Les armes
Original anglais, « The meaning of Moscow: «Non-lethal» weapons and international law in the early 21st century »,
International Review of the Red Cross,
Vol. 87, No. 859, September 2005, pp. 525-552.Le sens des événements de
Moscou : les armes «non
létales» et le droit
international à l’orée du
XXI
e siècleDavid P. Fidler
Professeur de droit, titulaire de la bourse
de recherche Harry T. Ice, Faculté de droit
de l’Université de l’Indiana, Bloomington,
États-Unis.
Résumé
Le débat sur les armes dites «non létales» se situe au point de contact entre les nouvelles
technologies de l’armement et le droit international humanitaire; ces armes suscitent un
intérêt tout particulier. Cet article analyse la relation entre les armes «non létales» et le
droit international au début du XXI
emblématique survenu à ce jour dans la brève histoire du débat sur ce type d’arme, à
savoir l’emploi d’un produit chimique incapacitant pour mettre un terme à l’attaque
terroriste lancée dans un théâtre de Moscou en octobre 2002. Cet événement tragique a
montré que l’évolution rapide des techniques va continuer de mettre à l’épreuve le droit
international relatif à la mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus
chargée politiquement, plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que
l’application du droit international humanitaire par le passé.
e siècle, en se fondant sur l’événement le plus*****
Comprendre les événements de Moscou
Depuis une dizaine d’années, le rapport entre les technologies des armes nouvelles et le
droit international humanitaire suscite un débat particulièrement intéressant : celui qui
porte sur les armes dites «non létales». Les aspects techniques, militaires, politiques,
juridiques et éthiques de ces armes ont suscité beaucoup d’attention et de vives
D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
2
e sièclecontroverses
qu’il s’agit d’autre chose que d’un simple engouement passager au lendemain de la
guerre froide. Il est donc légitime, dans la réflexion sur la manière dont le droit a traité
l’apparition de technologies qui diffèrent, si l’on en croit leurs partisans, de celles des
armes «létales», de s’arrêter sur la place des armes «non létales» dans le droit
international humanitaire, et plus généralement en droit international. Le présent article
analyse la relation entre les armes «non létales» et le droit international au début du
XXI
emblématique survenu à ce jour dans la courte histoire du débat sur ces armes : l’emploi
d’un agent chimique incapacitant pour mettre un terme à une attaque terroriste contre un
théâtre de Moscou en octobre 2002.
L’apparition de nouvelles technologies d’armement est souvent le fruit d’un
moment historique où leur emploi concrétise soudain des questions politiques, juridiques
et morales qui restaient jusque-là abstraites. Le déploiement d’armes chimiques sur les
champs de bataille de la Première Guerre mondiale est encore pour beaucoup dans la
manière dont ces armes sont perçues dans l’opinion. De la même manière, la perception
des armes biologiques est marquée par les horreurs des expériences japonaises réalisées
en la matière en Chine, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les explosions
atomiques qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki en août 1945 pèsent jusqu’à ce jour sur
le débat concernant les armes nucléaires. À l’heure où ces lignes sont écrites,
l’événement le plus significatif à avoir marqué le débat sur les armes «non létales» est
l’emploi d’un agent chimique incapacitant à Moscou en 2002. Si cet événement concerne
surtout les controverses qui entourent les armes chimiques «non létales», les faits
survenus à Moscou ont des répercussions plus vastes pour la relation entre la mise au
point d’armes «non létales» et les règles de droit international; nous y reviendrons plus
loin.
Cet article commence par retracer le déroulement du débat sur les armes «non
létales» et le droit international avant les événements de Moscou. Au cours de cette
période, de nombreux analystes – dont l’auteur du présent article
mise au point et l’emploi de diverses armes «non létales» au regard du droit international
existant, en particulier le droit international concernant le désarmement et le droit
international humanitaire. Ces travaux avaient mis en évidence des divergences de vues
entre les partisans des armes «non létales» et les sceptiques quant au rôle du droit
international dans la mise au point et l’emploi de ces armes. En l’absence de faits, de
preuves ou de données concrets, ce dialogue revêtait par la force des choses un caractère
abstrait, faisant plus de place aux réflexions théoriques qu’à l’analyse empirique
1. L’ampleur, la complexité et l’intensité croissantes de ce débat montrente siècle, en prenant pour point de départ l’événement sans doute le plus2, 3 – avaient étudié la4.1
bibliographie, compilée par la Air University Library à la base de l’armée de l’air des États-Unis de
Maxwell, à l’adresse <http://www.au.af.mil/au/aul/bibs/soft/nonlethal.htm> (Non-Lethal Weapons,
juillet 2005).
Les publications consacrées aux armes «non létales» sont aujourd’hui légion. On trouvera une2
International Law,
David P. Fidler, «The international legal implications of •non-lethal’ weapons», Michigan Journal ofVol. 21, 1999, pp. 51-100.3
David P. Fidler, «•Non-lethal’ weapons and international law: Three perspectives on the future»,Medicine, Conflict and Survival,
Vol. 17, 2001, pp. 194-206.4
«non létales» et de leur intégration dans les forces armées et dans la stratégie militaire, une très large
part des analyses juridiques menées sur le plan international ne peuvent se fonder sur aucun précédent,
J’avais ainsi affirmé en 1999 qu’«étant donné le caractère embryonnaire de la mise au point des armesD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
3
e siècleL’article décrit ensuite le déroulement des faits dans le théâtre de Moscou et la
manière dont cette crise a transformé les arguments abstraits du débat sur les armes «non
létales» en un événement réel d’importance majeure, touchant des questions de vie ou de
mort. L’une des conséquences les plus importantes des événements de Moscou a été de
concentrer l’attention sur la manière dont la Convention sur les armes chimiques
l’emploi d’agents chimiques incapacitants par les forces chargées du maintien de l’ordre,
et cet article donne une interprétation de cet aspect de la Convention à la lumière des
événements de Moscou. Enfin, les relations actuelles et futures entre les armes «non
létales» et le droit international sont examinées dans le contexte de l’«après-Moscou».
5 régitL’avant-Moscou : le débat sur les armes «non létales» et le droit
international
Le débat sur les implications juridiques internationales des armes «non létales» ne s’est
développé que vers la fin des années 1990, en réaction à l’intérêt croissant manifesté à
l’égard de ces armes par les armées dans divers endroits du monde, et en particulier aux
États-Unis d’Amérique. La question des armes conçues comme étant moins létales que
les armes classiques, ou prétendues telles, avait déjà été abordée en droit international;
des traités sur les armes biologiques, chimiques et classiques réglementaient les capacités
«non létales». Ainsi, la Convention sur les armes biologiques ou à toxines avait interdit la
mise au point d’armes biologiques «non létales», à des fins antipersonnel ou
antimatériel
l’emploi d’armes chimiques, définies comme incluant les produits chimiques toxiques qui
entraînent une incapacité temporaire
d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre
annexé à la Convention sur les armes classiques un protocole interdisant l’emploi des
armes à laser aveuglantes conçues pour provoquer la cécité permanente
Bien qu’il s’agisse là indéniablement d’exemples de dispositions de droit
international régissant les capacités «non létales» des armes, il fallut attendre le milieu
des années 1990 pour que s’instaure un débat réellement centré sur les armes «non
létales» en tant que telles. L’intérêt croissant des militaires — et, dans une moindre
mesure, des forces de maintien de l’ordre
6. La Convention sur les armes chimiques interdisait la mise au point et7. Cette même Convention interdisait aussi l’emploi8. En 1995, les États avaient9.10 — à l’égard de ces armes dans la deuxièmece qui leur confère un caractère abstrait, voire parfois de pure spéculation». Fidler,
p. 55 [notre traduction].
op. cit. (note 2),5
armes chimiques et sur leur destruction, 13 janvier 1993, doc. Nations Unies CD/CW/WP.400/Rev. 1.
