’interprétation de la Convention

sur les armes chimiques, on décèle un changement d’attitude parmi des responsables

influents aux États-Unis quant à la question de savoir s’il est bien judicieux de chercher à

développer des capacités de production d’armes «non létales» chimiques ou biologiques.

Ce changement est perceptible dans deux rapports produits par des groupes de travail sur

les armes non létales, rapports financés par un organe influent, le Council on Foreign

Relations (Conseil sur les relations étrangères, CFR), et publiés l’un avant, l’autre après

les événements de Moscou. En 1999, un groupe de travail débattant des capacités de

production d’armes chimiques et biologiques estimait que «la sécurité des États-Unis

pourrait, dans certaines circonstances, être renforcée par la modification d’un traité

101»,

100

traduction].

«New weapon technologies and the loophole in the Convention», op. cit. (note 38), p. 2 [notre

101

Independent Task Force 1999, op. cit. (note 35).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

28

e siècle

ce qui laissait entendre que des personnalités influentes, aux États-Unis, envisageaient la

possibilité d’amender la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les

armes biologiques.

Un autre groupe de travail du CFR est cependant parvenu en 2004 à une conclusion

opposée. Ce groupe «a examiné les avantages ainsi que les problèmes qui découleraient,

soit d’une tentative de la part des États-Unis d’interpréter la Convention sur les armes

chimiques, ou d’une initiative des États-Unis pour amender la Convention ou la dénoncer

afin de pouvoir employer des produits chimiques comme armes •non létales’ contre des

combattants ennemis

suivante :

«Le groupe de travail considère que chercher à obtenir un amendement à la

Convention sur les armes chimiques, ou simplement affirmer le droit d’employer

les agents de lutte antiémeute comme méthode de guerre, risquerait de

compromettre la légitimité de toutes les armes non létales. Ceci ouvrirait la porte à

d’autres acteurs pour leur permettre de conduire ouvertement et légitimement des

activités de recherche-développement gouvernementales ciblées, susceptibles de

déboucher plus probablement sur des agents létaux perfectionnés que sur une

amélioration des capacités de production d’armes non létales. (...) Le groupe de

travail estime donc, tout bien considéré, que la manière la plus avisée de procéder

pour les États-Unis consiste à réaffirmer son appui à la Convention sur les armes

chimiques et à la Convention sur les armes biologiques, et d’être à la pointe des

efforts destinés à garantir le respect des traités par les autres pays

Le changement de cap constaté entre le rapport de 1999 et la conclusion du rapport

de 2004 dénote une prise de conscience croissante du fait qu’assouplir les exigences de la

Convention sur les armes chimiques ou de la Convention sur les armes biologiques dans

l’optique de favoriser le développement des armes «non létales» non seulement nuirait à

la sécurité nationale des États-Unis en incitant d’autres États à poursuivre des travaux de

recherche facilement exploitables à des fins létales, mais encore — pour citer les termes

du groupe de travail de 2004 — saperait la légitimité de toutes les armes «non létales».

Le groupe de travail de 2004 s’est exprimé en faveur du développement des armes non

létales

reviendrait à saper les progrès vers cet objectif. Ce groupe de travail souhaitait éviter la

politique délétère ainsi que les effets juridiques dus au «brouillard de fentanyl» dans le

cadre du mouvement général en faveur du développement des armes non létales.

Il y a aussi d’autres indications qui permettent de conclure que les perspectives et

l’enthousiasme concernant un développement plus énergique des capacités en matière

d’armes chimiques n’ont guère le vent en poupe. Le juriste David Koplow a affirmé que

l’idée d’amender la Convention sur les armes chimiques pour autoriser l’emploi militaire

d’armes chimiques «non létales» — qu’il s’agisse d’agents de lutte antiémeute ou de

produits chimiques incapacitants — était totalement utopique

Procureur général aux forces armées a admis que la Convention sur les armes chimiques

102». Cette analyse a conduit le groupe de travail à la conclusion103104, mais il a conclu que laisser ouvertes les options chimique ou biologique105. Un juriste auprès du

102

Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 31.

103

Ibid., p. 32.

104

Ibid., p. 1.

105

armes «non létales» David Koplow lors de la Non-Lethal Defense Conference VI en mars 2005).

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26 (rapportant les commentaires du juriste expert en

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

29

e siècle

interdisait l’emploi à des fins militaires d’agents chimiques sédatifs, mettant en question

la licéité de tout intérêt militaire à l’égard d’armes incapacitantes de cette nature

Le changement de position des groupes de travail du CFR ne signifie certes pas que

l’intérêt ou les controverses à l’égard des armes «non létales» chimiques et biologiques

employées à des fins militaires se seraient évanouis. D’aucuns continuent à plaider pour

des armes «non létales» chimiques et biologiques qui exigeraient des modifications du

droit international

l’égard des produits chimiques incapacitants ne faiblit pas

l’OTAN mentionne les armes biologiques antimatériel comme une technologie

intéressante

armes biologiques

les armes biologiques antimatériel n’étaient pas autorisées par cette Convention

arguments sont avancés selon lesquels la Convention sur les armes chimiques ne régirait

pas les produits malodorants, ce qui signifierait que les forces armées seraient en droit de

les employer dans un conflit armé

de nouveaux produits chimiques incapacitants pourraient être qualifiés d’agents de lutte

antiémeute, pour couvrir les activités de recherche-développement sous prétexte de buts

de maintien de l’ordre

106.107. Qui plus est, selon certaines indications, l’intérêt des militaires à108. Ainsi, un rapport de109, malgré le fait que ces armes soient interdites par la Convention sur les110, et en dépit d’un rapport antérieur de l’OTAN qui avait conclu que111. Des112. Des appréhensions sont exprimées quant au fait que113. Des préoccupations croissantes se font jour, en outre,

106

«il était probable que ces types de systèmes d’armement [sédatifs] étaient prohibés par la Convention

sur les armes chimiques» [notre traduction]).

Ibid. (rapportant l’avis d’un juriste des services du Procureur général aux forces armées, selon lequel

107

Conference VI en mars 2005, John Alexander, partisan des armes «non létales», avait affirmé que «la

question des armes chimiques et biologiques devrait être réexaminée en ce qui concerne les armes non

létales, car le droit international interdisant leur mise au point était •dépassé’» [notre traduction]).

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21 (signalant que lors de la Non-Lethal Defense

108

un programme secret d’armes chimiques, en violation de la Convention sur les armes chimiques. «US

military operates secret chemical weapons program»,

Sunshine Project, 24 septembre 2002.

Dando, op. cit. (note 54), p. 17. Une organisation non gouvernementale a accusé les États-Unis d’avoirSunshine Project Aerogramme, No. 2002/05,

109

Operations, doc. RTO-TR-SAS-040, novembre 2004, pp. 3-6.

Organisation pour la recherche et la technologie, Non-Lethal Weapons and Future Peace Enforcement

110

Department of the Navy Office of the Judge Advocate General, 30 novembre 1997, p. 21 («La

Convention sur les armes biologiques, et — de manière plus explicite — les textes d’application

nationaux [des États-Unis], interdisent la mise au point, la production et le stockage d’agents

biologiques destinés à être utilisés comme armes. La loi définit les agents biologiques de manière

large, de façon à y inclure les agents employés à des fins antimatériel» [notre traduction]).

Voir, p. ex., Preliminary Legal Review of Proposed Chemical-Based Nonlethal Weapons, US

111

des technologies de l’Assemblée de l’Atlantique Nord, doc. AP 238 STC (97) 8, octobre 1997, par. 19

(indiquant que «l'utilisation d'agents biologiques destinés à rendre les carburants inertes ou à détruire

des matériaux utilisés dans du matériel militaire, même si leur but n'est pas meurtrier», serait interdite

par la Convention sur les armes biologiques).

Voir Lord Lyell, Rapporteur général, Les armes non létales, rapport de la Commission des sciences et

112

communication présentée lors du 3

12 mai 2005 à Ettlingen (Allemagne), p. 7 (affirmant que les produits malodorants ne sont pas des

produits chimiques toxiques au sens de la Convention sur les armes chimiques); Jared Silberman,

«Non-lethal weaponry and non-proliferation»,

Vol. 19, 2005, pp. 347-348 (juriste de la marine des États-Unis affirmant que «l’on pourrait voir

apparaître, à terme, l’emploi de produits malodorants, une façon de refuser l’accès à un ennemi» [notre

traduction]).

Massimo Annati, «Military use of chemical riot control agents: A case for legal assessment»,e Colloque européen sur les armes non létales organisé du 10 auNotre Dame Journal of Law, Ethics and Public Policy,

113

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

30

e siècle

concernant les armes «biochimiques» dites incapacitantes, qui recourent à des substances

qui pourraient être classées comme des toxines aux termes de la Convention sur les armes

biologiques ou comme des produits chimiques toxiques aux termes de la Convention sur

les armes chimiques

sur les armes «non létales» chimiques, biologiques et biochimiques demeure de mise.

Néanmoins, le changement d’attitude manifeste parmi les personnalités influentes

du CFR — auquel s’ajoutent les arguments et les efforts soutenus des sceptiques au sujet

des armes «non létales» — indique une rupture majeure à l’égard des armes chimiques et

biologiques dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international après la

crise de Moscou. Il faudra attendre la décennie à venir pour savoir si cette rupture est

permanente ou éphémère.

U

droit international

114. Toutes ces observations signifient que la vigilance internationalene voie moins balisée : les autres technologies d’armes «non létales» et le

Comme l’a montré la crise de Moscou, et comme l’a reconnu le dernier groupe de travail

du CFR, le développement d’armes «non létales» chimiques ou biologiques suscite de

très vives controverses, liées en grande partie à la manière «concentrée» dont le droit

international réglemente les armes chimiques et biologiques. Or, il existe d’autres

techniques utilisées dans les armes «non létales» qui ne font pas l’objet du même degré

d’attention de la communauté internationale, sur le plan juridique, que les agents

chimiques ou biologiques. Il n’existe rien de comparable à la Convention sur les armes

chimiques ou à la Convention sur les armes biologiques en ce qui concerne les

technologies d’armes «non létales» cinétiques, acoustiques, électriques, à

microfréquences et électromagnétiques, ce qui crée un cadre plus propice à la recherchedéveloppement.

Les règles du droit international humanitaire et du droit international des

droits de l’homme qui s’appliquent sont de nature générale (interdisant, par exemple,

qu’une arme cause des maux superflus, ou encore prohibant la torture ou les traitements

cruels, inhumains ou dégradants), mais ne concernent pas une technologie particulière.

Cette situation facilite le passage d’une technologie du stade de la recherchedéveloppement

au stade du déploiement. Bien que certaines de ces techniques suscitent

des préoccupations, comme le montrent les controverses autour des armes Taser

l’exploration de ces possibilités d’armes «non létales» ne rencontre actuellement aucun

obstacle comparable au «brouillard de fentanyl».

Il est intéressant de noter que d’aucuns, parmi les partisans des armes «non létales»,

cherchent à éviter la mise en place d’une réglementation plus stricte de ces technologies à

l’échelle internationale. Ainsi, en novembre 2004, l’Organisation pour la recherche et la

technologie de l’OTAN a recommandé que, «afin de garantir que les forces de l’OTAN

conservent leur capacité d’accomplir leurs missions, les pays membres de l’OTAN

115,

114

Project Research Report No. 5

Dando, «L’utilisation des neurosciences à des fins malveillantes»,

pp. 20-27; Kathryn Nixdorff, «À l’attaque du système immunitaire»,

pp. 30-40.

Neil Davison, «Weapons focus: Biochemical weapons», in Bradford Non-Lethal Weapons Research, mai 2004, pp. 27-34; Wheelis, op. cit. (note 52), pp. 6-13; MalcolmForum du Désarmement, 2005,Forum du Désarmement, 2005,

115

controverses autour des armes Taser).

Voir Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), pp. 34-41 (où les auteurs passent en revue les

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

31

e siècle

demeurent vigilants à l’égard du développement de régimes juridiques spécifiques qui

limiteraient sans nécessité la capacité d’employer des armes non létales

L’Organisation pour la recherche et la technologie n’a pas pour autant manifesté

d’opposition ouverte au rôle du droit international concernant les armes «non létales»,

puisqu’elle a insisté sur le devoir des pays membres de l’OTAN d’examiner la licéité des

armes nouvelles, et sur la nécessité de déterminer si le droit international humanitaire

traitait de manière appropriée l’emploi de ce type d’arme

la poursuite du développement d’une réglementation internationale spécifique dénote une

certaine préoccupation quant au fait que le débat sur les armes «non létales» et le droit

international a suscité un élan — ou tout au moins un intérêt marqué — pour une

réglementation juridique internationale des technologies des armes «non létales», ce qui

compromet l’adoption et l’emploi futurs, par les forces militaires, de ces technologies.

Cette recommandation de Organisation pour la recherche et la technologie confirme

cependant un argument invoqué par le camp des sceptiques : il n’existe pas d’arme «non

létale». L’Organisation pour la recherche et la technologie souhaite, pour l’essentiel, que

les règles actuelles qui s’appliquent à toute arme nouvelle s’appliquent aux armes «non

létales». En d’autres termes, il s’agirait de traiter les armes «non létales» comme de

simples armes en vertu des règles existantes. C’est exactement la position que les

sceptiques ont toujours défendue. La crise de Moscou, au demeurant, étaie aussi

l’argument selon lequel la classification des armes en «létales» et «non létales» est

douteuse, en termes empiriques comme sur le plan éthique.

Parallèlement, l’opposition de l’Organisation pour la recherche et la technologie à

une réglementation spécifique des technologies permettant la conception d’armes «non

létales» sape les arguments avancés par leurs partisans pour expliquer pourquoi les armes

«non létales» seraient différentes des autres sur le plan éthique. Si une technologie

nouvelle exige, pour des raisons d’ordre humanitaire ou pour d’autres raisons éthiques,

des règles supplémentaires pour sa mise au point ou pour son emploi, alors la manière

moralement correcte de procéder serait d’élaborer une nouvelle réglementation de la mise

au point et de l’emploi militaires de cette technologie

armes «non létales» seraient différentes sur le plan éthique reposent sur les principes

éthiques du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme existants; or

ces principes mêmes rendent moralement discutable le raisonnement selon lequel il

faudrait s’abstenir de réglementer de manière spécifique les nouvelles technologies de

l’armement destinées à accroître l’efficacité militaire des armes.

Reconnaissons, pour rendre justice à l’Organisation pour la recherche et la

technologie, que sa recommandation concernait des réglementations internationales

spécifiques qui restreindraient de manière «superflue» l’emploi militaire des armes non

létales. Ceci dit, ce qualificatif amène inévitablement une question : qu’est-ce qui

constitue une limite —nécessaire ou superflue — à l’emploi militairement efficace d’une

arme ? Les retombées de la crise de Moscou, y compris l’interprétation de la disposition

sur le maintien de l’ordre dans la Convention sur les armes chimiques, montrent

l’importance d’une réglementation juridique internationale spécifique des technologies de

116».117. Pourtant, le désir de prévenir118. Les arguments selon lesquels les

116

Organisation pour la recherche et la technologie de l’OTAN, op. cit. (note 108), p. iii.

117

Ibid., pp. 4-5.

118

armes à laser aveuglantes.

L’exemple classique de cette dynamique est le processus qui a conduit à l’interdiction de l’emploi des

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

32

e siècle

l’armement. La tension entre les enseignements tirés des événements de Moscou et le

désir de certains partisans des armes «non létales» de prévenir une réglementation

internationale plus poussée des technologies d’armes «non létales» n’est qu’une nouvelle

manifestation de la contradiction ancienne entre l’utilité militaire (définie par la

technologie) et les principes moraux (incarnés dans le droit humanitaire), contradiction

qui habite le droit international humanitaire depuis au moins la fin du XIX

L’avenir du débat sur les armes «non létales» et le droit international verra les partisans et

les opposants de ces armes affronter cette contradiction, avec en toile de fond les

avancées techniques qui ne manqueront pas de redéfinir la nature et l’art de la guerre.

e siècle.