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des6
bactériologiques (biologiques) ou à toxine et sur leur destruction, 10 avril 1972, Recueil des traités des
Nations Unies, Vol. 1015, 1976, pp. 174-179.
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes7
Articles I, par. 1 et II, par. 2, de la Convention sur les armes chimiques.8
Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.9
l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées
comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination),
13 octobre 1995, doc. Nations Unies CCW/CONF.I/7, 12 octobre 1995.
Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV à la Convention de 1980 sur10
moitié des années 1990; les forces de police et de sécurité intérieure utilisaient en effet depuis
Les armes «non létales» étaient certes bien connues des services de répression dans la deuxièmeD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
4
e sièclemoitié de cette décennie a stimulé une analyse juridique spécifique, sur le plan
international, des armes «non létales» en tant que nouvelle catégorie d’armes (voir le
tableau ci-après pour la description des technologies). Les experts prirent position par
rapport aux affirmations selon lesquelles ces armes différaient, non seulement sur le plan
technique mais aussi sur le plan éthique, des armes que le droit international essayait
depuis longtemps de réglementer par les traités de désarmement et par le droit
international humanitaire.
Les principaux domaines technologiques des armes «non létales»
11Technologie Exemples
Énergie cinétique Munitions à impact (projectiles en mousse de
caoutchouc, chevilles en bois, sacs à fèves, balles en
plastique, canons à eau, anneaux aérodynamiques)
Barrières et filets de rétention ou d’enchevêtrement Dispositifs destinés à ralentir la progression et à
stopper des véhicules ou des bateaux (p. ex. filets,
chaînes, pointes, mousses rigides)
Électricité Technologie d’incapacitation musculaire par
électrochoc (p. ex. arme à électrochoc Taser, «épée
rétractable à décharge électrique», exosquelette à
décharge électrique, arme électrique sans fil (p. ex.
fusil à électrochoc pour combat rapproché (
Quarters Shock Rifle),
laser)
Acoustique Générateurs acoustiques, canons acoustiques,
dispositifs acoustiques à longue portée
Énergie dirigée Micro-ondes à haute puissance, ondes
millimétriques, lasers, armes envoyant des
projectiles à énergie pulsée
Chimie Agents de lutte antiémeute, produits malodorants,
agents antitraction, obscurcissants, mousses
collantes, produits chimiques antimatériel,
défoliants/herbicides
Chimie/biochimie Produits sédatifs, convulsants, agents incapacitants
Biologie Micro-organismes antimatériel, agents anticulture
Technologies combinées Grenades aveuglantes, dispositifs de diffusion
cinétiques et chimiques, dispositifs de diffusion
optiques et chimiques
Vecteurs Munitions «non létales» (p. ex. obus de mortier),
mines terrestres, véhicules et engins nautiques sans
pilote, encapsulation/microencapsulation
longtemps des armes telles que balles en plastique, «sacs à fèves», agents de lutte antiémeute, canons à
eau et matraques. Toutefois, l’intérêt des forces de maintien de l’ordre et leur participation active au
débat sur les armes «non létales» semblent avoir pris de l’ampleur au moment même où les forces
armées commençaient à réfléchir plus sérieusement au déploiement de ce type de techniques.
Closearme à plasma induit par11
Désarmement,
Research Project Research Report No. 7,
Non-Lethal Weapons Research Project Research Report No. 6,
Nicholas Lewer et Neil Davison, «Tour d’horizon des technologies non létales», Forum du2005, pp. 41-57; Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradford Non-Lethal Weaponmai 2005; et Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradfordoctobre 2004.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
5
e siècleLe débat sur les incidences des armes «non létales» au regard du droit international
s’est déroulé d’une manière qui a exacerbé les controverses. À la fin du XIX
pendant la majeure partie du XX
de l’armement s’était en effet développé, dans les grandes lignes, de manière à définir et
appliquer des règles régissant des armes de plus en plus destructrices et meurtrières
Or, les armes «non létales» n’entraient pas dans ce schéma. Selon la définition du
Département américain de la défense, les armes «non létales» sont des armes
«explicitement conçues et employées avant tout afin de causer l’incapacité du personnel
ou du matériel, tout en réduisant au minimum les décès, les lésions permanentes aux
personnes ainsi que les dommages indésirables aux biens et à l’environnement
Définies de cette manière, les armes «non létales» faisaient écho à l’objectif du droit
international humanitaire de rendre le conflit armé plus humain
armes «non létales» était guidée, dans une certaine mesure, par les contraintes que le droit
international humanitaire imposait aux forces militaires engagées dans des opérations non
traditionnelles telles que les missions de maintien de la paix. Cette apparente
convergence d’intérêts créait un cadre dans lequel on pouvait imaginer que les forces
armées d’une part, les juristes et les experts en droit international humanitaire d’autre
part, finiraient par se rallier ensemble à ces nouvelles technologies d’armement.
Cette conjonction ne s’est pas produite. Les partisans des armes «non létales» se
sont heurtés au scepticisme des analystes politiques, des juristes et des acteurs
humanitaires internationaux
personnes : pourquoi donc ces experts exprimaient-ils des réticences à l’égard de moyens
somme toute plus humains de mener la guerre et de maintenir la paix ? Pour simpliste
qu’elle soit, cette question menaçait de prendre à contre-pied tous ceux qui manquaient
d’enthousiasme à l’égard des armes «non létales». Ils répondaient en soulignant les
nombreuses questions auxquelles le droit international exigeait une réponse avant que des
armes puisent être légitimement déployées
e siècle ete siècle, le droit international touchant les technologies12.13».14. En outre, l’étude des15. Cette attitude suscita la perplexité de nombreuses16. Rien ne symbolise mieux le fossé entre12
du droit international humanitaire, thème traité en 1996 dans un avis consultatif rendu par la Cour
internationale de justice. Voir l’affaire de la
L’exemple le plus parlant, à ce titre, est sans doute le problème posé par les armes nucléaires au regardLicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,avis consultatif, 8 juillet 1996,
CIJ Recueil 1996, p. 226.13
1996) [notre traduction]. Voir aussi Politique de l’OTAN sur les armes non létales, OTAN, 13 octobre
1999, à l’adresse <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p991013f.htm> (lien consulté pour la dernière
fois le 22 juin 2005). («Les armes non létales sont des armes spécifiquement conçues et mises au point
pour mettre hors de combat ou repousser le personnel, avec une faible probabilité d’issue fatale ou de
lésion permanente, ou mettre hors d’état le matériel, avec un minimum de dommages non
intentionnels ou d’incidences sur l’environnement.»)
Policy for Non-Lethal Weapons, US Departement of Defense Directive No. 3000.3, par. C (9 juillet14
Jonathan D. Moreno, «Medical ethics and non-lethal weapons», American Journal of Bioethics,Vol. 4, 2004, p. W1 (qui note que «les armes non létales semblent répondre à l’une des exigences de la
guerre juste selon Saint Augustin, à savoir l’emploi de la force strictement nécessaire à la tâche à
accomplir» [notre traduction]).
15
Form of Warfare: The Rise of Non-Lethal Weapons
Steven Schofield,
Coupland, «•Non-lethal’ weapons: Precipitating a new arms race»,
1997, p. 72.
On peut citer, parmi les premiers critiques notoires des armes «non létales», Malcolm Dando, A New, Brassey’s, Londres, 1996; Nicholas Lewer etNon-Lethal Weapons: A Fatal Attraction?, Zed Books, Londres, 1997; et RobinBritish Medical Journal, Vol. 315,16
nouvelle arme ainsi que de tous nouveaux moyens ou méthodes de guerre (art. 36). Voir, en ce qui
Ainsi, le Protocole additionnel I de 1977 exige que les États parties évaluent la légalité de touteD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
6
e sièclepartisans et sceptiques de ces armes que leurs divergences touchant l’expression «arme
non létale
spécificité, sur le plan technique comme sur le plan éthique; pour les sceptiques, cette
désignation était trompeuse, parce qu’elle conférait un statut moral à des armes sur la
base de leur technologie, et non sur la base d’une analyse juridique et éthique des raisons
et du contexte de leur emploi, et de la manière dont elles étaient employées.
Ce désaccord a eu des répercussions sur le débat juridique international. Persuadés
que les armes «non létales» étaient des armes qui se distinguaient des autres sur le plan
éthique, leurs partisans ont mis en question les règles internationales susceptibles de
limiter leur mise au point et leur emploi, affirmant qu’il était nécessaire d’envisager la
modification de ces règles. Un certain nombre de partisans de ces armes ont affirmé que
les traités restreignant leur mise au point devraient être amendés
en pleine lumière les restrictions imposées par les Conventions sur les armes biologiques
et chimiques à la mise au point d’armes biologiques et chimiques «non létales».
Dans certains cas, cependant, les tenants de ces armes sont allés plus loin, laissant
entendre qu’il fallait repenser le cadre moral qui avait guidé historiquement le droit
international des conflits armés, et le remplacer par un droit qui reconnaisse le nouveau
contexte militaire et éthique rendu possible par les technologies des armes «non
létales
létales» sur la règle traditionnelle de droit international humanitaire qui interdit
d’employer les armes intentionnellement contre les populations civiles
des armes «non létales» ont soulevé la question de savoir si cette interdiction était
défendable sur le plan éthique, au vu de la probabilité croissante de conflits armés en
zones urbaines. L’emploi intentionnel d’une arme «non létale» contre des populations où
se mêlent combattants et non-combattants n’offrirait-il pas la possibilité de faire moins de
morts et de blessés parmi les civils que le fait de restreindre les forces armées à l’emploi
d’armes «létales» dans une situation où il est pour ainsi dire impossible de distinguer
entre combattants et non-combattants et où cet emploi est désavantageux sur le plan
militaire
17». Pour les partisans de ces armes, cette expression résumait parfaitement leur18. Cette position a mis19». Cette position radicale peut être illustrée par l’impact potentiel des armes «non20. Les partisans21 ?concerne cette obligation, Isabelle Daoust, Robin Coupland et Rikke Ishoey, «New wars, new
weapons? The obligation of States to assess the legality of means and methods of warfare»,
internationale de la Croix-Rouge,
review of weapons in accordance with Article 36 of Additional Protocol I»,
Croix-Rouge,
RevueVol. 84, n° 846, juin 2002, pp. 345-363; Justin McClelland, «TheRevue internationale de laVol. 85, n° 850, juin 2003, pp. 397-415.17
Legitimating Forces? Technology, Politics and the Management of Conflict
2003, pp. 17-34.
Pour une discussion de l’expression «armes non létales», voir Brian Rappert, Non-Lethal Weapons as, Frank Cass, Londres,18
perspective».
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «selective changeFidler, op. cit. (note 3), pp. 199-201.19
perspective». Ibid.,
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «radical changepp. 201-204.20
brought by new means and methods of warfare with new effects?», in Davison et Lewer 2004,
Robin Coupland, «•Calmatives’ and •incapacitants’: Questions for international humanitarian lawop. cit.(note 11), p. 35 et p. 38 («Une autre préoccupation majeure, en ce qui concerne les armes •non létales’,
est le fait que leurs partisans proposent qu’elles soient utilisées par les soldats contre des civils en cas
de besoin» [notre traduction]).
21
Jefferson D. Reynolds, «Collateral damage on the 21st century battlefield: Enemy exploitation of theD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
7
e sièclePersuadés que les armes «non létales» étaient des armes comme les autres, sans
particularité spécifique sur le plan éthique, les sceptiques invoquaient quant à eux le droit
international existant relatif à la maîtrise des armements, à l’emploi de la force, aux
conflits armés et aux droits de l’homme, pour affirmer que ces armes soulevaient un
grand nombre de graves questions d’ordre juridique et moral qui ne sauraient être
dissimulées par la rhétorique relative à leur «non-létalité». En outre, les tenants de cette
position insistaient sur le fait que la mise au point et l’emploi des armes «non létales»
devait être conforme au droit international existant et à venir
partisans de ces armes ont affirmé qu’il convenait de modifier ou d’abroger des règles
juridiques internationales importantes pour faire leur place aux armes «non létales»
qu’une vive opposition s’est manifestée. Les sonnettes d’alarme ont retenti avec une
vigueur toute particulière au sujet des armes «non létales» qui pourraient être susceptibles
de saper les Conventions sur les armes biologiques et sur les armes chimiques
Il est un point, cependant, sur lequel les tenants de ces armes et les sceptiques
tombaient d’accord : le débat sur les armes «non létales» et le droit international
concernait essentiellement les technologies de demain, et non les armes «non létales»
susceptibles d’être déployées dans la deuxième moitié des années 1990 et au début des
années 2000. Bien que ce débat couvre les balles en plastique, les «sacs à fèves», le filets
d’enchevêtrement, les chausse-trapes, les mousses collantes, les agents de lutte
antiémeute, les grenades aveuglantes et assourdissantes et autres techniques similaires, ce
type d’arme «non létale» faisant appel à de technologies simples ne constituait pas
l’enjeu le plus important, ni pour les partisans ni pour les sceptiques. La génération
actuelle de ces armes avait des capacités limitées parce qu’elles reposaient
principalement sur des dispositifs mécaniques, chimiques ou cinétiques à courte portée; le
débat portait surtout sur les armes «de science-fiction», c’est-à-dire la génération suivante
d’armes non létales, qui utiliseraient des capacités bien plus avancées, sur les plans
cinétique, acoustique, électrique, électromagnétique, biologique et chimique, sans oublier
d’autres possibilités futuristes éventuelles comme la nanotechnologie
C’est pour cette raison que les partisans de ces armes et les sceptiques se livraient
pour l’essentiel, dans leur analyse de la manière dont les armes «non létales» pourraient
influencer les conflits armés, à des spéculations relevant de la boule de cristal. Les
tenants des armes «non létales» considéraient qu’elles pourraient réduire le nombre de
morts sur les champs de bataille; à l’opposé, les sceptiques mettaient en garde quant au
22. C’est surtout lorsque les23.24.law of armed conflict, and the struggle for a moral high ground»,
2005, p. 1, pp. 99-100 («Les plus prometteuses de toutes sont sans doute les armes non létales, qui
peuvent être employées contre des combattants ennemis mêlés à la population civile» [notre
traduction]).