Conclusion

Davison et Lewer ont signalé que, lors d’une grande conférence sur les armes «non

létales» en mars 2005, les partisans de ces armes se sont plaints du fait qu’ils étaient en

train de perdre la «bataille de l’opinion» sous le coup des critiques émises par les

sceptiques et par les médias

médias, de toute évidence, ne «comprennent rien

médias ne sont pas les seuls dans ce cas. En 2004, le groupe de travail du Council on

Foreign Relations des États-Unis sur les armes «non létales» a conclu qu’il avait constaté

«peu de signes d’intérêt, dans les échelons supérieurs du Département de la défense, à

l’égard de la valeur et des applications nouvelles des armes non létales. Malgré des

succès à petite échelle, les armes non létales n’ont pas acquis leur place dans la réflexion

ni dans les achats en matière de défense

La déception des partisans des armes «non létales» quant à leur absence de progrès

reflète la difficulté du contexte actuel, qui s’explique par de nombreux facteurs, au

nombre desquels les événements de Moscou d’octobre 2002. La signification de ces

événements a refroidi aussi bien les avocats de ces armes que les sceptiques, forçant

chaque camp à revoir ses présupposés et ses arguments face à un avenir complexe et

délicat, en particulier en ce qui concerne le rôle du droit international. Le «brouillard de

fentanyl» a représenté, tant pour les partisans que pour les sceptiques de ces armes, une

réalité brutale qui a bouleversé le cadre de la réflexion future sur les armes «non létales».

Le sentiment de frustration ressenti par les tenants des armes «non létales»,

conscients de perdre la bataille en termes de relations publiques, a des causes plus

profondes qu’une simple incapacité de leur part de plaider avec succès la cause de ces

armes. Comme l’a démontré la crise de Moscou, on ne peut manquer de s’interroger

franchement quant au bien-fondé des affirmations sur le caractère «non létal» de ces

armes, et sur leur nature qui les distinguerait fondamentalement des autres armes, sur le

plan éthique, du fait de leur technologie, par opposition aux principes juridiques et

moraux de comportement. Les arguments utilisés par les avocats de ces armes dans la

deuxième moitié des années 1990 n’ont plus la même portée dans le contexte actuel, qui

est plus exigeant. Certains arguments — comme ceux qui plaident en faveur

d’amendements à la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les

armes biologiques — sont désormais considérés, même parmi les partisans des armes

119. Ils se montraient navrés de ce que les critiques et les120». Apparemment, les critiques et les121».

119

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21.

120

Ibid.

121

Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 8 [notre traduction].

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

33

e siècle

«non létales», non plus comme intellectuellement provocants, mais comme tout

simplement dangereux en ce qui concerne la mise au point d’autres techniques.

Les événements de Moscou sont aussi lourds de conséquences pour le camp des

sceptiques. Comme l’a montré l’analyse détaillée présentée ici, la réaction à l’attaque

terroriste du théâtre Nord-Ost a contraint à examiner de manière plus approfondie la

disposition de la Convention sur les armes chimiques concernant le maintien de l’ordre,

dont l’importance est apparue de manière éclatante à cette occasion. En outre, l’intérêt

qui continue à se manifester à l’égard d’un grand nombre de technologies non chimiques

et non biologiques en matière d’armes «non létales» signifie que le débat sur ces armes et

le droit international va se poursuivre pendant des années, mais plutôt porter sur des

techniques dont la mise au point et l’emploi ne sont pas régis par des traités de maîtrise

des armements. Dans l’ère de l’«après-Moscou», la prochaine phase critique sera

déclenchée par les avancées des techniques plus perfectionnées en matière d’armes

cinétiques, électriques, acoustiques, à microfréquences ou électromagnétiques, lorsque

ces nouvelles technologies seront déployées sur le terrain et lorsque l’emploi de telles

armes fournira des données empiriques

Les conséquences des événements de Moscou — la reconnaissance d’une place

pour l’emploi d’armes «non létales», avec en contrepartie la nécessité d’appliquer, de

préciser et de renforcer les paramètres définis par le droit international — préfigurent la

relation future entre ces armes et le droit international, avec les progrès de technologies

plus avancées. En un mot, les événements de Moscou nous montrent que l’évolution

rapide des techniques continuera à mettre à l’épreuve le droit international relatif à la

mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus chargée politiquement,

plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que l’application du droit

international humanitaire, par le passé, à des techniques spécifiquement conçues pour

tuer et pour détruire.

122.

122

à l’adresse <http:// www.usatoday.com/news/world/iraq/2005-07-24-nonlethal-weapons_x.htm> (lien

consulté pour la dernière fois le 27 juillet 2005). Ces progrès sont freinés à l’heure actuelle par le

manque de fonds. Les engagements militaires des États-Unis en Irak et en Afghanistan ont des effets

négatifs sur les perspectives d’un soutien du Département de la défense à la mise au point de

technologies d’armes «non létales». Le fardeau de la recherche-développement retombera donc sur le

secteur privé. Voir Davison et Lewer 2005,

Voir Steven Komarow, «Pentagon deploys array of non-lethal weapons», USA Today, 24 juillet 2005,op. cit. (note 11), p. 22.

Original anglais, « The meaning of Moscow: «Non-lethal» weapons and international law in the early 21st century »,

International Review of the Red Cross,

Vol. 87, No. 859, September 2005, pp. 525-552.

Le sens des événements de

Moscou : les armes «non

létales» et le droit

international à l’orée du

XXI

e siècle

David P. Fidler

Professeur de droit, titulaire de la bourse

de recherche Harry T. Ice, Faculté de droit

de l’Université de l’Indiana, Bloomington,

États-Unis.

Résumé

Le débat sur les armes dites «non létales» se situe au point de contact entre les nouvelles

technologies de l’armement et le droit international humanitaire; ces armes suscitent un

intérêt tout particulier. Cet article analyse la relation entre les armes «non létales» et le

droit international au début du XXI

emblématique survenu à ce jour dans la brève histoire du débat sur ce type d’arme, à

savoir l’emploi d’un produit chimique incapacitant pour mettre un terme à l’attaque

terroriste lancée dans un théâtre de Moscou en octobre 2002. Cet événement tragique a

montré que l’évolution rapide des techniques va continuer de mettre à l’épreuve le droit

international relatif à la mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus

chargée politiquement, plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que

l’application du droit international humanitaire par le passé.

e siècle, en se fondant sur l’événement le plus

*****

Comprendre les événements de Moscou

Depuis une dizaine d’années, le rapport entre les technologies des armes nouvelles et le

droit international humanitaire suscite un débat particulièrement intéressant : celui qui

porte sur les armes dites «non létales». Les aspects techniques, militaires, politiques,

juridiques et éthiques de ces armes ont suscité beaucoup d’attention et de vives

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

2

e siècle

controverses

qu’il s’agit d’autre chose que d’un simple engouement passager au lendemain de la

guerre froide. Il est donc légitime, dans la réflexion sur la manière dont le droit a traité

l’apparition de technologies qui diffèrent, si l’on en croit leurs partisans, de celles des

armes «létales», de s’arrêter sur la place des armes «non létales» dans le droit

international humanitaire, et plus généralement en droit international. Le présent article

analyse la relation entre les armes «non létales» et le droit international au début du

XXI

emblématique survenu à ce jour dans la courte histoire du débat sur ces armes : l’emploi

d’un agent chimique incapacitant pour mettre un terme à une attaque terroriste contre un

théâtre de Moscou en octobre 2002.

L’apparition de nouvelles technologies d’armement est souvent le fruit d’un

moment historique où leur emploi concrétise soudain des questions politiques, juridiques

et morales qui restaient jusque-là abstraites. Le déploiement d’armes chimiques sur les

champs de bataille de la Première Guerre mondiale est encore pour beaucoup dans la

manière dont ces armes sont perçues dans l’opinion. De la même manière, la perception

des armes biologiques est marquée par les horreurs des expériences japonaises réalisées

en la matière en Chine, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les explosions

atomiques qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki en août 1945 pèsent jusqu’à ce jour sur

le débat concernant les armes nucléaires. À l’heure où ces lignes sont écrites,

l’événement le plus significatif à avoir marqué le débat sur les armes «non létales» est

l’emploi d’un agent chimique incapacitant à Moscou en 2002. Si cet événement concerne

surtout les controverses qui entourent les armes chimiques «non létales», les faits

survenus à Moscou ont des répercussions plus vastes pour la relation entre la mise au

point d’armes «non létales» et les règles de droit international; nous y reviendrons plus

loin.

Cet article commence par retracer le déroulement du débat sur les armes «non

létales» et le droit international avant les événements de Moscou. Au cours de cette

période, de nombreux analystes – dont l’auteur du présent article

mise au point et l’emploi de diverses armes «non létales» au regard du droit international

existant, en particulier le droit international concernant le désarmement et le droit

international humanitaire. Ces travaux avaient mis en évidence des divergences de vues

entre les partisans des armes «non létales» et les sceptiques quant au rôle du droit

international dans la mise au point et l’emploi de ces armes. En l’absence de faits, de

preuves ou de données concrets, ce dialogue revêtait par la force des choses un caractère

abstrait, faisant plus de place aux réflexions théoriques qu’à l’analyse empirique

1. L’ampleur, la complexité et l’intensité croissantes de ce débat montrente siècle, en prenant pour point de départ l’événement sans doute le plus2, 3 – avaient étudié la4.

1

bibliographie, compilée par la Air University Library à la base de l’armée de l’air des États-Unis de

Maxwell, à l’adresse <http://www.au.af.mil/au/aul/bibs/soft/nonlethal.htm> (Non-Lethal Weapons,

juillet 2005).

Les publications consacrées aux armes «non létales» sont aujourd’hui légion. On trouvera une

2

International Law,

David P. Fidler, «The international legal implications of •non-lethal’ weapons», Michigan Journal ofVol. 21, 1999, pp. 51-100.

3

David P. Fidler, «•Non-lethal’ weapons and international law: Three perspectives on the future»,

Medicine, Conflict and Survival,

Vol. 17, 2001, pp. 194-206.

4

«non létales» et de leur intégration dans les forces armées et dans la stratégie militaire, une très large

part des analyses juridiques menées sur le plan international ne peuvent se fonder sur aucun précédent,

J’avais ainsi affirmé en 1999 qu’«étant donné le caractère embryonnaire de la mise au point des armes

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

3

e siècle

L’article décrit ensuite le déroulement des faits dans le théâtre de Moscou et la

manière dont cette crise a transformé les arguments abstraits du débat sur les armes «non

létales» en un événement réel d’importance majeure, touchant des questions de vie ou de

mort. L’une des conséquences les plus importantes des événements de Moscou a été de

concentrer l’attention sur la manière dont la Convention sur les armes chimiques

l’emploi d’agents chimiques incapacitants par les forces chargées du maintien de l’ordre,

et cet article donne une interprétation de cet aspect de la Convention à la lumière des

événements de Moscou. Enfin, les relations actuelles et futures entre les armes «non

létales» et le droit international sont examinées dans le contexte de l’«après-Moscou».

5 régit

L’avant-Moscou : le débat sur les armes «non létales» et le droit

international

Le débat sur les implications juridiques internationales des armes «non létales» ne s’est

développé que vers la fin des années 1990, en réaction à l’intérêt croissant manifesté à

l’égard de ces armes par les armées dans divers endroits du monde, et en particulier aux

États-Unis d’Amérique. La question des armes conçues comme étant moins létales que

les armes classiques, ou prétendues telles, avait déjà été abordée en droit international;

des traités sur les armes biologiques, chimiques et classiques réglementaient les capacités

«non létales». Ainsi, la Convention sur les armes biologiques ou à toxines avait interdit la

mise au point d’armes biologiques «non létales», à des fins antipersonnel ou

antimatériel

l’emploi d’armes chimiques, définies comme incluant les produits chimiques toxiques qui

entraînent une incapacité temporaire

d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre

annexé à la Convention sur les armes classiques un protocole interdisant l’emploi des

armes à laser aveuglantes conçues pour provoquer la cécité permanente

Bien qu’il s’agisse là indéniablement d’exemples de dispositions de droit

international régissant les capacités «non létales» des armes, il fallut attendre le milieu

des années 1990 pour que s’instaure un débat réellement centré sur les armes «non

létales» en tant que telles. L’intérêt croissant des militaires — et, dans une moindre

mesure, des forces de maintien de l’ordre

6. La Convention sur les armes chimiques interdisait la mise au point et7. Cette même Convention interdisait aussi l’emploi8. En 1995, les États avaient9.10 — à l’égard de ces armes dans la deuxième

ce qui leur confère un caractère abstrait, voire parfois de pure spéculation». Fidler,

p. 55 [notre traduction].

op. cit. (note 2),

5

armes chimiques et sur leur destruction, 13 janvier 1993, doc. Nations Unies CD/CW/WP.400/Rev. 1.

Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des

6

bactériologiques (biologiques) ou à toxine et sur leur destruction, 10 avril 1972, Recueil des traités des

Nations Unies, Vol. 1015, 1976, pp. 174-179.

Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes

7

Articles I, par. 1 et II, par. 2, de la Convention sur les armes chimiques.

8

Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.

9

l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées

comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination),

13 octobre 1995, doc. Nations Unies CCW/CONF.I/7, 12 octobre 1995.

Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV à la Convention de 1980 sur

10

moitié des années 1990; les forces de police et de sécurité intérieure utilisaient en effet depuis

Les armes «non létales» étaient certes bien connues des services de répression dans la deuxième

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

4

e siècle

moitié de cette décennie a stimulé une analyse juridique spécifique, sur le plan

international, des armes «non létales» en tant que nouvelle catégorie d’armes (voir le

tableau ci-après pour la description des technologies). Les experts prirent position par

rapport aux affirmations selon lesquelles ces armes différaient, non seulement sur le plan

technique mais aussi sur le plan éthique, des armes que le droit international essayait

depuis longtemps de réglementer par les traités de désarmement et par le droit

international humanitaire.

Les principaux domaines technologiques des armes «non létales»

11

Technologie Exemples

Énergie cinétique Munitions à impact (projectiles en mousse de

caoutchouc, chevilles en bois, sacs à fèves, balles en

plastique, canons à eau, anneaux aérodynamiques)

Barrières et filets de rétention ou d’enchevêtrement Dispositifs destinés à ralentir la progression et à

stopper des véhicules ou des bateaux (p. ex. filets,

chaînes, pointes, mousses rigides)

Électricité Technologie d’incapacitation musculaire par

électrochoc (p. ex. arme à électrochoc Taser, «épée

rétractable à décharge électrique», exosquelette à

décharge électrique, arme électrique sans fil (p. ex.

fusil à électrochoc pour combat rapproché (

Quarters Shock Rifle),

laser)

Acoustique Générateurs acoustiques, canons acoustiques,

dispositifs acoustiques à longue portée

Énergie dirigée Micro-ondes à haute puissance, ondes

millimétriques, lasers, armes envoyant des

projectiles à énergie pulsée

Chimie Agents de lutte antiémeute, produits malodorants,

agents antitraction, obscurcissants, mousses

collantes, produits chimiques antimatériel,

défoliants/herbicides

Chimie/biochimie Produits sédatifs, convulsants, agents incapacitants

Biologie Micro-organismes antimatériel, agents anticulture

Technologies combinées Grenades aveuglantes, dispositifs de diffusion

cinétiques et chimiques, dispositifs de diffusion

optiques et chimiques

Vecteurs Munitions «non létales» (p. ex. obus de mortier),

mines terrestres, véhicules et engins nautiques sans

pilote, encapsulation/microencapsulation

longtemps des armes telles que balles en plastique, «sacs à fèves», agents de lutte antiémeute, canons à

eau et matraques. Toutefois, l’intérêt des forces de maintien de l’ordre et leur participation active au

débat sur les armes «non létales» semblent avoir pris de l’ampleur au moment même où les forces

armées commençaient à réfléchir plus sérieusement au déploiement de ce type de techniques.

Closearme à plasma induit par

11

Désarmement,

Research Project Research Report No. 7,

Non-Lethal Weapons Research Project Research Report No. 6,

Nicholas Lewer et Neil Davison, «Tour d’horizon des technologies non létales», Forum du2005, pp. 41-57; Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradford Non-Lethal Weaponmai 2005; et Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradfordoctobre 2004.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

5

e siècle

Le débat sur les incidences des armes «non létales» au regard du droit international

s’est déroulé d’une manière qui a exacerbé les controverses. À la fin du XIX

pendant la majeure partie du XX

de l’armement s’était en effet développé, dans les grandes lignes, de manière à définir et

appliquer des règles régissant des armes de plus en plus destructrices et meurtrières

Or, les armes «non létales» n’entraient pas dans ce schéma. Selon la définition du

Département américain de la défense, les armes «non létales» sont des armes

«explicitement conçues et employées avant tout afin de causer l’incapacité du personnel

ou du matériel, tout en réduisant au minimum les décès, les lésions permanentes aux

personnes ainsi que les dommages indésirables aux biens et à l’environnement

Définies de cette manière, les armes «non létales» faisaient écho à l’objectif du droit

international humanitaire de rendre le conflit armé plus humain

armes «non létales» était guidée, dans une certaine mesure, par les contraintes que le droit

international humanitaire imposait aux forces militaires engagées dans des opérations non

traditionnelles telles que les missions de maintien de la paix. Cette apparente

convergence d’intérêts créait un cadre dans lequel on pouvait imaginer que les forces

armées d’une part, les juristes et les experts en droit international humanitaire d’autre

part, finiraient par se rallier ensemble à ces nouvelles technologies d’armement.