Air Force Law Review, Vol. 56,22
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «compliance perspective».Fidler,
op. cit. (note 3), pp. 198-199.23
p. 1 (où l’on peut lire que «il est de plus en plus urgent, au vu des investissements croissants dans les
nouvelles technologies relatives aux •armes non létales’, de prendre conscience de la menace qu’elles
représentent pour le régime juridique de la Convention sur les armes chimiques et de la Convention
sur les armes biologiques» [notre traduction]).
«•Non-lethal’ weapons, the CWC and the BWC» CBW Conventions Bulletin, No. 61, septembre 2003,24
dans : Center for Responsible Nanotechnology, Dangers of Molecular Manufacturing
[<http://www.crnano.org/dangers.htm#arms> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin 2005)].
On trouvera une description des conséquences potentielles des armes recourant à la nanotechnologieD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
8
e sièclefait que ces armes pourraient démultiplier les effets des armes «létales», et rendre ainsi
les champs de bataille plus meurtriers encore. Du point de vue du droit international,
l’issue de ce type de débat théorique repose sur la «densité» du régime juridique
international pertinent pour telle ou telle technologie d’armes «non létales». Les régimes
les plus «denses» interdisaient à la fois la mise au point et l’emploi de certaines
techniques, à l’instar des interdictions générales des armes biologiques ou chimiques.
Les régimes juridiques moins «denses» n’interdisent pas spécifiquement des
technologies précises, mais appliquent des règles générales à la mise au point et à
l’emploi des armes. Ainsi, il n’existe aucun traité régissant l’emploi d’armes utilisant les
hyperfréquences, mais le droit international humanitaire applique à tout emploi d’armes,
y compris les armes à hyperfréquences, des principes généraux, dont l’exigence que cet
emploi distingue les combattants des non-combattants
superflus aux combattants
technologies ou de données empiriques sur leur emploi, les débats sur les armes «non
létales» dans les domaines où le droit international était le moins «dense» étaient par
conséquent les plus spéculatifs, car souvent le résultat de l’analyse dépendait de
l’intention et du comportement réels des soldats.
Ces débats, pour abstraits et théoriques qu’ils fussent, ont cependant eu deux
conséquences qui ont placé les partisans de ces armes sur la défensive. Premièrement, les
arguments plaidant pour la mise au point de la nouvelle génération de technologies
dépendaient dans une large mesure de leur «non-létalité». S’il était impossible de prouver
empiriquement qu’une nouvelle technologie était «non létale», les arguments moraux en
faveur de son développement perdaient de leur force. Les données concernant les effets
sur l’être humain de la plupart des armes «non létales» actuelles ou proposées étaient
inexistantes, rares ou n’étayaient guère les affirmations relatives à leur «non-létalité
Les partisans avaient ainsi entraîné le débat dans une voie qui exigeait d’eux qu’ils
établissent les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Le seuil éthique qu’ils
avaient eux-mêmes fixé imposait un prix empirique en termes de recherchedéveloppement
qui restait à payer
La deuxième conséquence résultait, elle aussi, des arguments d’ordre éthique
avancés par les tenants de ces armes. Si les armes «non létales» étaient supérieures sur le
25 et ne cause pas des maux26. Du fait du manque d’informations sur les nouvelles27».28.25
compréhension et au respect du droit des conflits armés»,
sélection française 2005,
humanitaire coutumier, «[l]es parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et
combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent
pas être dirigées contre des civils.»)
Jean-Marie Henckaerts, «Étude sur le droit international humanitaire coutumier : une contribution à laRevue internationale de la Croix-Rouge :CICR, Genève, 2006, p. 315 (affirmant que, en droit international26
des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.»
Ibid., p. 322 (affirmant que, en droit international humanitaire coutumier, «[i]l est interdit d’employer27
qu’aucune arme dite «non létale» ne répondait aux critères qui permettraient de la qualifier réellement
de non létale). Pour des descriptions plus récentes des problèmes d’impact sur la santé, voir Lewer et
Davison,
Fidler, op. cit. (note 2), p. 62 (décrivant des études, réalisées à la fin des années 1990, qui concluaientop. cit. (note 11), pp. 48-49; Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 28.28
l’absence de données empiriques concernant les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Voir
Davison et Lewer 2005,
des armes «non létales», des «préoccupations concernant le manque de données touchant les effets des
armes •non létales’ sur l’être humain» [notre traduction]).
Certains partisans des armes «non létales» ont exprimé leur agacement au sujet des remarques surop. cit. (note 11), p. 21 (qui évoque la réfutation par John Alexander, partisanD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
9
e siècleplan éthique, demandaient certains experts, alors les gouvernements auraient-ils
l’obligation morale de les employer en premier lieu, avant de recourir à une force
«létale» ? Les tenants de ces armes opposaient à cet argument éthique un argument
juridique : le droit international n’exige pas l’emploi d’une force «non létale» avant
l’emploi d’une force «létale» dans les conflits armés
droit international, cette réponse juridique ne répondait pas à l’interrogation morale.
Comment pourrait-on plaider pour la mise au point d’armes supérieures sur le plan
éthique, et ne pas avoir l’obligation morale d’employer ces armes avant des armes
«létales» ? Cette question est certainement loin de couvrir tous les aspects pertinents du
problème du choix des armes dans un conflit armé, mais elle met en pleine lumière les
incohérences potentielles, sur le plan éthique, de la position des partisans des armes «non
létales». Ce type d’interrogation morale, associé aux incertitudes quant aux effets
concrets sur l’être humain des technologies en question, posait bien des problèmes aux
tenants de ces systèmes d’armement dans le débat juridique international.
Ce débat animé sur les armes «non létales» et le droit international s’est développé
dans la seconde moitié des années 1990, sans qu’aucun des deux camps ne l’emporte
vraiment, et il a montré que tenants et opposants de ces armes se préparaient à débattre
des questions que soulèveraient des armes faisant appel à des technologies plus avancées.
Malgré le nombre croissant de conférences, d’articles, de livres et de rapports, il
manquait dans ce débat un événement qui cristalliserait les problèmes et qui susciterait un
intérêt plus large, tant à l’échelon politique qu’en termes d’orientations générales, à
l’égard des questions débattues par les tenants et les opposants des armes «non létales».
C’est alors, en octobre 2002, que des terroristes tchétchènes prirent d’assaut un
théâtre de Moscou.
29. Bien que correcte au regard duLes événements de Moscou : le «brouillard de fentanyl»
L’attaque du théâtre Nord-Ost, à Moscou, par un commando tchétchène et la crise qui
s’ensuivit, avec la prise de quelque 830 otages, prirent fin lorsque les forces de sécurité
russes diffusèrent dans le bâtiment un produit chimique qui était sans doute un dérivé du
fentanyl (produit opiacé), avant d’envahir le théâtre. Les forces russes tuèrent tous les
terroristes et sauvèrent des centaines d’otages. Toutefois, le fentanyl tua environ
130 otages, ce qui représente un taux de mortalité de 16%, soit plus du double du taux de
mortalité causé par les armes chimiques «létales» utilisées sur les champs de bataille de la
Première Guerre mondiale
30. Le recours à un produit chimique incapacitant pour mettre29
constitue pas une obligation d’emploi de ces armes ni n’impose une norme supérieure, ou des
restrictions supplémentaires, au recours à la force létale.» Voir, cependant, Davison et Lewer 2005,
cit.
la situation actuelle du droit international sur cette question a «peu de chances de durer» et qui prédit
«qu’à l’avenir, les armes •non létales’ élèveront bel et bien le seuil pour le recours à la force létale»
[notre traduction]).
OTAN, op. cit. (note 13) : «L’existence, la présence ou l’effet potentiel des armes non létales neop.(note 11), p. 27 (évoquant le juriste expert en armes «non létales» David Koplow, qui affirme que30
biologiques»,
santé des otages survivants deux ans après les faits dans l’article de Anna Rudnitskaya, «Nord-Ost
tragedy goes on»,
<http://english.mn.ru/english/issue.php?2004-41-2> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin
Alexander Kelle, «La science, la technologie et les régimes de contrôle des armes chimiques etForum du Désarmement, 2005, p. 7, p. 10. On trouvera un rapport sur les problèmes deThe Moscow News, No. 41, 2004, à l’adresseD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
10
e siècleun terme à la crise des otages de Moscou a bouleversé le débat sur les armes «non
létales» et le droit international.
L’emploi du fentanyl eut sur ce débat deux conséquences immédiates. La première
fut de porter au grand jour la controverse sur les produits chimiques incapacitants
pouvant potentiellement servir d’armes «non létales». Comme indiqué plus en détail cidessous,
les événements de Moscou ont appelé particulièrement l’attention sur la manière
dont la Convention sur les armes chimiques traite ces produits chimiques. Le drame de
Moscou a fait ressortir l’importance politique et juridique du traitement des produits
chimiques incapacitants dans la Convention, et renforcé la place de cette problématique
dans le débat sur les armes «non létales» et sur le droit international.
Deuxièmement, la crise de Moscou a produit ce que j’appelle le «brouillard de
fentanyl», car l’emploi de ce produit incapacitant a fourni des arguments aux deux camps
en présence, obscurcissant ainsi les enjeux du débat plutôt que de les éclaircir. Pour les
tenants des armes «non létales», les événements de Moscou représentaient le type même
de scénario qui appelait une réflexion plus approfondie sur ces armes. La combinaison du
fentanyl et des forces classiques avait permis de sauver la majorité des otages, ce que
n’aurait pas permis l’emploi des seules forces classiques. La capacité d’allier des
capacités «non létales» et des capacités «létales» semblait donc pouvoir sauver des vies.
À la lumière des prédictions concernant la menace du terrorisme après le 11 septembre
2001, les événements de Moscou semblaient donc — aux yeux des tenants de ces armes
— suggérer la nécessité de s’engager plus vigoureusement sur la voie de leur emploi pour
garantir l’ordre public et la sécurité et pour faire face aux nouvelles menaces militaires
dans ce contexte inédit.
La crise de Moscou apportait aussi, cependant, de l’eau au moulin des sceptiques.
Le nombre de décès dus au fentanyl prouvait en effet que les produits chimiques
incapacitants n’étaient pas «non létaux». L’emploi du fentanyl dans un contexte qui ne
permettait de maîtriser ni le dosage, ni les conditions de l’exposition au produit avait
causé un taux de létalité considérable parmi les personnes exposées. Ces morts
confirmaient le bien-fondé des arguments des sceptiques selon lesquels les armes «non
létales» devaient être considérées purement et simplement comme des armes, dont la
dangerosité dépend de nombreux facteurs exigeant d’être évalués au cas par cas, et ne pas
être occultée par une étiquette trompeuse et politiquement correcte.
Les événements de Moscou renforcèrent les craintes des sceptiques à l’égard d’un
intérêt accru pour les produits chimiques incapacitants, qui pourrait menacer la
Convention sur les armes chimiques. La manière dont les forces de sécurité russes avaient
achevé les terroristes déjà mis hors d’état de nuire venait renforcer les préoccupations
d’ordre humanitaire, à l’échelon international, quant au fait que les armes «non létales»
pourraient encourager les forces militaires à violer le principe de droit international
humanitaire concernant le respect des personnes hors de combat
causés par le fentanyl parmi les otages, ils soulevaient des questions touchant le
comportement du gouvernement russe au regard des droits de l’homme, en particulier en
31. Quant aux décès2005).
31
est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat.»)
Henckaerts, op. cit. (note 25), p. 320 (indiquant qu’en droit international humanitaire coutumier, «[i]lD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
11
e sièclece qui concerne son manque de préparation pour soigner les personnes victimes du
fentanyl après l’assaut lancé contre le théâtre
Ce «brouillard de fentanyl» signifiait que, pour dramatique que soient les
événements de Moscou, l’emploi de ce produit chimique incapacitant ne réglait pas le
débat sur les armes «non létales» et le droit international. En tant qu’événement concret
le plus important ayant donné lieu à l’emploi d’une arme «non létale» autre que les
dispositifs cinétiques et mécaniques habituels et les agents de lutte antiémeute, la crise de
Moscou a souligné l’importance du débat, en particulier en ce qui concerne les armes
chimiques «non létales». Nous allons, dans les deux sections suivantes de cet article,
examiner de plus près l’impact des événements de Moscou sur le débat concernant les
armes «non létales» et le droit international, en commençant par les dispositions
concernant les produits chimiques incapacitants dans la Convention sur les armes
chimiques, pour explorer ensuite les conséquences plus larges des événements de Moscou
sur la relation future entre ces armes et le droit international.
32.L’«après-Moscou» : les produits chimiques incapacitants et la Convention sur les armes chimiques
L’impact des événements de Moscou sur la Convention
Le plus ancien volet du débat sur les armes «non létales» et le droit international
concerne les armes chimiques «non létales». Au cours des négociations de la Convention
sur les armes chimiques, la question de savoir si les agents de lutte antiémeute pouvaient
être utilisés comme moyens de guerre a été vivement débattue
Convention ont aussi traité de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins liées au
maintien de l’ordre
pendant la seconde moitié des années 1990 a conduit leurs partisans à plaider la nécessité
de réexaminer, et le cas échéant de modifier, les règles restreignant l’emploi de ces agents
de lutte antiémeute et des produits chimiques incapacitants à des fins militaires
expert a résumé cette position par une image hardie, allant jusqu’à affirmer que «les
produits chimiques peuvent être nos amis
33. Les négociateurs de la34. L’intérêt à l’égard des armes «non létales» qui s’est manifesté35. Un36».32
for Consequences of Gas Violates Obligation to Protect Life, Human Rights Watch, 30 octobre 2002,
à l’adresse <http://www.hrw.org/press/2002/10/russia1030.htm> (lien consulté pour la dernière fois le
20 juin 2005).
Independent Commission of Inquiry Must Investigate Raid on Moscow Theater: Inadequate Protection33
Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.34
Ibid., art. II, par. 9, al. d).35
Foreign Relations, New York, 1999, à l’adresse
<http://www.cfr.org/pub3326/richard_l_garwin_w_winfi
eld/nonlethal_technologies_progress_and_prospects.php#Report> (lien consulté pour la dernière fois
le 22 juin 2005). L’auteur soutient, au sujet des armes chimiques et biologiques, que la modification
des traités y afférents pourrait permettre de renforcer la sécurité des États-Unis.