Cette conjonction ne s’est pas produite. Les partisans des armes «non létales» se

sont heurtés au scepticisme des analystes politiques, des juristes et des acteurs

humanitaires internationaux

personnes : pourquoi donc ces experts exprimaient-ils des réticences à l’égard de moyens

somme toute plus humains de mener la guerre et de maintenir la paix ? Pour simpliste

qu’elle soit, cette question menaçait de prendre à contre-pied tous ceux qui manquaient

d’enthousiasme à l’égard des armes «non létales». Ils répondaient en soulignant les

nombreuses questions auxquelles le droit international exigeait une réponse avant que des

armes puisent être légitimement déployées

e siècle ete siècle, le droit international touchant les technologies12.13».14. En outre, l’étude des15. Cette attitude suscita la perplexité de nombreuses16. Rien ne symbolise mieux le fossé entre

12

du droit international humanitaire, thème traité en 1996 dans un avis consultatif rendu par la Cour

internationale de justice. Voir l’affaire de la

L’exemple le plus parlant, à ce titre, est sans doute le problème posé par les armes nucléaires au regardLicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,

avis consultatif, 8 juillet 1996,

CIJ Recueil 1996, p. 226.

13

1996) [notre traduction]. Voir aussi Politique de l’OTAN sur les armes non létales, OTAN, 13 octobre

1999, à l’adresse <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p991013f.htm> (lien consulté pour la dernière

fois le 22 juin 2005). («Les armes non létales sont des armes spécifiquement conçues et mises au point

pour mettre hors de combat ou repousser le personnel, avec une faible probabilité d’issue fatale ou de

lésion permanente, ou mettre hors d’état le matériel, avec un minimum de dommages non

intentionnels ou d’incidences sur l’environnement.»)

Policy for Non-Lethal Weapons, US Departement of Defense Directive No. 3000.3, par. C (9 juillet

14

Jonathan D. Moreno, «Medical ethics and non-lethal weapons», American Journal of Bioethics,

Vol. 4, 2004, p. W1 (qui note que «les armes non létales semblent répondre à l’une des exigences de la

guerre juste selon Saint Augustin, à savoir l’emploi de la force strictement nécessaire à la tâche à

accomplir» [notre traduction]).

15

Form of Warfare: The Rise of Non-Lethal Weapons

Steven Schofield,

Coupland, «•Non-lethal’ weapons: Precipitating a new arms race»,

1997, p. 72.

On peut citer, parmi les premiers critiques notoires des armes «non létales», Malcolm Dando, A New, Brassey’s, Londres, 1996; Nicholas Lewer etNon-Lethal Weapons: A Fatal Attraction?, Zed Books, Londres, 1997; et RobinBritish Medical Journal, Vol. 315,

16

nouvelle arme ainsi que de tous nouveaux moyens ou méthodes de guerre (art. 36). Voir, en ce qui

Ainsi, le Protocole additionnel I de 1977 exige que les États parties évaluent la légalité de toute

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

6

e siècle

partisans et sceptiques de ces armes que leurs divergences touchant l’expression «arme

non létale

spécificité, sur le plan technique comme sur le plan éthique; pour les sceptiques, cette

désignation était trompeuse, parce qu’elle conférait un statut moral à des armes sur la

base de leur technologie, et non sur la base d’une analyse juridique et éthique des raisons

et du contexte de leur emploi, et de la manière dont elles étaient employées.

Ce désaccord a eu des répercussions sur le débat juridique international. Persuadés

que les armes «non létales» étaient des armes qui se distinguaient des autres sur le plan

éthique, leurs partisans ont mis en question les règles internationales susceptibles de

limiter leur mise au point et leur emploi, affirmant qu’il était nécessaire d’envisager la

modification de ces règles. Un certain nombre de partisans de ces armes ont affirmé que

les traités restreignant leur mise au point devraient être amendés

en pleine lumière les restrictions imposées par les Conventions sur les armes biologiques

et chimiques à la mise au point d’armes biologiques et chimiques «non létales».

Dans certains cas, cependant, les tenants de ces armes sont allés plus loin, laissant

entendre qu’il fallait repenser le cadre moral qui avait guidé historiquement le droit

international des conflits armés, et le remplacer par un droit qui reconnaisse le nouveau

contexte militaire et éthique rendu possible par les technologies des armes «non

létales

létales» sur la règle traditionnelle de droit international humanitaire qui interdit

d’employer les armes intentionnellement contre les populations civiles

des armes «non létales» ont soulevé la question de savoir si cette interdiction était

défendable sur le plan éthique, au vu de la probabilité croissante de conflits armés en

zones urbaines. L’emploi intentionnel d’une arme «non létale» contre des populations où

se mêlent combattants et non-combattants n’offrirait-il pas la possibilité de faire moins de

morts et de blessés parmi les civils que le fait de restreindre les forces armées à l’emploi

d’armes «létales» dans une situation où il est pour ainsi dire impossible de distinguer

entre combattants et non-combattants et où cet emploi est désavantageux sur le plan

militaire

17». Pour les partisans de ces armes, cette expression résumait parfaitement leur18. Cette position a mis19». Cette position radicale peut être illustrée par l’impact potentiel des armes «non20. Les partisans21 ?

concerne cette obligation, Isabelle Daoust, Robin Coupland et Rikke Ishoey, «New wars, new

weapons? The obligation of States to assess the legality of means and methods of warfare»,

internationale de la Croix-Rouge,

review of weapons in accordance with Article 36 of Additional Protocol I»,

Croix-Rouge,

RevueVol. 84, n° 846, juin 2002, pp. 345-363; Justin McClelland, «TheRevue internationale de laVol. 85, n° 850, juin 2003, pp. 397-415.

17

Legitimating Forces? Technology, Politics and the Management of Conflict

2003, pp. 17-34.

Pour une discussion de l’expression «armes non létales», voir Brian Rappert, Non-Lethal Weapons as, Frank Cass, Londres,

18

perspective».

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «selective changeFidler, op. cit. (note 3), pp. 199-201.

19

perspective». Ibid.,

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «radical changepp. 201-204.

20

brought by new means and methods of warfare with new effects?», in Davison et Lewer 2004,

Robin Coupland, «•Calmatives’ and •incapacitants’: Questions for international humanitarian lawop. cit.

(note 11), p. 35 et p. 38 («Une autre préoccupation majeure, en ce qui concerne les armes •non létales’,

est le fait que leurs partisans proposent qu’elles soient utilisées par les soldats contre des civils en cas

de besoin» [notre traduction]).

21

Jefferson D. Reynolds, «Collateral damage on the 21st century battlefield: Enemy exploitation of the

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

7

e siècle

Persuadés que les armes «non létales» étaient des armes comme les autres, sans

particularité spécifique sur le plan éthique, les sceptiques invoquaient quant à eux le droit

international existant relatif à la maîtrise des armements, à l’emploi de la force, aux

conflits armés et aux droits de l’homme, pour affirmer que ces armes soulevaient un

grand nombre de graves questions d’ordre juridique et moral qui ne sauraient être

dissimulées par la rhétorique relative à leur «non-létalité». En outre, les tenants de cette

position insistaient sur le fait que la mise au point et l’emploi des armes «non létales»

devait être conforme au droit international existant et à venir

partisans de ces armes ont affirmé qu’il convenait de modifier ou d’abroger des règles

juridiques internationales importantes pour faire leur place aux armes «non létales»

qu’une vive opposition s’est manifestée. Les sonnettes d’alarme ont retenti avec une

vigueur toute particulière au sujet des armes «non létales» qui pourraient être susceptibles

de saper les Conventions sur les armes biologiques et sur les armes chimiques

Il est un point, cependant, sur lequel les tenants de ces armes et les sceptiques

tombaient d’accord : le débat sur les armes «non létales» et le droit international

concernait essentiellement les technologies de demain, et non les armes «non létales»

susceptibles d’être déployées dans la deuxième moitié des années 1990 et au début des

années 2000. Bien que ce débat couvre les balles en plastique, les «sacs à fèves», le filets

d’enchevêtrement, les chausse-trapes, les mousses collantes, les agents de lutte

antiémeute, les grenades aveuglantes et assourdissantes et autres techniques similaires, ce

type d’arme «non létale» faisant appel à de technologies simples ne constituait pas

l’enjeu le plus important, ni pour les partisans ni pour les sceptiques. La génération

actuelle de ces armes avait des capacités limitées parce qu’elles reposaient

principalement sur des dispositifs mécaniques, chimiques ou cinétiques à courte portée; le

débat portait surtout sur les armes «de science-fiction», c’est-à-dire la génération suivante

d’armes non létales, qui utiliseraient des capacités bien plus avancées, sur les plans

cinétique, acoustique, électrique, électromagnétique, biologique et chimique, sans oublier

d’autres possibilités futuristes éventuelles comme la nanotechnologie

C’est pour cette raison que les partisans de ces armes et les sceptiques se livraient

pour l’essentiel, dans leur analyse de la manière dont les armes «non létales» pourraient

influencer les conflits armés, à des spéculations relevant de la boule de cristal. Les

tenants des armes «non létales» considéraient qu’elles pourraient réduire le nombre de

morts sur les champs de bataille; à l’opposé, les sceptiques mettaient en garde quant au

22. C’est surtout lorsque les23.24.

law of armed conflict, and the struggle for a moral high ground»,

2005, p. 1, pp. 99-100 («Les plus prometteuses de toutes sont sans doute les armes non létales, qui

peuvent être employées contre des combattants ennemis mêlés à la population civile» [notre

traduction]).

Air Force Law Review, Vol. 56,

22

Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «compliance perspective».

Fidler,

op. cit. (note 3), pp. 198-199.

23

p. 1 (où l’on peut lire que «il est de plus en plus urgent, au vu des investissements croissants dans les

nouvelles technologies relatives aux •armes non létales’, de prendre conscience de la menace qu’elles

représentent pour le régime juridique de la Convention sur les armes chimiques et de la Convention

sur les armes biologiques» [notre traduction]).

«•Non-lethal’ weapons, the CWC and the BWC» CBW Conventions Bulletin, No. 61, septembre 2003,

24

dans : Center for Responsible Nanotechnology, Dangers of Molecular Manufacturing

[<http://www.crnano.org/dangers.htm#arms> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin 2005)].

On trouvera une description des conséquences potentielles des armes recourant à la nanotechnologie

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

8

e siècle

fait que ces armes pourraient démultiplier les effets des armes «létales», et rendre ainsi

les champs de bataille plus meurtriers encore. Du point de vue du droit international,

l’issue de ce type de débat théorique repose sur la «densité» du régime juridique

international pertinent pour telle ou telle technologie d’armes «non létales». Les régimes

les plus «denses» interdisaient à la fois la mise au point et l’emploi de certaines

techniques, à l’instar des interdictions générales des armes biologiques ou chimiques.

Les régimes juridiques moins «denses» n’interdisent pas spécifiquement des

technologies précises, mais appliquent des règles générales à la mise au point et à

l’emploi des armes. Ainsi, il n’existe aucun traité régissant l’emploi d’armes utilisant les

hyperfréquences, mais le droit international humanitaire applique à tout emploi d’armes,

y compris les armes à hyperfréquences, des principes généraux, dont l’exigence que cet

emploi distingue les combattants des non-combattants

superflus aux combattants

technologies ou de données empiriques sur leur emploi, les débats sur les armes «non

létales» dans les domaines où le droit international était le moins «dense» étaient par

conséquent les plus spéculatifs, car souvent le résultat de l’analyse dépendait de

l’intention et du comportement réels des soldats.

Ces débats, pour abstraits et théoriques qu’ils fussent, ont cependant eu deux

conséquences qui ont placé les partisans de ces armes sur la défensive. Premièrement, les

arguments plaidant pour la mise au point de la nouvelle génération de technologies

dépendaient dans une large mesure de leur «non-létalité». S’il était impossible de prouver

empiriquement qu’une nouvelle technologie était «non létale», les arguments moraux en

faveur de son développement perdaient de leur force. Les données concernant les effets

sur l’être humain de la plupart des armes «non létales» actuelles ou proposées étaient

inexistantes, rares ou n’étayaient guère les affirmations relatives à leur «non-létalité

Les partisans avaient ainsi entraîné le débat dans une voie qui exigeait d’eux qu’ils

établissent les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Le seuil éthique qu’ils

avaient eux-mêmes fixé imposait un prix empirique en termes de recherchedéveloppement

qui restait à payer

La deuxième conséquence résultait, elle aussi, des arguments d’ordre éthique

avancés par les tenants de ces armes. Si les armes «non létales» étaient supérieures sur le

25 et ne cause pas des maux26. Du fait du manque d’informations sur les nouvelles27».28.

25

compréhension et au respect du droit des conflits armés»,

sélection française 2005,

humanitaire coutumier, «[l]es parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et

combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent

pas être dirigées contre des civils.»)

Jean-Marie Henckaerts, «Étude sur le droit international humanitaire coutumier : une contribution à laRevue internationale de la Croix-Rouge :CICR, Genève, 2006, p. 315 (affirmant que, en droit international

26

des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.»

Ibid., p. 322 (affirmant que, en droit international humanitaire coutumier, «[i]l est interdit d’employer

27

qu’aucune arme dite «non létale» ne répondait aux critères qui permettraient de la qualifier réellement

de non létale). Pour des descriptions plus récentes des problèmes d’impact sur la santé, voir Lewer et

Davison,

Fidler, op. cit. (note 2), p. 62 (décrivant des études, réalisées à la fin des années 1990, qui concluaientop. cit. (note 11), pp. 48-49; Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 28.

28

l’absence de données empiriques concernant les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Voir

Davison et Lewer 2005,

des armes «non létales», des «préoccupations concernant le manque de données touchant les effets des

armes •non létales’ sur l’être humain» [notre traduction]).

Certains partisans des armes «non létales» ont exprimé leur agacement au sujet des remarques surop. cit. (note 11), p. 21 (qui évoque la réfutation par John Alexander, partisan

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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plan éthique, demandaient certains experts, alors les gouvernements auraient-ils

l’obligation morale de les employer en premier lieu, avant de recourir à une force

«létale» ? Les tenants de ces armes opposaient à cet argument éthique un argument

juridique : le droit international n’exige pas l’emploi d’une force «non létale» avant

l’emploi d’une force «létale» dans les conflits armés

droit international, cette réponse juridique ne répondait pas à l’interrogation morale.

Comment pourrait-on plaider pour la mise au point d’armes supérieures sur le plan

éthique, et ne pas avoir l’obligation morale d’employer ces armes avant des armes

«létales» ? Cette question est certainement loin de couvrir tous les aspects pertinents du

problème du choix des armes dans un conflit armé, mais elle met en pleine lumière les

incohérences potentielles, sur le plan éthique, de la position des partisans des armes «non

létales». Ce type d’interrogation morale, associé aux incertitudes quant aux effets

concrets sur l’être humain des technologies en question, posait bien des problèmes aux

tenants de ces systèmes d’armement dans le débat juridique international.

Ce débat animé sur les armes «non létales» et le droit international s’est développé

dans la seconde moitié des années 1990, sans qu’aucun des deux camps ne l’emporte

vraiment, et il a montré que tenants et opposants de ces armes se préparaient à débattre

des questions que soulèveraient des armes faisant appel à des technologies plus avancées.

Malgré le nombre croissant de conférences, d’articles, de livres et de rapports, il

manquait dans ce débat un événement qui cristalliserait les problèmes et qui susciterait un

intérêt plus large, tant à l’échelon politique qu’en termes d’orientations générales, à

l’égard des questions débattues par les tenants et les opposants des armes «non létales».

C’est alors, en octobre 2002, que des terroristes tchétchènes prirent d’assaut un

théâtre de Moscou.