Voir, p. ex., Nonlethal Technologies: Progress and Prospects, Independent Task Force, Council on36
operations», exposé présenté à la 4
2000 [notre traduction].
Russell Glenn, «Separating the wheat from the chaff: Non-lethal capabilities in future urbane conférence annuelle de Jane sur les armes non létales, 5 décembreD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
12
e siècleL’emploi du fentanyl lors de la crise de Moscou a attiré une attention toute
particulière sur les dispositions de la Convention sur les armes chimiques concernant les
produits chimiques incapacitants, et en particulier sur l’article II, par. 9, al. d), qui
autorise l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre
public
préoccupations tant pendant qu’après les négociations sur la Convention
interrogations quant à sa portée et à son impact possibles sur la Convention avaient
persisté jusqu’à la crise de Moscou
urgence et une importance nouvelles, tant pour la Convention que pour le débat plus large
touchant les armes «non létales» et le droit international. La plupart des experts
tombèrent d’accord pour considérer que les événements de Moscou relevaient bien de la
disposition de la Convention touchant le maintien de l’ordre public, et ce consensus
exacerba encore les controverses sur la manière dont cette disposition devait être
interprétée
Pour ce qui est de l’interprétation de la disposition relative au maintien de l’ordre
public, l’enjeu était important, pour les tenants des armes «non létales» comme pour les
sceptiques. Pour ces derniers, cette disposition représentait une lacune potentielle, que les
tenants des armes chimiques incapacitantes pouvaient exploiter pour saper l’interdiction
— inscrite dans la Convention — de l’emploi de produits chimiques incapacitants à des
fins antipersonnel
l’ordre public offrait la possibilité de développer le potentiel des produits chimiques
incapacitants et de démontrer leur utilité, tant aux fins de maintien de l’ordre que pour les
missions que les armées auraient à accomplir dans les conflits armés du XXI
disposition représentait donc une plate-forme permettant d’élaborer un argument selon
lequel l’interdiction, dans la Convention, de l’emploi à des fins militaires des agents de
lutte antiémeute et de produits chimiques incapacitants devrait être révisée pour refléter
les nouvelles capacités «non létales» dans le domaine chimique. En ce sens, la disposition
sur le maintien de l’ordre public représentait une passerelle potentielle vers des capacités
37. Cette disposition sur le maintien de l’ordre public avait suscité des38, et les39; celle-ci, cependant, conféra à ces questions une40.41. Pour les partisans de ces armes, la disposition sur le maintien dee siècle. La37
Convention’ : (…) d) Des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan
intérieur.»
Article II, par. 9, al. d), qui dispose que : «On entend par •fins non interdites par la présente38
disposition touchant le maintien de l’ordre public (art. II, par. 9, al. d)), s’interrogeait en ces termes :
«qu’est-ce que le •maintien de l’ordre’ ? (...) De quel ordre s’agit-il ? Qui le maintient et où ?» «New
weapon technologies and the loophole in the Convention»,
No. 23, mars 1994, p. 1 [notre traduction].
À titre d’exemple, un éditorial dans le Chemical Weapons Convention Bulletin, consacré à laChemical Weapons Convention Bulletin,39
en posant la question : «que faut-il entendre par •maintien de l’ordre’ dans le contexte de la
Convention ?» «•Law enforcement’ and the CWC»,
décembre 2002, p. 1 [notre traduction].
Un éditorial du CBW Conventions Bulletin revint sur cette question après les événements de MoscouCBW Conventions Bulletin, No. 58,40
l’ordre public contenue dans la Convention sur les armes chimiques, à savoir la tenue au printemps de
l’année 2003 — six mois environ après les événements de Moscou — de la première conférence
d’examen de la Convention. À cette occasion, les États parties ne parvinrent pas à traiter des
problèmes soulevés par la crise de Moscou, ce qui renforça la controverse.
Un autre facteur a renforcé l’importance accordée à la signification de la disposition sur le maintien de41
fins antimatériel, dans des contextes où cet emploi n’a pas d’effet néfaste sur les êtres humains ou les
animaux. Voir Fidler,
La Convention sur les armes chimiques n’interdit pas l’emploi de produits chimiques toxiques à desop. cit. (note 2), p. 72.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
13
e sièclechimiques «non létales» plus conséquentes pour le personnel responsable du maintien de
l’ordre public et pour les forces armées.
La question de savoir comment la disposition sur le maintien de l’ordre public
serait interprétée après les événements de Moscou devint ensuite une question politique et
juridique de première importance pour le débat sur les armes «non létales» et le droit
international; nous allons maintenant nous pencher sur l’interprétation de cette
disposition et sur les conséquences de cette interprétation pour l’avenir de ce débat
42.Quels produits chimiques toxiques peuvent-ils être employés à des fins de
maintien de l’ordre public ?
La question initiale pour l’interprétation concernait la gamme de produits chimiques
autorisés à des fins de maintien de l’ordre public. L’article II, par. 9, al. d) inclut
clairement les agents de lutte antiémeute dans la gamme de produits chimiques
autorisés
maintien de l’ordre public devait avoir les mêmes propriétés qu’un agent de lutte
antiémeute
Premièrement, l’article II, par. 9, al. d) autorise les pays à employer des produits
chimiques toxiques pour imposer la peine capitale, et les produits chimiques employés à
cette fin ne sont pas des agents de lutte antiémeute
Deuxièmement, les règles d’interprétation des traités n’appuient pas la restriction
de la portée de l’article II, par. 9, al. d) aux seuls produits chimiques qui sont des agents
de lutte antiémeute. En droit international, un traité doit être interprété «de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière
de son objet et de son but
L’article II, par. 1, al. a) de la Convention dispose que : «On entend par "armes
chimiques" les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a) Les produits
43. Certains experts ont affirmé que tout produit chimique employé à des fins de44. Cette interprétation est erronée, pour quatre raisons.45.46».42
présentée dans cet article se fonde sur l’analyse antérieure de cette question par l’auteur, qui a été
présentée pour la première fois à l’occasion du forum ouvert destiné aux organisations non
gouvernementales lors de la première conférence d’examen de la Convention sur les armes chimiques,
en mai 2003, puis, sous forme révisée, dans : David P. Fidler, «Background paper on incapacitating
chemical and biochemical weapons and law enforcement under the Chemical Weapons Convention»,
25 mai 2005, préparé pour un colloque sur les armes biochimiques incapacitantes en juin 2005.
L’interprétation de la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public qui est43
chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains
une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé
l’exposition.»)
Article II, par. 7 de la Convention (qui définit un agent de lutte antiémeute comme «[t]out produit44
other toxic chemicals under the Chemical Weapons Convention»,
Bulletin
Berlin Information and Center for Transatlantic Security Research Note 03.2, avril 2003, p. 4.
Abraham Chayes et Matthew Meselson, «Proposed guidelines on the status of riot control agents andChemical Weapons Convention, No. 35, mars 1997, p. 13; Walter Krutzsch, «‘Non-lethal’ chemicals for law enforcement?»,45
maintien de l’ordre public aux produits qui répondent à la définition des agents de lutte antiémeute,
certains admettent que des doses létales de produits chimiques toxiques peuvent être utilisées pour
administrer la peine de mort. Chayes et Meselson,
Parmi les partisans d’une limitation de la gamme de produits chimiques toxiques utilisés aux fins deop. cit. (note 44), p. 13, et Krutzsch, op. cit.(note 44).
46
des Nation Unies, vol. 1155, p. 331 (ci-après, «Convention de Vienne»).
Article 31, par. 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traitésD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
14
e sièclechimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins
non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en
jeu sont compatibles avec de telles fins». Ainsi, les «produits chimiques toxiques» sont
des armes chimiques, sauf lorsqu’ils sont destinés à des fins non interdites par la
Convention sur les armes chimiques, comme le maintien de l’ordre public. La disposition
relative au maintien de l’ordre public s’applique donc aux «produits chimiques toxiques»
tels que définis à l’article II, par. 2
antiémeute tels que définis à l’article II, par. 7. L’article II, par. 1, al. a) ne mentionne pas
les agents de lutte antiémeute comme limitant les «produits chimiques toxiques» qui
peuvent être utilisés à des fins non interdites par la Convention.
Troisièmement, les agents de lutte antiémeute sont définis comme des produits
chimiques qui ne sont inscrits sur aucun tableau de la Convention sur les armes
chimiques
sont pas interdites, y compris le maintien de l’ordre public, peuvent être inscrits sur les
tableaux 2 et 3 de la Convention. L’Annexe de la Convention sur la vérification stipule
clairement qu’un État partie à la Convention ne peut fabriquer, ni acquérir, conserver ou
utiliser de produits chimiques du tableau 1sauf si, entre autres, «ces produits chimiques
servent à des fins de recherche, à des fins médicales ou pharmaceutiques ou à des fins de
protection
produits chimiques du tableau 1 peuvent être fabriqués, acquis, conservé ou utilisés.
Comme le relèvent Krutzsch et Trapp, l’Annexe sur la vérification concernant les
produits chimiques du tableau 1est plus restrictif que l’article II, par. 9, ce qui signifie
qu’«un produit chimique du tableau 1 ne peut être utilisé à des fins autres que celles
citées, même s’il s’agit de fins pacifiques qui ne sont pas liées à la mise au point, à la
fabrication ou à l’emploi d’une arme chimique
La partie de l’Annexe sur la vérification concernant les produits chimiques du
tableau 1 signifie, par conséquent, que les États parties à la Convention sur les armes
chimiques ne peuvent fabriquer, acquérir, conserver ni utiliser des produits chimiques du
tableau 1 à des fins de maintien de l’ordre public. En revanche, la partie de l’Annexe sur
la vérification concernant les produits chimiques des tableaux 2 et 3 ne restreint pas de la
même manière les fins qui ne sont pas interdites, ce qui signifie que les produits
chimiques toxiques énumérés dans les tableaux 2 ou 3 —qui ne peuvent être de agents de
lutte antiémeute —peuvent être employés à de fins de maintien de l’ordre public.
Quatrièmement, lors des événements de Moscou, l’emploi d’un produit chimique
toxique qui n’est pas un agent de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre public
47, et non pas exclusivement aux agents de lutte48. Les produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des fins qui ne49». Le maintien de l’ordre public n’est pas cité parmi les fins auxquelles les50».47
chimique qui, par son action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres
humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents. Cela
comprend tous les produits chimiques de ce type, quels qu’en soient l’origine ou le mode de
fabrication, qu’ils soient obtenus dans des installations, dans des munitions ou ailleurs. (Aux fins de
l’application de la présente Convention, des produits chimiques toxiques qui ont été reconnus comme
devant faire l’objet de mesures de vérification sont énumérés aux tableaux figurant dans l’Annexe sur
les produits chimiques.)»
L’article II, par. 2 de la Convention définit les «produits chimiques toxiques» comme : «[t]out produit48
Art. II, par. 7 de la Convention sur les armes chimiques.49
Ibid., Annexe sur la vérification, Sixième partie, Lettre A, par. 2, al. a).50
Nijhoff Publishers, La Haye, 1994, p. 418 [notre traduction].
Walter Krutzsch et Ralf Trapp, A Commentary on the Chemical Weapons Convention, MartinusD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
15
e siècleapporte un élément de preuve d’une pratique étatique selon laquelle la Convention sur les
armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte antiémeute la gamme des produits
chimiques pouvant être utilisés en vertu de l’article II, par. 9, al. d). Au regard du droit
international, l’interprétation d’un traité peut tenir compte de la pratique ultérieurement
suivie par les États dans l’application de ce traité
donné lieu les événements de Moscou ne comprend pas seulement l’emploi par la Russie
du produit chimique toxique, mais aussi l’acceptation de cet emploi par les autres États
parties à la Convention. Comme l’a noté Mark Wheelis, «la plupart des analystes
considèrent que l’emploi par la Russie d’un dérivé du fentanyl était légal» au regard de
l’article II, par. 9, al. d)
indique que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte
antiémeute la gamme des produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des
fins de maintien de l’ordre public.
51. La pratique étatique à laquelle ont52. Ainsi, le droit international relatif à l’interprétation des traitésLes limitations imposées par la Convention sur les armes chimiques à la
mise au point et à l’emploi des produits chimiques toxiques à des fins de
maintien de l’ordre public
Bien que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte
antiémeute les produits chimiques toxiques pouvant être employés à des fins de maintien
de l’ordre public, cet emploi est soumis à la condition que les types et les quantités de
produits chimiques mis au point, fabriqués, acquis, stockés, conservés, transférés ou
employés soient compatibles avec ces fins autorisées
la mise au point, la possession et l’emploi de produits chimiques toxiques aux fins de
maintien de l’ordre public ne sapent pas l’interdiction, par la Convention sur les armes
chimiques, de la mise au point et de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins
militaires. Tout comme pour d’autres dispositions de ce traité, ces règles doivent être
interprétées de bonne foi pour que leur sens ordinaire soit établi à la lumière de leur
contexte et de l’objet et du but du traité.
La règle sur les «types et quantités» exige que soit examinée la relation entre le
produit chimique employé et l’objectif y relatif en matière de maintien de l’ordre public.
Plus il est difficile de maîtriser les effets d’un produit chimique employé dans une
opération de maintien de l’ordre public, plus il est permis de douter que le type ou la
quantité de l’agent en question soit conforme à un but de maintien de l’ordre public. Cette
53. Ces restrictions garantissent que51
Art. 31, par. 3, al. b) de la Convention de Vienne.52
p. 6, p. 8 [notre traduction]. Cette analyse ne suggère pas que la pratique d’un État dans un incident
donné pourrait régler des questions d’interprétation soulevées par la Convention sur les armes
chimiques, mais la pratique étatique suscitée par la prise d’otages de Moscou est un cas important de
pratique étatique au regard de l’article II, par. 9, al. d).
Mark Wheelis, «Will the new biology lead to new weapons?» Arms Control Today, juillet-août 2004,53
doit non seulement apporter la preuve que la fabrication ou le stockage d’un produit chimique donné se
fondait sur une intention licite, mais aussi que le produit chimique est bien d’un type
compatible/conforme à l’intention visée, et que sa quantité correspond bien à l’objectif spécifié.»