29. Bien que correcte au regard du

Les événements de Moscou : le «brouillard de fentanyl»

L’attaque du théâtre Nord-Ost, à Moscou, par un commando tchétchène et la crise qui

s’ensuivit, avec la prise de quelque 830 otages, prirent fin lorsque les forces de sécurité

russes diffusèrent dans le bâtiment un produit chimique qui était sans doute un dérivé du

fentanyl (produit opiacé), avant d’envahir le théâtre. Les forces russes tuèrent tous les

terroristes et sauvèrent des centaines d’otages. Toutefois, le fentanyl tua environ

130 otages, ce qui représente un taux de mortalité de 16%, soit plus du double du taux de

mortalité causé par les armes chimiques «létales» utilisées sur les champs de bataille de la

Première Guerre mondiale

30. Le recours à un produit chimique incapacitant pour mettre

29

constitue pas une obligation d’emploi de ces armes ni n’impose une norme supérieure, ou des

restrictions supplémentaires, au recours à la force létale.» Voir, cependant, Davison et Lewer 2005,

cit.

la situation actuelle du droit international sur cette question a «peu de chances de durer» et qui prédit

«qu’à l’avenir, les armes •non létales’ élèveront bel et bien le seuil pour le recours à la force létale»

[notre traduction]).

OTAN, op. cit. (note 13) : «L’existence, la présence ou l’effet potentiel des armes non létales neop.(note 11), p. 27 (évoquant le juriste expert en armes «non létales» David Koplow, qui affirme que

30

biologiques»,

santé des otages survivants deux ans après les faits dans l’article de Anna Rudnitskaya, «Nord-Ost

tragedy goes on»,

<http://english.mn.ru/english/issue.php?2004-41-2> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin

Alexander Kelle, «La science, la technologie et les régimes de contrôle des armes chimiques etForum du Désarmement, 2005, p. 7, p. 10. On trouvera un rapport sur les problèmes deThe Moscow News, No. 41, 2004, à l’adresse

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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un terme à la crise des otages de Moscou a bouleversé le débat sur les armes «non

létales» et le droit international.

L’emploi du fentanyl eut sur ce débat deux conséquences immédiates. La première

fut de porter au grand jour la controverse sur les produits chimiques incapacitants

pouvant potentiellement servir d’armes «non létales». Comme indiqué plus en détail cidessous,

les événements de Moscou ont appelé particulièrement l’attention sur la manière

dont la Convention sur les armes chimiques traite ces produits chimiques. Le drame de

Moscou a fait ressortir l’importance politique et juridique du traitement des produits

chimiques incapacitants dans la Convention, et renforcé la place de cette problématique

dans le débat sur les armes «non létales» et sur le droit international.

Deuxièmement, la crise de Moscou a produit ce que j’appelle le «brouillard de

fentanyl», car l’emploi de ce produit incapacitant a fourni des arguments aux deux camps

en présence, obscurcissant ainsi les enjeux du débat plutôt que de les éclaircir. Pour les

tenants des armes «non létales», les événements de Moscou représentaient le type même

de scénario qui appelait une réflexion plus approfondie sur ces armes. La combinaison du

fentanyl et des forces classiques avait permis de sauver la majorité des otages, ce que

n’aurait pas permis l’emploi des seules forces classiques. La capacité d’allier des

capacités «non létales» et des capacités «létales» semblait donc pouvoir sauver des vies.

À la lumière des prédictions concernant la menace du terrorisme après le 11 septembre

2001, les événements de Moscou semblaient donc — aux yeux des tenants de ces armes

— suggérer la nécessité de s’engager plus vigoureusement sur la voie de leur emploi pour

garantir l’ordre public et la sécurité et pour faire face aux nouvelles menaces militaires

dans ce contexte inédit.

La crise de Moscou apportait aussi, cependant, de l’eau au moulin des sceptiques.

Le nombre de décès dus au fentanyl prouvait en effet que les produits chimiques

incapacitants n’étaient pas «non létaux». L’emploi du fentanyl dans un contexte qui ne

permettait de maîtriser ni le dosage, ni les conditions de l’exposition au produit avait

causé un taux de létalité considérable parmi les personnes exposées. Ces morts

confirmaient le bien-fondé des arguments des sceptiques selon lesquels les armes «non

létales» devaient être considérées purement et simplement comme des armes, dont la

dangerosité dépend de nombreux facteurs exigeant d’être évalués au cas par cas, et ne pas

être occultée par une étiquette trompeuse et politiquement correcte.

Les événements de Moscou renforcèrent les craintes des sceptiques à l’égard d’un

intérêt accru pour les produits chimiques incapacitants, qui pourrait menacer la

Convention sur les armes chimiques. La manière dont les forces de sécurité russes avaient

achevé les terroristes déjà mis hors d’état de nuire venait renforcer les préoccupations

d’ordre humanitaire, à l’échelon international, quant au fait que les armes «non létales»

pourraient encourager les forces militaires à violer le principe de droit international

humanitaire concernant le respect des personnes hors de combat

causés par le fentanyl parmi les otages, ils soulevaient des questions touchant le

comportement du gouvernement russe au regard des droits de l’homme, en particulier en

31. Quant aux décès

2005).

31

est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat.»)

Henckaerts, op. cit. (note 25), p. 320 (indiquant qu’en droit international humanitaire coutumier, «[i]l

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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ce qui concerne son manque de préparation pour soigner les personnes victimes du

fentanyl après l’assaut lancé contre le théâtre

Ce «brouillard de fentanyl» signifiait que, pour dramatique que soient les

événements de Moscou, l’emploi de ce produit chimique incapacitant ne réglait pas le

débat sur les armes «non létales» et le droit international. En tant qu’événement concret

le plus important ayant donné lieu à l’emploi d’une arme «non létale» autre que les

dispositifs cinétiques et mécaniques habituels et les agents de lutte antiémeute, la crise de

Moscou a souligné l’importance du débat, en particulier en ce qui concerne les armes

chimiques «non létales». Nous allons, dans les deux sections suivantes de cet article,

examiner de plus près l’impact des événements de Moscou sur le débat concernant les

armes «non létales» et le droit international, en commençant par les dispositions

concernant les produits chimiques incapacitants dans la Convention sur les armes

chimiques, pour explorer ensuite les conséquences plus larges des événements de Moscou

sur la relation future entre ces armes et le droit international.

32.

L’«après-Moscou» : les produits chimiques incapacitants et la

Convention sur les armes chimiques

L’impact des événements de Moscou sur la Convention

Le plus ancien volet du débat sur les armes «non létales» et le droit international

concerne les armes chimiques «non létales». Au cours des négociations de la Convention

sur les armes chimiques, la question de savoir si les agents de lutte antiémeute pouvaient

être utilisés comme moyens de guerre a été vivement débattue

Convention ont aussi traité de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins liées au

maintien de l’ordre

pendant la seconde moitié des années 1990 a conduit leurs partisans à plaider la nécessité

de réexaminer, et le cas échéant de modifier, les règles restreignant l’emploi de ces agents

de lutte antiémeute et des produits chimiques incapacitants à des fins militaires

expert a résumé cette position par une image hardie, allant jusqu’à affirmer que «les

produits chimiques peuvent être nos amis

33. Les négociateurs de la34. L’intérêt à l’égard des armes «non létales» qui s’est manifesté35. Un36».

32

for Consequences of Gas Violates Obligation to Protect Life, Human Rights Watch, 30 octobre 2002,

à l’adresse <http://www.hrw.org/press/2002/10/russia1030.htm> (lien consulté pour la dernière fois le

20 juin 2005).

Independent Commission of Inquiry Must Investigate Raid on Moscow Theater: Inadequate Protection

33

Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.

34

Ibid., art. II, par. 9, al. d).

35

Foreign Relations, New York, 1999, à l’adresse

<http://www.cfr.org/pub3326/richard_l_garwin_w_winfi

eld/nonlethal_technologies_progress_and_prospects.php#Report> (lien consulté pour la dernière fois

le 22 juin 2005). L’auteur soutient, au sujet des armes chimiques et biologiques, que la modification

des traités y afférents pourrait permettre de renforcer la sécurité des États-Unis.

Voir, p. ex., Nonlethal Technologies: Progress and Prospects, Independent Task Force, Council on

36

operations», exposé présenté à la 4

2000 [notre traduction].

Russell Glenn, «Separating the wheat from the chaff: Non-lethal capabilities in future urbane conférence annuelle de Jane sur les armes non létales, 5 décembre

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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L’emploi du fentanyl lors de la crise de Moscou a attiré une attention toute

particulière sur les dispositions de la Convention sur les armes chimiques concernant les

produits chimiques incapacitants, et en particulier sur l’article II, par. 9, al. d), qui

autorise l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre

public

préoccupations tant pendant qu’après les négociations sur la Convention

interrogations quant à sa portée et à son impact possibles sur la Convention avaient

persisté jusqu’à la crise de Moscou

urgence et une importance nouvelles, tant pour la Convention que pour le débat plus large

touchant les armes «non létales» et le droit international. La plupart des experts

tombèrent d’accord pour considérer que les événements de Moscou relevaient bien de la

disposition de la Convention touchant le maintien de l’ordre public, et ce consensus

exacerba encore les controverses sur la manière dont cette disposition devait être

interprétée

Pour ce qui est de l’interprétation de la disposition relative au maintien de l’ordre

public, l’enjeu était important, pour les tenants des armes «non létales» comme pour les

sceptiques. Pour ces derniers, cette disposition représentait une lacune potentielle, que les

tenants des armes chimiques incapacitantes pouvaient exploiter pour saper l’interdiction

— inscrite dans la Convention — de l’emploi de produits chimiques incapacitants à des

fins antipersonnel

l’ordre public offrait la possibilité de développer le potentiel des produits chimiques

incapacitants et de démontrer leur utilité, tant aux fins de maintien de l’ordre que pour les

missions que les armées auraient à accomplir dans les conflits armés du XXI

disposition représentait donc une plate-forme permettant d’élaborer un argument selon

lequel l’interdiction, dans la Convention, de l’emploi à des fins militaires des agents de

lutte antiémeute et de produits chimiques incapacitants devrait être révisée pour refléter

les nouvelles capacités «non létales» dans le domaine chimique. En ce sens, la disposition

sur le maintien de l’ordre public représentait une passerelle potentielle vers des capacités

37. Cette disposition sur le maintien de l’ordre public avait suscité des38, et les39; celle-ci, cependant, conféra à ces questions une40.41. Pour les partisans de ces armes, la disposition sur le maintien dee siècle. La

37

Convention’ : (…) d) Des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan

intérieur.»

Article II, par. 9, al. d), qui dispose que : «On entend par •fins non interdites par la présente

38

disposition touchant le maintien de l’ordre public (art. II, par. 9, al. d)), s’interrogeait en ces termes :

«qu’est-ce que le •maintien de l’ordre’ ? (...) De quel ordre s’agit-il ? Qui le maintient et où ?» «New

weapon technologies and the loophole in the Convention»,

No. 23, mars 1994, p. 1 [notre traduction].

À titre d’exemple, un éditorial dans le Chemical Weapons Convention Bulletin, consacré à laChemical Weapons Convention Bulletin,

39

en posant la question : «que faut-il entendre par •maintien de l’ordre’ dans le contexte de la

Convention ?» «•Law enforcement’ and the CWC»,

décembre 2002, p. 1 [notre traduction].

Un éditorial du CBW Conventions Bulletin revint sur cette question après les événements de MoscouCBW Conventions Bulletin, No. 58,

40

l’ordre public contenue dans la Convention sur les armes chimiques, à savoir la tenue au printemps de

l’année 2003 — six mois environ après les événements de Moscou — de la première conférence

d’examen de la Convention. À cette occasion, les États parties ne parvinrent pas à traiter des

problèmes soulevés par la crise de Moscou, ce qui renforça la controverse.

Un autre facteur a renforcé l’importance accordée à la signification de la disposition sur le maintien de

41

fins antimatériel, dans des contextes où cet emploi n’a pas d’effet néfaste sur les êtres humains ou les

animaux. Voir Fidler,

La Convention sur les armes chimiques n’interdit pas l’emploi de produits chimiques toxiques à desop. cit. (note 2), p. 72.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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chimiques «non létales» plus conséquentes pour le personnel responsable du maintien de

l’ordre public et pour les forces armées.

La question de savoir comment la disposition sur le maintien de l’ordre public

serait interprétée après les événements de Moscou devint ensuite une question politique et

juridique de première importance pour le débat sur les armes «non létales» et le droit

international; nous allons maintenant nous pencher sur l’interprétation de cette

disposition et sur les conséquences de cette interprétation pour l’avenir de ce débat

42.

Quels produits chimiques toxiques peuvent-ils être employés à des fins de

maintien de l’ordre public ?

La question initiale pour l’interprétation concernait la gamme de produits chimiques

autorisés à des fins de maintien de l’ordre public. L’article II, par. 9, al. d) inclut

clairement les agents de lutte antiémeute dans la gamme de produits chimiques

autorisés

maintien de l’ordre public devait avoir les mêmes propriétés qu’un agent de lutte

antiémeute

Premièrement, l’article II, par. 9, al. d) autorise les pays à employer des produits

chimiques toxiques pour imposer la peine capitale, et les produits chimiques employés à

cette fin ne sont pas des agents de lutte antiémeute

Deuxièmement, les règles d’interprétation des traités n’appuient pas la restriction

de la portée de l’article II, par. 9, al. d) aux seuls produits chimiques qui sont des agents

de lutte antiémeute. En droit international, un traité doit être interprété «de bonne foi

suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière

de son objet et de son but

L’article II, par. 1, al. a) de la Convention dispose que : «On entend par "armes

chimiques" les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a) Les produits

43. Certains experts ont affirmé que tout produit chimique employé à des fins de44. Cette interprétation est erronée, pour quatre raisons.45.46».

42

présentée dans cet article se fonde sur l’analyse antérieure de cette question par l’auteur, qui a été

présentée pour la première fois à l’occasion du forum ouvert destiné aux organisations non

gouvernementales lors de la première conférence d’examen de la Convention sur les armes chimiques,

en mai 2003, puis, sous forme révisée, dans : David P. Fidler, «Background paper on incapacitating

chemical and biochemical weapons and law enforcement under the Chemical Weapons Convention»,

25 mai 2005, préparé pour un colloque sur les armes biochimiques incapacitantes en juin 2005.

L’interprétation de la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public qui est

43

chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains

une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé

l’exposition.»)

Article II, par. 7 de la Convention (qui définit un agent de lutte antiémeute comme «[t]out produit

44

other toxic chemicals under the Chemical Weapons Convention»,

Bulletin

Berlin Information and Center for Transatlantic Security Research Note 03.2, avril 2003, p. 4.

Abraham Chayes et Matthew Meselson, «Proposed guidelines on the status of riot control agents andChemical Weapons Convention, No. 35, mars 1997, p. 13; Walter Krutzsch, «‘Non-lethal’ chemicals for law enforcement?»,

45

maintien de l’ordre public aux produits qui répondent à la définition des agents de lutte antiémeute,

certains admettent que des doses létales de produits chimiques toxiques peuvent être utilisées pour

administrer la peine de mort. Chayes et Meselson,

Parmi les partisans d’une limitation de la gamme de produits chimiques toxiques utilisés aux fins deop. cit. (note 44), p. 13, et Krutzsch, op. cit.

(note 44).

46

des Nation Unies, vol. 1155, p. 331 (ci-après, «Convention de Vienne»).

Article 31, par. 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traités

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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chimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins

non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en

jeu sont compatibles avec de telles fins». Ainsi, les «produits chimiques toxiques» sont

des armes chimiques, sauf lorsqu’ils sont destinés à des fins non interdites par la

Convention sur les armes chimiques, comme le maintien de l’ordre public. La disposition

relative au maintien de l’ordre public s’applique donc aux «produits chimiques toxiques»

tels que définis à l’article II, par. 2

antiémeute tels que définis à l’article II, par. 7. L’article II, par. 1, al. a) ne mentionne pas

les agents de lutte antiémeute comme limitant les «produits chimiques toxiques» qui

peuvent être utilisés à des fins non interdites par la Convention.

Troisièmement, les agents de lutte antiémeute sont définis comme des produits

chimiques qui ne sont inscrits sur aucun tableau de la Convention sur les armes

chimiques

sont pas interdites, y compris le maintien de l’ordre public, peuvent être inscrits sur les

tableaux 2 et 3 de la Convention. L’Annexe de la Convention sur la vérification stipule

clairement qu’un État partie à la Convention ne peut fabriquer, ni acquérir, conserver ou

utiliser de produits chimiques du tableau 1sauf si, entre autres, «ces produits chimiques

servent à des fins de recherche, à des fins médicales ou pharmaceutiques ou à des fins de

protection

produits chimiques du tableau 1 peuvent être fabriqués, acquis, conservé ou utilisés.

Comme le relèvent Krutzsch et Trapp, l’Annexe sur la vérification concernant les

produits chimiques du tableau 1est plus restrictif que l’article II, par. 9, ce qui signifie

qu’«un produit chimique du tableau 1 ne peut être utilisé à des fins autres que celles

citées, même s’il s’agit de fins pacifiques qui ne sont pas liées à la mise au point, à la

fabrication ou à l’emploi d’une arme chimique

La partie de l’Annexe sur la vérification concernant les produits chimiques du

tableau 1 signifie, par conséquent, que les États parties à la Convention sur les armes

chimiques ne peuvent fabriquer, acquérir, conserver ni utiliser des produits chimiques du

tableau 1 à des fins de maintien de l’ordre public. En revanche, la partie de l’Annexe sur

la vérification concernant les produits chimiques des tableaux 2 et 3 ne restreint pas de la

même manière les fins qui ne sont pas interdites, ce qui signifie que les produits

chimiques toxiques énumérés dans les tableaux 2 ou 3 —qui ne peuvent être de agents de

lutte antiémeute —peuvent être employés à de fins de maintien de l’ordre public.

Quatrièmement, lors des événements de Moscou, l’emploi d’un produit chimique

toxique qui n’est pas un agent de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre public

47, et non pas exclusivement aux agents de lutte48. Les produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des fins qui ne49». Le maintien de l’ordre public n’est pas cité parmi les fins auxquelles les50».

47

chimique qui, par son action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres

humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents. Cela

comprend tous les produits chimiques de ce type, quels qu’en soient l’origine ou le mode de

fabrication, qu’ils soient obtenus dans des installations, dans des munitions ou ailleurs. (Aux fins de

l’application de la présente Convention, des produits chimiques toxiques qui ont été reconnus comme

devant faire l’objet de mesures de vérification sont énumérés aux tableaux figurant dans l’Annexe sur

les produits chimiques.)»

L’article II, par. 2 de la Convention définit les «produits chimiques toxiques» comme : «[t]out produit

48

Art. II, par. 7 de la Convention sur les armes chimiques.

49

Ibid., Annexe sur la vérification, Sixième partie, Lettre A, par. 2, al. a).

50

Nijhoff Publishers, La Haye, 1994, p. 418 [notre traduction].

Walter Krutzsch et Ralf Trapp, A Commentary on the Chemical Weapons Convention, Martinus

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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apporte un élément de preuve d’une pratique étatique selon laquelle la Convention sur les

armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte antiémeute la gamme des produits

chimiques pouvant être utilisés en vertu de l’article II, par. 9, al. d). Au regard du droit

international, l’interprétation d’un traité peut tenir compte de la pratique ultérieurement

suivie par les États dans l’application de ce traité

donné lieu les événements de Moscou ne comprend pas seulement l’emploi par la Russie

du produit chimique toxique, mais aussi l’acceptation de cet emploi par les autres États

parties à la Convention. Comme l’a noté Mark Wheelis, «la plupart des analystes

considèrent que l’emploi par la Russie d’un dérivé du fentanyl était légal» au regard de

l’article II, par. 9, al. d)

indique que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte

antiémeute la gamme des produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des

fins de maintien de l’ordre public.

51. La pratique étatique à laquelle ont52. Ainsi, le droit international relatif à l’interprétation des traités

Les limitations imposées par la Convention sur les armes chimiques à la

mise au point et à l’emploi des produits chimiques toxiques à des fins de

maintien de l’ordre public

Bien que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte

antiémeute les produits chimiques toxiques pouvant être employés à des fins de maintien

de l’ordre public, cet emploi est soumis à la condition que les types et les quantités de

produits chimiques mis au point, fabriqués, acquis, stockés, conservés, transférés ou

employés soient compatibles avec ces fins autorisées

la mise au point, la possession et l’emploi de produits chimiques toxiques aux fins de

maintien de l’ordre public ne sapent pas l’interdiction, par la Convention sur les armes

chimiques, de la mise au point et de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins

militaires. Tout comme pour d’autres dispositions de ce traité, ces règles doivent être

interprétées de bonne foi pour que leur sens ordinaire soit établi à la lumière de leur

contexte et de l’objet et du but du traité.

La règle sur les «types et quantités» exige que soit examinée la relation entre le

produit chimique employé et l’objectif y relatif en matière de maintien de l’ordre public.

Plus il est difficile de maîtriser les effets d’un produit chimique employé dans une

opération de maintien de l’ordre public, plus il est permis de douter que le type ou la

quantité de l’agent en question soit conforme à un but de maintien de l’ordre public. Cette

53. Ces restrictions garantissent que

51

Art. 31, par. 3, al. b) de la Convention de Vienne.

52

p. 6, p. 8 [notre traduction]. Cette analyse ne suggère pas que la pratique d’un État dans un incident

donné pourrait régler des questions d’interprétation soulevées par la Convention sur les armes

chimiques, mais la pratique étatique suscitée par la prise d’otages de Moscou est un cas important de

pratique étatique au regard de l’article II, par. 9, al. d).

Mark Wheelis, «Will the new biology lead to new weapons?» Arms Control Today, juillet-août 2004,

53

doit non seulement apporter la preuve que la fabrication ou le stockage d’un produit chimique donné se

fondait sur une intention licite, mais aussi que le produit chimique est bien d’un type

compatible/conforme à l’intention visée, et que sa quantité correspond bien à l’objectif spécifié.»

Krutzsch et Trapp,

Art. II, par. 1, al. a) de la Convention sur les armes chimiques. Selon Krutzsch et Trapp, «un État partieop. cit. (note 50), p. 27 [notre traduction].

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

16

e siècle

interprétation va dans le sens des préoccupations exprimées au sujet des décès causés à

Moscou par l’emploi d’un produit chimique incapacitant

54.

Situations extrêmes de maintien de l’ordre public

L’emploi de produits chimiques incapacitants dans des contextes où il est impossible de

maîtriser le dosage individuel et les conditions d’exposition n’est donc légitime que dans

des situations extrêmes. Les situations extrêmes en matière de maintien de l’ordre public

sont celles où le gouvernement est confronté à la nécessité de recourir à une force

potentiellement létale pour résoudre des situations urgentes et où des vies sont en danger,

parce que les moyens moins violents et moins dangereux de résoudre les problèmes ont

échoué. La crise de Moscou pouvait être qualifiée de situation extrême de maintien de

l’ordre public

pas un agent chimique incapacitant par sa nature ou par son dosage conformément à des

fins de maintien de l’ordre public s’il ne peut en maîtriser ni le dosage, ni les conditions

d’exposition.

Le droit international relatif aux droits de l’homme, en tant que corpus pertinent de

droit international selon les règles d’interprétation des traités

Dans des situations extrêmes de maintien de l’ordre public, les gouvernements qui

envisagent de recourir à des produits chimiques incapacitants doivent faire face à

l’obligation de protéger le droit à la vie

priver arbitrairement de la vie les personnes relevant de leur juridiction

international des droits de l’homme n’autorise aucune dérogation à cette obligation,

même en cas de danger public exceptionnel

Les organisations de défense des droits de l’homme ont accusé la Russie d’avoir

violé le droit à la vie en ne fournissant pas des services médicaux suffisants aux otages

55. En l’absence d’une telle situation extrême, un gouvernement n’emploie56, appuie cette conclusion.57. Cette obligation interdit aux gouvernements de58, et le droit59.

54

partie du bâtiment était difficile à maîtriser, les effets d’une concentration donnée de fentanyl sur telle

ou telle personne particulièrement vulnérable ne pouvaient être connus, et il est extrêmement difficile

de distinguer entre les effets incapacitants et les effets létaux du produit, en d’autres termes de fixer la

limite entre la dose induisant une perte de connaissance et la dose provoquant l’arrêt de la respiration.»

Malcolm Dando, «The danger to the Chemical Weapons Convention from incapacitating chemicals»,

First CWC Review Conference Paper No. 4, mars 2003, p. 4 [notre traduction].

«Comme pour tout produit chimique incapacitant, la concentration de fentanyl dans n’importe quelle

55

droit international n’interdit pas l’emploi d’une force potentiellement létale dans des opérations visant

à libérer des otages, mais il exige que cette force soit •absolument nécessaire’ et que toutes les

précautions soient prises, tant dans la planification que dans l’exécution de telles opérations, pour

réduire au minimum les pertes en vies civiles.» Human Rights Watch,

traduction].

Comme l’a relevé Human Rights Watch dans ses commentaires sur la crise des otages à Moscou, «leop. cit. (note 32) [notre

56

contexte : (...) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les

parties»).

Art. 31, par. 3, al. c) e la Convention de Vienne («Il sera tenu compte, en même temps que du

57

Nations Unies, doc. Nations Unies A/810, 1948, p. 71; art. 6 du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, rés. 2200 A (XXI),

16 décembre 1966, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 999, p. 186.

Art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, rés. 217 A (III) de l’Assemblée générale des

58

des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu

d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (Note du secrétariat),

HRI/GEN/1/Rev. 7, 12 mai 2004, p. 141.

Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 6 : Article 6 (droit à la vie), in Récapitulationdoc. Nations Unies

59

Art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

17

e siècle

qui avaient été sauvés et qui ont succombé au fentanyl

dosage ou le conditions d’exposition lorsque des produits chimiques incapacitants sont

employés dans des situations de maintien de l’ordre public extrêmes et urgentes exacerbe

la responsabilité des autorités de veiller à ce que toutes les précautions soient prises pour

réduire au minimum les dommages causés aux personnes innocentes et de fournir des

soins médicaux immédiats aux personnes exposées et qui pourraient subir de effets

néfastes

60. L’incapacité de maîtriser le61.

La détention de personnes aux fins de maintien de l’ordre public

Cette interprétation signifie que la condition limitative touchant les «types et quantités»

au sujet de l’emploi de produits chimiques incapacitants dans des situations de maintien

de l’ordre public qui ne sont pas des situations extrêmes exige des États parties à la

Convention sur les armes chimiques qu’ils maintiennent une stricte maîtrise sur le dosage

du produit et sur les conditions d’exposition à ce produit

les autorités responsables du maintien de l’ordre doivent avoir la garde physique de la

personne en question. Conformément aux règles sur l’interprétation des traités, la règle

sur les «types et quantités» doit être interprétée à la lumière du droit international

pertinent applicable aux relations entre les États

l’ordre public qui exige la garde physique de personnes requiert nécessairement que soit

pris en considération le droit international des droits de l’homme

relatif aux droits civils et politiques traite directement des activités de maintien de l’ordre

public

droits de l’homme limite considérablement les contextes dans lesquels les autorités

responsables du maintien de l’ordre pourraient recourir à des produits chimiques

incapacitants contre des personnes détenues.

Le droit international des droits de l’homme interdit la torture ainsi que les autres

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et n’autorise aucune dérogation à

62. Cette maîtrise signifierait que63. Ainsi, une situation de maintien de64. Le droit international65. Une lecture de la règle sur les «types et quantités» à la lumière du droit des

60

Human Rights Watch, op. cit. (note 32).

61

incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public : «La décision d’utiliser une substance pour

provoquer un état d’inconscience calme ou profonde implique de connaître les antécédents médicaux

du sujet, et notamment l’utilisation de tout médicament prescrit ou non, ainsi que toute information

pertinente sur l’état de santé de la personne. Une telle décision entraîne aussi une responsabilité

considérable en termes d’assistance immédiate et de suivi après l’incident.» Cité par Lewer et Davison,

Le gouvernement britannique a déclaré, au sujet de l’emploi éventuel de produits chimiques

op. cit.

(note 11), p. 52.

62

dangereux de dépression respiratoire (en d’autres termes, calmer tout en maintenant la conscience)

exige un contrôle strict du dosage.»

Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology, National Academies

Press, Washington, D.C., 2003, p. 27 [notre traduction].

«Obtenir le niveau souhaité de modification du comportement psychique sans provoquer un niveauAn Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,

63

Art. 31, par. 3, al. c) de la Convention de Vienne.

64

droits de l’homme ait été formulé, ce qui rend d’autant plus légitime la référence à ce droit pour

interpréter la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public.

La Convention sur les armes chimiques a été négociée bien après que le droit international relatif aux

65

privation arbitraire de la vie et règles relatives à la peine de mort), 7 (interdiction de la torture et des

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9-10 (règles relatives à la privation de liberté)

et 14-15 (règles sur l’accusation et les poursuites contre les personnes soupçonnées d’infraction

pénale).

Voir, p. ex., le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 6 (interdiction de la

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

18

e siècle

cette interdiction

d’un produit chimique incapacitant contre des personnes détenues constituerait un

traitement dégradant et pourrait, selon la gravité des effets physiologiques de la substance

chimique, constituer un traitement cruel ou inhumain, voire une torture

consentement et à des fins autres que thérapeutiques de produits psychotropes et d’autres

types de produits chimiques contre des personnes détenues est condamné depuis

longtemps par des États, des organisations internationales et des organisations non

gouvernementales de défense des droits de l’homme. Les seuls contextes dans lesquels

l’administration non consensuelle et non thérapeutique d’un produit chimique

incapacitant à une personne détenue pourrait être compatible avec le droit des droits de

l’homme seraient les situations dans lesquelles la personne détenue représente une

menace immédiate et violente pour sa propre sécurité physique (par exemple, tentative de

suicide) ou pour la sûreté et l’ordre au sein de l’établissement de détention (par exemple,

attaque contre les gardiens ou participation à des émeutes).

On le voit, les fins de maintien de l’ordre public auxquelles des produits chimiques

incapacitants pourraient être légitimement utilisés sont très limitées en vertu de la règle

de la Convention sur les armes chimiques touchant les «types et quantités». Le facteur

crucial de cette interprétation est la pertinence du droit international des droits de

l’homme pour déterminer les types et quantités de produits chimiques incapacitants qui

peuvent être légitimement utilisés à des fins de maintien de l’ordre public liées à la

détention des personnes.

66. L’emploi sans consentement et à des fins autres que thérapeutiques67. L’emploi sans

Résumé : les limites posées par la Convention sur les armes chimiques à la mise au point

et à l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public

De manière générale, la règle sur les «types et quantités» limite de manière notable la

capacité d’un État partie à la Convention sur les armes chimiques de mettre au point et

d’employer des produits chimiques incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public,

que ces fins concernent des groupes de personnes ou des individus détenus. La «lacune»

juridique de l’article II, par. 9, al. d) n’est donc pas, en réalité, aussi dangereuse que le

craignaient certains opposants des armes «non létales». La Convention sur les armes

chimiques, telle que complétée par le droit international des droits de l’homme, fixe des

limites strictes à la mise au point et à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des

fins de maintien de l’ordre public. Le fait de recourir au droit international des droits de

l’homme pour interpréter la restriction des «types et quantités» est conforme aux objectifs

éthiques invoqué par les tenants des armes «non létales» pour justifier leur intérêt à

l’égard des produits chimiques incapacitants. Les tenants des armes «non létales»

manqueraient de cohérence, du point de vue éthique, s’ils rejetaient l’application des

normes des droits de l’homme à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des fins

de maintien de l’ordre public. Ainsi, les positions des tenants et des adversaires de ces

armes convergent pour ce qui est de l’interprétation de la règle des «types et quantités»

présentée plus haut.

66

relatif aux droits civils et politiques.

Art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; art. 4, par. 2 et 7 du Pacte international

67

l’homme dans Fidler,

On trouvera une analyse détaillée de ces questions relatives au droit international des droits deop. cit. (note 42), pp. 33-44.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

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e siècle

Le sens du «maintien de l’ordre public»

La deuxième grande question soulevée par l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) au

lendemain des événements de Moscou concerne la portée de l’expression «maintien de

l’ordre public». Le consensus sur le fait que l’emploi du fentanyl par les autorités russes

répondait bien à des fins de maintien de l’ordre public a suscité inquiétudes et confusion

sur la question de savoir jusqu’où allait cette notion en ce qui concerne l’emploi de

produits chimiques incapacitants. Pour reprendre la formulation de Malcolm Dando, «la

question est de savoir où s’arrête la notion de maintien de l’ordre et où débute celle de

moyen de guerre

du «maintien de l’ordre public», ce qui oblige une nouvelle fois à interpréter le traité. La

question fondamentale consiste à savoir si la notion doit être interprétée strictement ou

largement

l’ordre public» englobe les activités concernant le droit international.

68». La Convention sur les armes chimiques ne donne pas de définition69. Comme on le verra ci-dessous, il s’agit aussi de décider si le «maintien de

Le maintien de l’ordre public sur le plan national

Qu’entend-on par «maintien de l’ordre public» ? Il s’agit généralement de faire respecter

la loi

le plan national, le respect des lois qui s’appliquent aux activités menées sur le territoire,

ou sous la juridiction d’un État souverain. L’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur

les armes chimiques traite donc du maintien de l’ordre public sur le plan national. Il

autorise l’emploi de doses létales de produits chimiques toxiques pour appliquer la peine

capitale, une fonction d’application de la loi qui relève de la compétence de l’État. En

outre, cet article permet l’emploi de produits chimiques toxiques à «des fins de maintien

de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur». Le membre de

phrase «y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur» illustre un type d’activité de

maintien de l’ordre public autorisé par l’article II, par. 9, al. d), et focalise l’attention sur

le maintien de l’ordre public à l’intérieur des frontières ou de la juridiction d’un État

L’emploi du fentanyl par la Russie a eu lieu sur son territoire, en réponse à des actes

violents et criminels. Bien que l’article II, par. 9, al. d) concerne le maintien de l’ordre

public sur le territoire d’un État souverain, deux questions subsistent : cet article autoriset-

il l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale

en dehors des limites de la juridiction nationale, et pour faire respecter le droit

international ?

70; l’«ordre public», dans son acception ordinaire, désigne le plus souvent l’ordre sur71.

68

armes chimiques : le problème des armes non létales»,

Malcolm Dando, «Les réalisations scientifiques et techniques et l’avenir de la Convention sur lesForum du Désarmement, 2002, pp. 33-34.

69

l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur’ peut être interprété comme signifiant

qu’il existe des luttes antiémeute autres que sur le plan intérieur. Or, cette lutte antiémeute •non

intérieure’ devrait être un moyen de •maintien de l’ordre public’ accepté sur le plan international.»

Krutzsch et Trapp,

Krutzsch et Trapp ont explicité cette alternative : «Le membre de phrase •[d]es fins de maintien deop. cit. (note 50), p. 42, note 45 [notre traduction].

70

Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 820.

71

l’intérieur du territoire sur lequel ils exercent leur souveraineté. Voir Davison et Lewer 2004,

La pratique des États révèle un emploi fréquents d’agents de lutte antiémeute par les gouvernements àop. cit.

(note 11), pp. 34-35 (qui recense les cas d’emploi d’agents de lutte antiémeute dans le monde afin de

contenir des foules).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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e siècle

L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale audelà

de la juridiction nationale

Afin d’établir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques toxiques

pour faire respecter la législation nationale au-delà de la juridiction nationale, il faut

examiner les règles de droit international en la matière. Il ressort clairement de ces règles

que la Convention sur les armes chimiques n’autorise pas un tel emploi.

En droit international, un État ne peut faire respecter une loi que s’il détient une

compétence normative à son égard

autorisent un État à adopter des lois concernant des personnes, des comportements et des

activités situés hors des frontières de sa juridiction. Le droit international sur la

compétence d’exécution définit en revanche des limites plus strictes : «Il est

universellement reconnu, à titre de corollaire de la souveraineté de l’État, que les

fonctionnaires d’un État ne peuvent exercer leurs fonctions sur le territoire d’un autre

État sans le consentement de celui-ci

position : premièrement, le principe de la souveraineté et de l’égalité souveraine des

États

d’un autre État

prises dans la juridiction d’un autre État sans son consentement.

Ces règles signifient que l’article II, par. 9, al. d) autorisent un État partie à

employer des produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public

uniquement dans des lieux relevant de sa juridiction. Au regard du droit international sur

la compétence d’exécution, cet article ne saurait être interprété comme autorisant un État

partie à utiliser un produit chimique toxique pour faire respecter sa législation nationale

dans des zones soumise à la juridiction d’un autre État. Un tel emploi ne serait légitime

que dans des cas où 1) l’État partie à la Convention ayant la compétence territoriale aurait

autorisé l’emploi de produits chimiques toxiques; 2) l’autorisation porterait sur un emploi

à des fins de maintien de l’ordre public; et 3) l’emploi serait conforme à l’exigence

relative aux «types et quantités

Les règles internationales sur la compétence d’exécution démontrent que le sens

usuel de l’expression «maintien de l’ordre public» utilisée à l’article II, par. 9, al. d)

72. Les règles relatives à la compétence normative73.» Deux principes fondamentaux étayent cette74, et deuxièmement le principe qui interdit l’ingérence dans les affaires intérieures75. Des mesures destinées à faire respecter le droit pénal ne peuvent être76».

72

American Law Institute Publishers, St. Paul, 1986, par. 431(1). En droit international, un État exerce

sa compétence normative sur : 1) des comportements, des personnes ou des activités qui se situent en

totalité ou en grande partie sur son territoire ou dans des zones relevant de sa juridiction; 2) les

activités, les intérêts, le statut ou le relations de ses ressortissants à l’extérieur comme à l’intérieur de

son territoire et des zones soumises à sa juridiction; et 3) les comportements hors de son territoire ou

des zones soumises à sa juridiction a) qui ont ou qui sont destinées à avoir un effet substantiel sur son

territoire, et b) par des personnes qui ne sont pas ses ressortissants, qui visent à porter atteinte à la

sûreté de l’État ou à une catégorie limitée d’autres intérêts de l’État.

telle base, cependant, l’exercice de la compétence doit en outre être raisonnable.

American Law Institute, Restatement (Third) of the Foreign Relations Law of the United States,Ibid. par. 402. Même avec uneIbid., par. 403.

73

Ibid., p. 329 [notre traduction].

74

Art. 2, par. 1 de la Charte des Nations Unies.

75

Ibid., art. 2, par. 7.

76

opérations navales (

d’un agent de lutte antiémeute en temps de paix est admissible «hors d’une base militaire à des fins de

maintien de l’ordre s’il est spécifiquement autorisé par le gouvernement hôte». Steven F. Day, «Legal

considerations in noncombatant evacuation operations»,

[notre traduction].

La pratique des États-Unis reflète cette interprétation. Le manuel du commandant sur le droit desCommander’s Handbook on the Law of Naval Operations) indique que l’emploiNaval Law Review, Vol. 40, 1992, p. 45, p. 60

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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inclut l’application de la loi nationale sur le propre territoire de l’État ou dans des zones

soumises à sa juridiction. L’expression «maintien de l’ordre public», dans son acception

usuelle, exclut l’application extraterritoriale du droit national, parce qu’une telle

application dépend entièrement du consentement d’un autre État.

L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit international

La question de savoir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques

toxiques pour faire respecter le droit international a aussi été soulevée

de l’expression «maintien de l’ordre public», dans le cadre de l’objet et de la portée de la

Convention sur les armes chimiques, inclut-il l’application du droit international ?

Considérer que la notion de «maintien de l’ordre public» formulée à l’article II,

par. 9, al. d) inclut le droit international exigerait une conception peu orthodoxe de la

relation entre le droit international et les mesures d’application du droit. La question de

savoir si le droit international est exécutoire est un débat ancien, et de ce fait il paraît bien

peu plausible d’inclure ce droit dans la notion usuelle de «maintien de l’ordre public». La

nature décentralisée et anarchique des relations internationales complique son

application, d’où la controverse : le droit international contient peu de mécanismes

centralisés qui permettraient à des États d’en contraindre d’autres à le respecter. Comme

indiqué dans

en ce qui concerne les moyens à disposition pour faire respecter ses règles

conséquent, et étant donné la relation générale qui existe entre le droit international et son

application, il serait peu crédible d’affirmer que le sens usuel du «maintien de l’ordre»

englobe le droit international au même titre que le droit national.

Le respect du droit international est aussi soumis aux principes qui régissent la

manière dont les États devraient traiter les différends relatifs à des violations du droit

international. Le règlement pacifique des différends est un principe d’application

générale

la violence et aux armes. Les États peuvent prendre des contre-mesures pacifiques (des

sanctions économiques, par exemple) afin d’essayer de contraindre un autre État à

respecter ses obligations découlant du droit international. Le règlement pacifique des

différends n’englobe cependant pas l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire

respecter le droit international. Rien, en droit international, ne justifie l’emploi par un

État de produits chimiques toxiques pour obliger un autre État à respecter le droit

international.

77. Le sens ordinaireOppenheim’s International Law, le droit international présente des carences78. Par79, selon lequel les États doivent régler leurs différends sans recourir à la force, à

Le maintien de l’ordre public et le droit de recourir à la force en cas de légitime défense

On pourrait arguer qu’un État partie à la Convention sur les armes chimiques serait en

droit d’utiliser des produits chimiques toxiques, en application de la disposition sur le

maintien de l’ordre public, dans l’exercice de son droit inhérent à la légitime défense

contre une attaque armée ou une autre forme d’agression illégale par des parties étatiques

77

explicitement quelles sources de droit les États pourraient faire respecter en invoquant l’article II,

par. 9, al. d). Il semble donc possible que les États pourraient souhaiter invoquer le droit international

pour justifier leurs activités •de maintien de l’ordre public’.» Chayes et Meselson,

p. 15 [notre traduction].

Comme l’ont relevé Chayes et Meselson, la Convention sur les armes chimiques «n’indique pasop. cit. (note 44),

78

Oppenheim’s International Law, 9e éd., Longmans, Londres, 1992, p. 11.

79

Art. 2, par. 3 et 4 et art. 33, par. 1 de la Charte des Nations Unies.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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ou non étatiques. En d’autres termes, l’emploi par un État de produits chimiques toxiques

ferait partie de la mise en oeuvre des règles juridiques internationales prohibant le recours

à la force. Or rien, en droit international, n’étaye cette argumentation. La légitime défense

est un droit inhérent des États, et non un mécanisme de «maintien de l’ordre public

Qui plus est, le texte de la Convention sur les armes chimiques, son contexte, son

objet et sa raison d’être servent l’objectif d’éliminer l’emploi des produits chimiques

toxiques dans les conflits armés. Autoriser l’emploi de produits chimiques toxiques dans

le cadre du droit à la légitime défense contre une agression reviendrait à autoriser

l’emploi des armes chimiques dans un conflit armé; c’est précisément là ce que la

Convention sur les armes chimiques interdit. Le même raisonnement s’applique aux

conflits armés menés par les forces armées d’un État hors de son territoire, que ces

opérations concernent des interventions collectives de sécurité autorisées par le Conseil

de sécurité de l’ONU, des interventions humanitaires ou des mesures de légitime défense

préventives.

80».

Activités extraterritoriales de maintien de l’ordre public menées par des forces armées et

autorisées par le droit international

Ainsi, l’article II, par. 9, al. d) n’autorise pas les États parties à la Convention sur les

armes chimiques à employer des produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit

international. Le droit international autorise cependant certaines activités

extraterritoriales de maintien de l’ordre public par des forces armées, dans des opérations

militaires tant traditionnelles que non traditionnelles. Ces activités sont couvertes par

l’article II, par. 9, al. d).

Le droit international reconnaît un certain nombre de situations dans lesquelles des

forces militaires mènent des activités de maintien de l’ordre en relation avec des

opérations militaires de type traditionnel. Ces situations sont généralement liées au

maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans des zones placées sous l’autorité de

forces militaires. En premier lieu, le droit international humanitaire reconnaît la

responsabilité de la Puissance occupante « d’assurer l’administration régulière du

territoire

disposition conférait à la puissance occupante des pouvoirs «en sa qualité de Puissance

responsable de l’ordre et de la vie publics

et de la sécurité publics peut inclure, par exemple, des activités destinées à contenir des

foules civiles afin d’empêcher des désordres dans le territoire occupé.

Deuxièmement, le droit international humanitaire autorise aussi les forces

occupantes à assurer la sécurité de leurs membres et de leurs biens, de l’administration

d’occupation, ainsi que des établissements et des lignes de communications utilisés par

elle

et à faire appliquer une législation pénale afin de protéger leurs soldats, leurs

administrateurs, leurs bâtiments, leurs lignes de communication, leur matériel et d’autres

81». Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a relevé que cette82». L’exercice de cette responsabilité de l’ordre83. Les forces d’occupation sont donc autorisées, en droit international, à promulguer

80

Ibid., art. 51.

81

12 août 1949, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 75, p. 287 (ci-après, «CG IV»).

Art. 64, Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,

82

de Genève

p. 362.

Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, IV : La Conventionrelative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, CICR, Genève, 1956,

83

Art. 64, CG IV.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

23

e siècle

types de biens contre les problèmes ou les menaces dues aux non-combattants dans le

territoire occupé

Troisièmement, le droit international humanitaire reconnaît qu’outre les lois du

territoire occupé, la puissance occupante peut faire respecter des lois qu’elle promulgue

elle-même conformément aux responsabilités qui lui incombent en vertu du droit

international relatif à l’occupation

des armes de maintien de l’ordre comme les agents de lutte antiémeute, qui sont

employés pour maîtriser des foules civile et pour sauvegarder l’ordre et la sécurité

publics.

Quatrièmement, le droit international humanitaire autorise les forces militaires à

réglementer le comportement des prisonniers de guerre

faire respecter des lois, des règlements et des ordonnances concernant les prisonniers de

guerre

circonstances extrêmes telles que des tentatives de fuite

appropriées aux circonstances soient restées sans réponse. Selon le CICR, la puissance

détentrice peut recourir à la force contre des prisonniers de guerre qui se rebellent ou se

mutinent : «Avant de faire usage de leurs armes de guerre, les sentinelles peuvent utiliser

d’autres moyens ne causant pas de blessures mortelles et que l’on peut à la rigueur

considérer comme des sommations, tels que l’emploi de gaz lacrymogènes, matraques,

etc.

Ces quatre contextes dans lesquels le droit international reconnaît la légitimité

d’activités extraterritoriales de maintien de l’ordre par les forces militaires montrent que

l’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur les armes chimiques englobe ces activités.

Cette interprétation couvre certaines des circonstances dans lesquelles les États-Unis

revendiquent la possibilité d’employer des agents de lutte antiémeute dans des situations

militaires, à savoir : 1) dans des zones se trouvant sous le contrôle militaire direct et

distinct des États-Unis, y compris pour maîtriser des mutineries de prisonniers de guerre,

et 2) dans des zones situées à l’arrière du front, pour protéger les convois contre les

troubles civils

L’analyse qui précède s’applique aussi aux activités militaires non traditionnelles

telles que les opérations de maintien de la paix, reconnues comme légitimes en droit

84.85. Ces pouvoirs peuvent comprendre des techniques et86. Les forces militaires peuvent87 et peuvent utiliser des armes contre des prisonniers de guerre dans des88, après que des sommations89»90.

84

puissance occupante dans un rapport sur les armes «non létales» financé par le Council on Foreign

Relations. En réponse à l’invasion par des civils d’une base militaire occupée par l’armée américaine à

Bagdad, et à la tentative de pillage, le personnel militaire américain a employé diverses armes «non

létales», dont un agent de lutte antiémeute — le gaz poivré — pour évacuer les civils du bâtiment.

Independent Task Force,

Foreign Relations, 2004, p. 51. Voir aussi Davison et Lewer 2005,

(décrivant l’emploi de divers agents de lutte antiémeute dans des opérations militaires des États-Unis

en Irak et en Afghanistan).

On trouve un exemple de l’emploi d’un agent de lutte antiémeute pour protéger les biens de laNon-Lethal Weapons and Capabilities, Washington, D.C., Council onop. cit. (note 11), pp. 22-24

85

CG IV, art. 64 à 78.

86

1949, Recueil de Traités des Nations Unies, vol. 75, p. 135 (ci-après, «CG III»).

Art. 41 et 82, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août

87

Art. 82, CG III.

88

Art. 42, CG III.

89

Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,

Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, III : La Convention deCICR, Genève, 1958, p. 262.

90

États-Unis, Executive Order 11850, Federal Register, Vol. 40, 1975, p. 161, par. (a), (d).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

24

e siècle

international. Les opérations militaires non traditionnelles sont reconnues légitimes en

droit international si elles sont conduites 1) en réponse à une demande d’envoi de forces

de maintien de la paix émanant d’un État souverain, et 2) en tant qu’opérations de

maintien de la paix autorisées par le Conseil de sécurité de l’ONU en vertu du

Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Les forces militaires menant des opérations de maintien de la paix se trouvent

souvent responsables de la sécurité et du maintien de l’ordre public pour des populations

civiles. Elles peuvent être amenées à faire respecter la loi (par exemple en arrêtant des

personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre ou en libérant des otages),

et elles peuvent faire face à des menaces causées par l’action de non-combattants contre

la sécurité de leur personnel et de leur matériel

auxquelles sont confrontées les forces armées face aux populations civiles durant des

opérations de maintien de la paix qui ont motivé en partie l’intérêt des militaires à l’égard

des armes «non létales» au cours des dix dernières années

Ainsi, la Convention sur les armes chimiques autorise l’emploi par les forces

armées d’agents de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre lors d’opérations

militaires non traditionnelles autorisées par le droit international. Cette interprétation est

conforme aux revendications des États-Unis, selon lesquels leurs forces armées peuvent

recourir légitimement aux agents de lutte antiémeute dans les contextes suivants :

1) opérations militaires menées en temps de paix dans une zone de conflit armé en cours

lorsque les États-Unis ne sont pas parties au conflit; 2) opérations de maintien de la paix

autorisées par l’État hôte, y compris opérations de maintien de la paix menées

conformément au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies; et 3) opérations de

maintien de la paix dans lesquelles l’emploi de la force est autorisé par le Conseil de

sécurité de l’ONU en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies

Cette interprétation, toutefois, n’étaye pas la position des États-Unis selon laquelle

ils seraient en droit d’utiliser des agents de lutte antiémeute contre des forces

combattantes dans les opérations militaires non traditionnelles énumérées ci-dessus

types d’activités de maintien de l’ordre que le droit international autorise des forces

militaires à entreprendre dans des opérations militaires traditionnelles et non

traditionnelles concernent des contacts entre troupes militaires et des non-combattants —

prisonniers de guerre ou civils —, et non des affrontements entre forces combattantes.

L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) telle que présentée ci-dessus a deux

conséquences qui méritent d’être soulignées. Premièrement, elle signifie que dans des

situations extrêmes de maintien de l’ordre, les forces militaires qui mènent hors de leur

territoire national des activités de maintien de l’ordre autorisées par le droit international

91. Ce sont d’ailleurs les difficultés92.93.94. Les

91

au Kosovo en mars 2004, l’Allemagne a annoncé son intention d’équiper ses troupes de maintien de la

paix d’agents de lutte antiémeute. Davison et Lewer 2004,

les forces armées françaises ont employé des agents de lutte antiémeute contre des civils qui

protestaient violemment contre l’intervention militaire française faisant suite à une attaque lancée par

l’aviation du pays contre les forces françaises de maintien de la paix. Davison et Lewer 2005,

Après s’être trouvée dans l’incapacité d’empêcher que des foules violentes attaquent des monastèresop. cit. (note 11), p. 34. En Côte d’Ivoire,op. cit.

(note 11), p. 53.

92

Fidler, op. cit. (note 2), p. 58.

93

US Senate Executive Resolution No. 75 – Relative to the Chemical Weapons Convention,

Congressional Record

, Vol. 143, p. S3373-01, 17 avril 1997, par. 26A.

94

Ibid.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

25

e siècle

dans le cadre d’opérations militaires traditionnelles et non traditionnelles pourraient ne

pas être limitées à l’emploi d’agents de lutte antiémeute. La pratique des États suggère

cependant que la Convention sur les armes chimiques est plus restrictive en ce qui

concerne l’emploi par les forces militaires de produits chimiques toxiques dans de telles

activités. Qui plus est, les États parties à la Convention sur les armes chimiques — les

États-Unis y compris — n’ont jamais employé, ni revendiqué le droit d’employer, des

produits chimiques autres que des agents de lutte antiémeute dans les types d’activités de

maintien de l’ordre autorisées par le droit international dans des opérations militaires

traditionnelles et non traditionnelles

deux facteurs : premièrement, ces activités sont extraterritoriales et ne bénéficient donc

pas de la latitude que le droit international reconnaît aux gouvernements sur leur propre

territoire; et 2) elles sont menées par des forces armées. L’objet et la raison d’être de la

Convention sur les armes chimiques signifient que les activités militaires

extraterritoriales au cours desquelles sont employés des produits chimiques toxiques

exigent un degré de surveillance accru et des mesures de sauvegarde supplémentaires.

La deuxième conséquence de l’interprétation ci-dessus de l’article II, par. 9, al. d)

est qu’elle couvre un grand nombre, mais pas la totalité, des emplois d’agents de lutte

antiémeute que les États-Unis affirment être autorisés par la Convention sur les armes

chimiques. Elle ne couvre pas deux situations dans lesquelles les États-Unis considèrent

que l’emploi d’agents de lutte antiémeute est légalement acceptable : 1) les situations

dans lesquelles des civils sont employés pour dissimuler ou camoufler des attaques et où

il est possible de limiter, voire de réduire à zéro, le nombre de victimes civiles; et 2) les

missions de sauvetage dans des zones éloignées d’équipages et de passagers d’avions

abattus, et de prisonniers de guerre en fuite

celles dans lesquelles les forces armées peuvent s’engager dans les types d’activité de

maintien de l’ordre sanctionnées par le droit international.

L’emploi d’agents de lutte antiémeute contre des combattants ennemis qui tentent

de capturer l’équipage et les passagers d’avions abattus, ou contre des prisonniers de

guerre en fuite, ou contre des combattants ennemis qui emploient des civils comme

boucliers humains ou pour dissimuler des attaques, ressemble davantage à une méthode

de guerre qu’à un objectif de maintien de l’ordre public. Aucun de ces actes ne répond au

type d’activité de maintien de l’ordre entreprises par des forces militaires et autorisées

95, 96. Cette interprétation plus restrictive s’appuie sur97. Ces deux situations ne sont pas similaires à

95

antiémeute en Irak en 2003, dans les circonstances spécifiées par le décret-loi (Executive Order)

11850. Neil Davison et Nicholas Lewer,

Report No. 4,

n’emploieraient des agents de lutte antiémeute en Irak qu’à des fins de maîtrise d’émeutes. Davison et

Lewer 2004,

Le président Bush a autorisé les forces armées des États-Unis à employer des agents de lutteBradford Non-Lethal Weapons Research Project Research2003, p. 13. Les autorités militaires britanniques ont indiqué en mars 2003 qu’ellesop. cit. (note 11), p. 34.

96

que les produits malodorants, dans la catégorie des agents de lutte antiémeute. C’est ce qu’ont fait les

États-Unis (Davison et Lewer 2003,

pour des produits chimiques incapacitants plus puissants. Comme le relève un rapport du National

Research Council, «l’emploi de produits sédatifs a (...) été envisagé par rapport à des situations de

prise d’otages et pour traiter des prisonniers •ingérables’, mais pas pour des situations d’émeute dans

lesquelles les personnes rendues inconscientes risqueraient d’être piétinées ou écrasées par les

émeutiers». Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,

Cette situation représente une incitation à tenter de faire entrer de nouveaux composés chimiques, telsop. cit. (note 95), p. 10). Ce procédé, toutefois, ne peut être utiliséop. cit.

(note 62), p. 27 [notre traduction].

97

États-Unis, Executive Order 11850, op. cit. (note 90), par. (b)-(c).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

26

e siècle

par le droit international. L’interprétation présentée ici de l’article II, par. 9, al. d) est

conforme aux principes de l’interprétation des traités, parce qu’elle fait la distinction

entre les objectifs de maintien de l’ordre public autorisés par l’article II, par. 9, al. d) et

les méthodes de guerre interdites par l’article premier, par. 5.

Le maintien de l’ordre public et la répression des insurrections

Les opérations de répression de l’insurrection en Irak ont soulevé la question de savoir si

les forces armées pouvaient utiliser dans ce cadre des agents de lutte antiémeute ou des

produits chimiques incapacitants. En d’autres termes, peut-on considérer les activités de

lutte contre l’insurrection menées par des forces militaires comme des opérations menées

à des fins de maintien de l’ordre public aux termes de l’article II, par. 9, al. d) ? Le

contexte de l’insurrection pose des problèmes conceptuels, car il est à cheval entre les

notions traditionnelles de conflit armé entre États et de maintien de l’ordre à l’intérieur

d’un État. Les situations d’insurrection et de violences civiles organisées à grande échelle

ont posé par le passé des difficultés en termes de droit international humanitaire, comme

le montrent les controverses qui ont entouré la négociation du Protocole additionnel II sur

les conflits armés non internationaux. Il n’est donc pas surprenant que les situations

insurrectionnelles créent des problèmes en ce qui concerne l’interprétation de l’article II,

par. 9, al. d).

Les règles du droit international humanitaire sur les conflits armés non

internationaux s’appliquent aux conflits qui se déroulent sur le territoire d’un État entre

des forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui

exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des

opérations militaires continues et concertées

entre le conflit armé et le maintien de l’ordre à l’intérieur d’un État. Ainsi, le Protocole

additionnel II est une source pertinente en ce qui concerne les règles applicables pour

l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d).

Une action militaire menée contre des insurgés qui exercent un contrôle sur une

partie du territoire d’un État et qui mènent des opérations militaires continues et

concertées constitue un conflit armé plutôt qu’une action de maintien de l’ordre, et ne

tombe donc pas sous le coup de l’article II, par. 9, al. d). L’interdiction de l’emploi

d’armes chimiques «en aucune circonstance

que les conflits internationaux. Ce raisonnement suggère aussi que l’emploi d’agents de

lutte antiémeute dans des opérations contre une insurrection serait un moyen de guerre

prohibé par l’article premier, par. 5 de la Convention. La pratique étatique des forces

militaires en Irak à ce jour étaye cette interprétation, car ces forces n’ont pas employé

d’agents de lutte antiémeute ni de produits chimiques incapacitants dans leurs opérations

de lutte contre l’insurrection.

98. Ce seuil trace une ligne de démarcation99» englobe les conflits civils au même titre

98

protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, Recueil des

traités des Nations Unies, Vol. 1125, p. 609.

Art. premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la

99

Art. premier, par. 1 de la Convention sur les armes chimiques.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

27

e siècle

Moscou, le maintien de l’ordre public et la Convention sur les armes

chimiques

L’analyse détaillée de la disposition de la Convention sur les armes chimiques touchant le

maintien de l’ordre public à laquelle nous venons de nous livrer est motivée par l’onde de

choc qu’a suscité, dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international,

l’emploi du fentanyl pour mettre un terme à la crise des otages à Moscou. La plupart des

expert sont tombés d’accord pour considérer que l’emploi du fentanyl par la Russie

tombait bien sous le coup de l’article II, par. 9, al. d), mais il subsistait des incertitudes et

des inquiétudes quant au sens de cette disposition et quant à son application dans des

contextes autres que le scénario de Moscou, auxquelles il était urgent d’apporter une

réponse. L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) donnée ci-dessus répond à de

nombreuses questions soulevées sur cette disposition, ainsi qu’aux craintes selon

lesquelles les événements de Moscou auraient démontré, comme certains commentateurs

l’ont affirmé, l’existence d’«une grave lacune» qui rendrait la Convention sur les armes

chimiques vulnérable «aux progrès de la science et des techniques

disposition relative au maintien de l’ordre est complexe, mais l’analyse faite à la lumière

des événements de Moscou montrent qu’elle ne prive pas la Convention de son objet et

de sa raison d’être en cas de manipulations, bien ou mal intentionnées, des progrès de la

science et de la technique. Il est important, après les événements de Moscou, d’expliciter

cette disposition, mais comme nous le verrons dans la section suivante, l’impact de ces

faits sur le débat concernant les armes «non létales» et le droit international dépasse la

seule question de déterminer le sens de la disposition relative au maintien de l’ordre

public dans la Convention sur les armes chimiques.

100». Certes, la

Comprendre les événements de Moscou : les armes «non létales» et le

droit international, aujourd’hui et demain

Les armes «non létales» chimiques et biologiques et le droit international :

une ère nouvelle ?

Au-delà de l’impact exercé par la crise de Moscou sur l’interprétation de la Convention

sur les armes chimiques, on décèle un changement d’attitude parmi des responsables

influents aux États-Unis quant à la question de savoir s’il est bien judicieux de chercher à

développer des capacités de production d’armes «non létales» chimiques ou biologiques.

Ce changement est perceptible dans deux rapports produits par des groupes de travail sur

les armes non létales, rapports financés par un organe influent, le Council on Foreign

Relations (Conseil sur les relations étrangères, CFR), et publiés l’un avant, l’autre après

les événements de Moscou. En 1999, un groupe de travail débattant des capacités de

production d’armes chimiques et biologiques estimait que «la sécurité des États-Unis

pourrait, dans certaines circonstances, être renforcée par la modification d’un traité

101»,

100

traduction].

«New weapon technologies and the loophole in the Convention», op. cit. (note 38), p. 2 [notre

101

Independent Task Force 1999, op. cit. (note 35).

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

28

e siècle

ce qui laissait entendre que des personnalités influentes, aux États-Unis, envisageaient la

possibilité d’amender la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les

armes biologiques.

Un autre groupe de travail du CFR est cependant parvenu en 2004 à une conclusion

opposée. Ce groupe «a examiné les avantages ainsi que les problèmes qui découleraient,

soit d’une tentative de la part des États-Unis d’interpréter la Convention sur les armes

chimiques, ou d’une initiative des États-Unis pour amender la Convention ou la dénoncer

afin de pouvoir employer des produits chimiques comme armes •non létales’ contre des

combattants ennemis

suivante :

«Le groupe de travail considère que chercher à obtenir un amendement à la

Convention sur les armes chimiques, ou simplement affirmer le droit d’employer

les agents de lutte antiémeute comme méthode de guerre, risquerait de

compromettre la légitimité de toutes les armes non létales. Ceci ouvrirait la porte à

d’autres acteurs pour leur permettre de conduire ouvertement et légitimement des

activités de recherche-développement gouvernementales ciblées, susceptibles de

déboucher plus probablement sur des agents létaux perfectionnés que sur une

amélioration des capacités de production d’armes non létales. (...) Le groupe de

travail estime donc, tout bien considéré, que la manière la plus avisée de procéder

pour les États-Unis consiste à réaffirmer son appui à la Convention sur les armes

chimiques et à la Convention sur les armes biologiques, et d’être à la pointe des

efforts destinés à garantir le respect des traités par les autres pays

Le changement de cap constaté entre le rapport de 1999 et la conclusion du rapport

de 2004 dénote une prise de conscience croissante du fait qu’assouplir les exigences de la

Convention sur les armes chimiques ou de la Convention sur les armes biologiques dans

l’optique de favoriser le développement des armes «non létales» non seulement nuirait à

la sécurité nationale des États-Unis en incitant d’autres États à poursuivre des travaux de

recherche facilement exploitables à des fins létales, mais encore — pour citer les termes

du groupe de travail de 2004 — saperait la légitimité de toutes les armes «non létales».

Le groupe de travail de 2004 s’est exprimé en faveur du développement des armes non

létales

reviendrait à saper les progrès vers cet objectif. Ce groupe de travail souhaitait éviter la

politique délétère ainsi que les effets juridiques dus au «brouillard de fentanyl» dans le

cadre du mouvement général en faveur du développement des armes non létales.

Il y a aussi d’autres indications qui permettent de conclure que les perspectives et

l’enthousiasme concernant un développement plus énergique des capacités en matière

d’armes chimiques n’ont guère le vent en poupe. Le juriste David Koplow a affirmé que

l’idée d’amender la Convention sur les armes chimiques pour autoriser l’emploi militaire

d’armes chimiques «non létales» — qu’il s’agisse d’agents de lutte antiémeute ou de

produits chimiques incapacitants — était totalement utopique

Procureur général aux forces armées a admis que la Convention sur les armes chimiques

102». Cette analyse a conduit le groupe de travail à la conclusion103104, mais il a conclu que laisser ouvertes les options chimique ou biologique105. Un juriste auprès du

102

Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 31.

103

Ibid., p. 32.

104

Ibid., p. 1.

105

armes «non létales» David Koplow lors de la Non-Lethal Defense Conference VI en mars 2005).

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26 (rapportant les commentaires du juriste expert en

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

29

e siècle

interdisait l’emploi à des fins militaires d’agents chimiques sédatifs, mettant en question

la licéité de tout intérêt militaire à l’égard d’armes incapacitantes de cette nature

Le changement de position des groupes de travail du CFR ne signifie certes pas que

l’intérêt ou les controverses à l’égard des armes «non létales» chimiques et biologiques

employées à des fins militaires se seraient évanouis. D’aucuns continuent à plaider pour

des armes «non létales» chimiques et biologiques qui exigeraient des modifications du

droit international

l’égard des produits chimiques incapacitants ne faiblit pas

l’OTAN mentionne les armes biologiques antimatériel comme une technologie

intéressante

armes biologiques

les armes biologiques antimatériel n’étaient pas autorisées par cette Convention

arguments sont avancés selon lesquels la Convention sur les armes chimiques ne régirait

pas les produits malodorants, ce qui signifierait que les forces armées seraient en droit de

les employer dans un conflit armé

de nouveaux produits chimiques incapacitants pourraient être qualifiés d’agents de lutte

antiémeute, pour couvrir les activités de recherche-développement sous prétexte de buts

de maintien de l’ordre

106.107. Qui plus est, selon certaines indications, l’intérêt des militaires à108. Ainsi, un rapport de109, malgré le fait que ces armes soient interdites par la Convention sur les110, et en dépit d’un rapport antérieur de l’OTAN qui avait conclu que111. Des112. Des appréhensions sont exprimées quant au fait que113. Des préoccupations croissantes se font jour, en outre,

106

«il était probable que ces types de systèmes d’armement [sédatifs] étaient prohibés par la Convention

sur les armes chimiques» [notre traduction]).

Ibid. (rapportant l’avis d’un juriste des services du Procureur général aux forces armées, selon lequel

107

Conference VI en mars 2005, John Alexander, partisan des armes «non létales», avait affirmé que «la

question des armes chimiques et biologiques devrait être réexaminée en ce qui concerne les armes non

létales, car le droit international interdisant leur mise au point était •dépassé’» [notre traduction]).

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21 (signalant que lors de la Non-Lethal Defense

108

un programme secret d’armes chimiques, en violation de la Convention sur les armes chimiques. «US

military operates secret chemical weapons program»,

Sunshine Project, 24 septembre 2002.

Dando, op. cit. (note 54), p. 17. Une organisation non gouvernementale a accusé les États-Unis d’avoirSunshine Project Aerogramme, No. 2002/05,

109

Operations, doc. RTO-TR-SAS-040, novembre 2004, pp. 3-6.

Organisation pour la recherche et la technologie, Non-Lethal Weapons and Future Peace Enforcement

110

Department of the Navy Office of the Judge Advocate General, 30 novembre 1997, p. 21 («La

Convention sur les armes biologiques, et — de manière plus explicite — les textes d’application

nationaux [des États-Unis], interdisent la mise au point, la production et le stockage d’agents

biologiques destinés à être utilisés comme armes. La loi définit les agents biologiques de manière

large, de façon à y inclure les agents employés à des fins antimatériel» [notre traduction]).

Voir, p. ex., Preliminary Legal Review of Proposed Chemical-Based Nonlethal Weapons, US

111

des technologies de l’Assemblée de l’Atlantique Nord, doc. AP 238 STC (97) 8, octobre 1997, par. 19

(indiquant que «l'utilisation d'agents biologiques destinés à rendre les carburants inertes ou à détruire

des matériaux utilisés dans du matériel militaire, même si leur but n'est pas meurtrier», serait interdite

par la Convention sur les armes biologiques).

Voir Lord Lyell, Rapporteur général, Les armes non létales, rapport de la Commission des sciences et

112

communication présentée lors du 3

12 mai 2005 à Ettlingen (Allemagne), p. 7 (affirmant que les produits malodorants ne sont pas des

produits chimiques toxiques au sens de la Convention sur les armes chimiques); Jared Silberman,

«Non-lethal weaponry and non-proliferation»,

Vol. 19, 2005, pp. 347-348 (juriste de la marine des États-Unis affirmant que «l’on pourrait voir

apparaître, à terme, l’emploi de produits malodorants, une façon de refuser l’accès à un ennemi» [notre

traduction]).

Massimo Annati, «Military use of chemical riot control agents: A case for legal assessment»,e Colloque européen sur les armes non létales organisé du 10 auNotre Dame Journal of Law, Ethics and Public Policy,

113

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26.

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

XXI

30

e siècle

concernant les armes «biochimiques» dites incapacitantes, qui recourent à des substances

qui pourraient être classées comme des toxines aux termes de la Convention sur les armes

biologiques ou comme des produits chimiques toxiques aux termes de la Convention sur

les armes chimiques

sur les armes «non létales» chimiques, biologiques et biochimiques demeure de mise.

Néanmoins, le changement d’attitude manifeste parmi les personnalités influentes

du CFR — auquel s’ajoutent les arguments et les efforts soutenus des sceptiques au sujet

des armes «non létales» — indique une rupture majeure à l’égard des armes chimiques et

biologiques dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international après la

crise de Moscou. Il faudra attendre la décennie à venir pour savoir si cette rupture est

permanente ou éphémère.

U

droit international

114. Toutes ces observations signifient que la vigilance internationalene voie moins balisée : les autres technologies d’armes «non létales» et le

Comme l’a montré la crise de Moscou, et comme l’a reconnu le dernier groupe de travail

du CFR, le développement d’armes «non létales» chimiques ou biologiques suscite de

très vives controverses, liées en grande partie à la manière «concentrée» dont le droit

international réglemente les armes chimiques et biologiques. Or, il existe d’autres

techniques utilisées dans les armes «non létales» qui ne font pas l’objet du même degré

d’attention de la communauté internationale, sur le plan juridique, que les agents

chimiques ou biologiques. Il n’existe rien de comparable à la Convention sur les armes

chimiques ou à la Convention sur les armes biologiques en ce qui concerne les

technologies d’armes «non létales» cinétiques, acoustiques, électriques, à

microfréquences et électromagnétiques, ce qui crée un cadre plus propice à la recherchedéveloppement.

Les règles du droit international humanitaire et du droit international des

droits de l’homme qui s’appliquent sont de nature générale (interdisant, par exemple,

qu’une arme cause des maux superflus, ou encore prohibant la torture ou les traitements

cruels, inhumains ou dégradants), mais ne concernent pas une technologie particulière.

Cette situation facilite le passage d’une technologie du stade de la recherchedéveloppement

au stade du déploiement. Bien que certaines de ces techniques suscitent

des préoccupations, comme le montrent les controverses autour des armes Taser

l’exploration de ces possibilités d’armes «non létales» ne rencontre actuellement aucun

obstacle comparable au «brouillard de fentanyl».

Il est intéressant de noter que d’aucuns, parmi les partisans des armes «non létales»,

cherchent à éviter la mise en place d’une réglementation plus stricte de ces technologies à

l’échelle internationale. Ainsi, en novembre 2004, l’Organisation pour la recherche et la

technologie de l’OTAN a recommandé que, «afin de garantir que les forces de l’OTAN

conservent leur capacité d’accomplir leurs missions, les pays membres de l’OTAN

115,

114

Project Research Report No. 5

Dando, «L’utilisation des neurosciences à des fins malveillantes»,

pp. 20-27; Kathryn Nixdorff, «À l’attaque du système immunitaire»,

pp. 30-40.

Neil Davison, «Weapons focus: Biochemical weapons», in Bradford Non-Lethal Weapons Research, mai 2004, pp. 27-34; Wheelis, op. cit. (note 52), pp. 6-13; MalcolmForum du Désarmement, 2005,Forum du Désarmement, 2005,

115

controverses autour des armes Taser).

Voir Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), pp. 34-41 (où les auteurs passent en revue les

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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demeurent vigilants à l’égard du développement de régimes juridiques spécifiques qui

limiteraient sans nécessité la capacité d’employer des armes non létales

L’Organisation pour la recherche et la technologie n’a pas pour autant manifesté

d’opposition ouverte au rôle du droit international concernant les armes «non létales»,

puisqu’elle a insisté sur le devoir des pays membres de l’OTAN d’examiner la licéité des

armes nouvelles, et sur la nécessité de déterminer si le droit international humanitaire

traitait de manière appropriée l’emploi de ce type d’arme

la poursuite du développement d’une réglementation internationale spécifique dénote une

certaine préoccupation quant au fait que le débat sur les armes «non létales» et le droit

international a suscité un élan — ou tout au moins un intérêt marqué — pour une

réglementation juridique internationale des technologies des armes «non létales», ce qui

compromet l’adoption et l’emploi futurs, par les forces militaires, de ces technologies.

Cette recommandation de Organisation pour la recherche et la technologie confirme

cependant un argument invoqué par le camp des sceptiques : il n’existe pas d’arme «non

létale». L’Organisation pour la recherche et la technologie souhaite, pour l’essentiel, que

les règles actuelles qui s’appliquent à toute arme nouvelle s’appliquent aux armes «non

létales». En d’autres termes, il s’agirait de traiter les armes «non létales» comme de

simples armes en vertu des règles existantes. C’est exactement la position que les

sceptiques ont toujours défendue. La crise de Moscou, au demeurant, étaie aussi

l’argument selon lequel la classification des armes en «létales» et «non létales» est

douteuse, en termes empiriques comme sur le plan éthique.

Parallèlement, l’opposition de l’Organisation pour la recherche et la technologie à

une réglementation spécifique des technologies permettant la conception d’armes «non

létales» sape les arguments avancés par leurs partisans pour expliquer pourquoi les armes

«non létales» seraient différentes des autres sur le plan éthique. Si une technologie

nouvelle exige, pour des raisons d’ordre humanitaire ou pour d’autres raisons éthiques,

des règles supplémentaires pour sa mise au point ou pour son emploi, alors la manière

moralement correcte de procéder serait d’élaborer une nouvelle réglementation de la mise

au point et de l’emploi militaires de cette technologie

armes «non létales» seraient différentes sur le plan éthique reposent sur les principes

éthiques du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme existants; or

ces principes mêmes rendent moralement discutable le raisonnement selon lequel il

faudrait s’abstenir de réglementer de manière spécifique les nouvelles technologies de

l’armement destinées à accroître l’efficacité militaire des armes.

Reconnaissons, pour rendre justice à l’Organisation pour la recherche et la

technologie, que sa recommandation concernait des réglementations internationales

spécifiques qui restreindraient de manière «superflue» l’emploi militaire des armes non

létales. Ceci dit, ce qualificatif amène inévitablement une question : qu’est-ce qui

constitue une limite —nécessaire ou superflue — à l’emploi militairement efficace d’une

arme ? Les retombées de la crise de Moscou, y compris l’interprétation de la disposition

sur le maintien de l’ordre dans la Convention sur les armes chimiques, montrent

l’importance d’une réglementation juridique internationale spécifique des technologies de

116».117. Pourtant, le désir de prévenir118. Les arguments selon lesquels les

116

Organisation pour la recherche et la technologie de l’OTAN, op. cit. (note 108), p. iii.

117

Ibid., pp. 4-5.

118

armes à laser aveuglantes.

L’exemple classique de cette dynamique est le processus qui a conduit à l’interdiction de l’emploi des

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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l’armement. La tension entre les enseignements tirés des événements de Moscou et le

désir de certains partisans des armes «non létales» de prévenir une réglementation

internationale plus poussée des technologies d’armes «non létales» n’est qu’une nouvelle

manifestation de la contradiction ancienne entre l’utilité militaire (définie par la

technologie) et les principes moraux (incarnés dans le droit humanitaire), contradiction

qui habite le droit international humanitaire depuis au moins la fin du XIX

L’avenir du débat sur les armes «non létales» et le droit international verra les partisans et

les opposants de ces armes affronter cette contradiction, avec en toile de fond les

avancées techniques qui ne manqueront pas de redéfinir la nature et l’art de la guerre.

e siècle.

Conclusion

Davison et Lewer ont signalé que, lors d’une grande conférence sur les armes «non

létales» en mars 2005, les partisans de ces armes se sont plaints du fait qu’ils étaient en

train de perdre la «bataille de l’opinion» sous le coup des critiques émises par les

sceptiques et par les médias

médias, de toute évidence, ne «comprennent rien

médias ne sont pas les seuls dans ce cas. En 2004, le groupe de travail du Council on

Foreign Relations des États-Unis sur les armes «non létales» a conclu qu’il avait constaté

«peu de signes d’intérêt, dans les échelons supérieurs du Département de la défense, à

l’égard de la valeur et des applications nouvelles des armes non létales. Malgré des

succès à petite échelle, les armes non létales n’ont pas acquis leur place dans la réflexion

ni dans les achats en matière de défense

La déception des partisans des armes «non létales» quant à leur absence de progrès

reflète la difficulté du contexte actuel, qui s’explique par de nombreux facteurs, au

nombre desquels les événements de Moscou d’octobre 2002. La signification de ces

événements a refroidi aussi bien les avocats de ces armes que les sceptiques, forçant

chaque camp à revoir ses présupposés et ses arguments face à un avenir complexe et

délicat, en particulier en ce qui concerne le rôle du droit international. Le «brouillard de

fentanyl» a représenté, tant pour les partisans que pour les sceptiques de ces armes, une

réalité brutale qui a bouleversé le cadre de la réflexion future sur les armes «non létales».

Le sentiment de frustration ressenti par les tenants des armes «non létales»,

conscients de perdre la bataille en termes de relations publiques, a des causes plus

profondes qu’une simple incapacité de leur part de plaider avec succès la cause de ces

armes. Comme l’a démontré la crise de Moscou, on ne peut manquer de s’interroger

franchement quant au bien-fondé des affirmations sur le caractère «non létal» de ces

armes, et sur leur nature qui les distinguerait fondamentalement des autres armes, sur le

plan éthique, du fait de leur technologie, par opposition aux principes juridiques et

moraux de comportement. Les arguments utilisés par les avocats de ces armes dans la

deuxième moitié des années 1990 n’ont plus la même portée dans le contexte actuel, qui

est plus exigeant. Certains arguments — comme ceux qui plaident en faveur

d’amendements à la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les

armes biologiques — sont désormais considérés, même parmi les partisans des armes

119. Ils se montraient navrés de ce que les critiques et les120». Apparemment, les critiques et les121».

119

Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21.

120

Ibid.

121

Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 8 [notre traduction].

D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du

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«non létales», non plus comme intellectuellement provocants, mais comme tout

simplement dangereux en ce qui concerne la mise au point d’autres techniques.

Les événements de Moscou sont aussi lourds de conséquences pour le camp des

sceptiques. Comme l’a montré l’analyse détaillée présentée ici, la réaction à l’attaque

terroriste du théâtre Nord-Ost a contraint à examiner de manière plus approfondie la

disposition de la Convention sur les armes chimiques concernant le maintien de l’ordre,

dont l’importance est apparue de manière éclatante à cette occasion. En outre, l’intérêt

qui continue à se manifester à l’égard d’un grand nombre de technologies non chimiques

et non biologiques en matière d’armes «non létales» signifie que le débat sur ces armes et

le droit international va se poursuivre pendant des années, mais plutôt porter sur des

techniques dont la mise au point et l’emploi ne sont pas régis par des traités de maîtrise

des armements. Dans l’ère de l’«après-Moscou», la prochaine phase critique sera

déclenchée par les avancées des techniques plus perfectionnées en matière d’armes

cinétiques, électriques, acoustiques, à microfréquences ou électromagnétiques, lorsque

ces nouvelles technologies seront déployées sur le terrain et lorsque l’emploi de telles

armes fournira des données empiriques

Les conséquences des événements de Moscou — la reconnaissance d’une place

pour l’emploi d’armes «non létales», avec en contrepartie la nécessité d’appliquer, de

préciser et de renforcer les paramètres définis par le droit international — préfigurent la

relation future entre ces armes et le droit international, avec les progrès de technologies

plus avancées. En un mot, les événements de Moscou nous montrent que l’évolution

rapide des techniques continuera à mettre à l’épreuve le droit international relatif à la

mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus chargée politiquement,

plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que l’application du droit

international humanitaire, par le passé, à des techniques spécifiquement conçues pour

tuer et pour détruire.

122.

122

à l’adresse <http:// www.usatoday.com/news/world/iraq/2005-07-24-nonlethal-weapons_x.htm> (lien

consulté pour la dernière fois le 27 juillet 2005). Ces progrès sont freinés à l’heure actuelle par le

manque de fonds. Les engagements militaires des États-Unis en Irak et en Afghanistan ont des effets

négatifs sur les perspectives d’un soutien du Département de la défense à la mise au point de

technologies d’armes «non létales». Le fardeau de la recherche-développement retombera donc sur le

secteur privé. Voir Davison et Lewer 2005,

Voir Steven Komarow, «Pentagon deploys array of non-lethal weapons», USA Today, 24 juillet 2005,op. cit. (note 11), p. 22.
 
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