Krutzsch et Trapp,
Art. II, par. 1, al. a) de la Convention sur les armes chimiques. Selon Krutzsch et Trapp, «un État partieop. cit. (note 50), p. 27 [notre traduction].D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
16
e siècleinterprétation va dans le sens des préoccupations exprimées au sujet des décès causés à
Moscou par l’emploi d’un produit chimique incapacitant
54.Situations extrêmes de maintien de l’ordre public
L’emploi de produits chimiques incapacitants dans des contextes où il est impossible de
maîtriser le dosage individuel et les conditions d’exposition n’est donc légitime que dans
des situations extrêmes. Les situations extrêmes en matière de maintien de l’ordre public
sont celles où le gouvernement est confronté à la nécessité de recourir à une force
potentiellement létale pour résoudre des situations urgentes et où des vies sont en danger,
parce que les moyens moins violents et moins dangereux de résoudre les problèmes ont
échoué. La crise de Moscou pouvait être qualifiée de situation extrême de maintien de
l’ordre public
pas un agent chimique incapacitant par sa nature ou par son dosage conformément à des
fins de maintien de l’ordre public s’il ne peut en maîtriser ni le dosage, ni les conditions
d’exposition.
Le droit international relatif aux droits de l’homme, en tant que corpus pertinent de
droit international selon les règles d’interprétation des traités
Dans des situations extrêmes de maintien de l’ordre public, les gouvernements qui
envisagent de recourir à des produits chimiques incapacitants doivent faire face à
l’obligation de protéger le droit à la vie
priver arbitrairement de la vie les personnes relevant de leur juridiction
international des droits de l’homme n’autorise aucune dérogation à cette obligation,
même en cas de danger public exceptionnel
Les organisations de défense des droits de l’homme ont accusé la Russie d’avoir
violé le droit à la vie en ne fournissant pas des services médicaux suffisants aux otages
55. En l’absence d’une telle situation extrême, un gouvernement n’emploie56, appuie cette conclusion.57. Cette obligation interdit aux gouvernements de58, et le droit59.54
partie du bâtiment était difficile à maîtriser, les effets d’une concentration donnée de fentanyl sur telle
ou telle personne particulièrement vulnérable ne pouvaient être connus, et il est extrêmement difficile
de distinguer entre les effets incapacitants et les effets létaux du produit, en d’autres termes de fixer la
limite entre la dose induisant une perte de connaissance et la dose provoquant l’arrêt de la respiration.»
Malcolm Dando, «The danger to the Chemical Weapons Convention from incapacitating chemicals»,
First CWC Review Conference Paper No. 4, mars 2003, p. 4 [notre traduction].
«Comme pour tout produit chimique incapacitant, la concentration de fentanyl dans n’importe quelle55
droit international n’interdit pas l’emploi d’une force potentiellement létale dans des opérations visant
à libérer des otages, mais il exige que cette force soit •absolument nécessaire’ et que toutes les
précautions soient prises, tant dans la planification que dans l’exécution de telles opérations, pour
réduire au minimum les pertes en vies civiles.» Human Rights Watch,
traduction].
Comme l’a relevé Human Rights Watch dans ses commentaires sur la crise des otages à Moscou, «leop. cit. (note 32) [notre56
contexte : (...) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les
parties»).
Art. 31, par. 3, al. c) e la Convention de Vienne («Il sera tenu compte, en même temps que du57
Nations Unies, doc. Nations Unies A/810, 1948, p. 71; art. 6 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, rés. 2200 A (XXI),
16 décembre 1966, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 999, p. 186.
Art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, rés. 217 A (III) de l’Assemblée générale des58
des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu
d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (Note du secrétariat),
HRI/GEN/1/Rev. 7, 12 mai 2004, p. 141.
Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 6 : Article 6 (droit à la vie), in Récapitulationdoc. Nations Unies59
Art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e sièclequi avaient été sauvés et qui ont succombé au fentanyl
dosage ou le conditions d’exposition lorsque des produits chimiques incapacitants sont
employés dans des situations de maintien de l’ordre public extrêmes et urgentes exacerbe
la responsabilité des autorités de veiller à ce que toutes les précautions soient prises pour
réduire au minimum les dommages causés aux personnes innocentes et de fournir des
soins médicaux immédiats aux personnes exposées et qui pourraient subir de effets
néfastes
60. L’incapacité de maîtriser le61.La détention de personnes aux fins de maintien de l’ordre public
Cette interprétation signifie que la condition limitative touchant les «types et quantités»
au sujet de l’emploi de produits chimiques incapacitants dans des situations de maintien
de l’ordre public qui ne sont pas des situations extrêmes exige des États parties à la
Convention sur les armes chimiques qu’ils maintiennent une stricte maîtrise sur le dosage
du produit et sur les conditions d’exposition à ce produit
les autorités responsables du maintien de l’ordre doivent avoir la garde physique de la
personne en question. Conformément aux règles sur l’interprétation des traités, la règle
sur les «types et quantités» doit être interprétée à la lumière du droit international
pertinent applicable aux relations entre les États
l’ordre public qui exige la garde physique de personnes requiert nécessairement que soit
pris en considération le droit international des droits de l’homme
relatif aux droits civils et politiques traite directement des activités de maintien de l’ordre
public
droits de l’homme limite considérablement les contextes dans lesquels les autorités
responsables du maintien de l’ordre pourraient recourir à des produits chimiques
incapacitants contre des personnes détenues.
Le droit international des droits de l’homme interdit la torture ainsi que les autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et n’autorise aucune dérogation à
62. Cette maîtrise signifierait que63. Ainsi, une situation de maintien de64. Le droit international65. Une lecture de la règle sur les «types et quantités» à la lumière du droit des60
Human Rights Watch, op. cit. (note 32).61
incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public : «La décision d’utiliser une substance pour
provoquer un état d’inconscience calme ou profonde implique de connaître les antécédents médicaux
du sujet, et notamment l’utilisation de tout médicament prescrit ou non, ainsi que toute information
pertinente sur l’état de santé de la personne. Une telle décision entraîne aussi une responsabilité
considérable en termes d’assistance immédiate et de suivi après l’incident.» Cité par Lewer et Davison,
Le gouvernement britannique a déclaré, au sujet de l’emploi éventuel de produits chimiquesop. cit.
(note 11), p. 52.62
dangereux de dépression respiratoire (en d’autres termes, calmer tout en maintenant la conscience)
exige un contrôle strict du dosage.»
Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology, National Academies
Press, Washington, D.C., 2003, p. 27 [notre traduction].
«Obtenir le niveau souhaité de modification du comportement psychique sans provoquer un niveauAn Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,63
Art. 31, par. 3, al. c) de la Convention de Vienne.64
droits de l’homme ait été formulé, ce qui rend d’autant plus légitime la référence à ce droit pour
interpréter la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public.
La Convention sur les armes chimiques a été négociée bien après que le droit international relatif aux65
privation arbitraire de la vie et règles relatives à la peine de mort), 7 (interdiction de la torture et des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9-10 (règles relatives à la privation de liberté)
et 14-15 (règles sur l’accusation et les poursuites contre les personnes soupçonnées d’infraction
pénale).
Voir, p. ex., le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 6 (interdiction de laD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e sièclecette interdiction
d’un produit chimique incapacitant contre des personnes détenues constituerait un
traitement dégradant et pourrait, selon la gravité des effets physiologiques de la substance
chimique, constituer un traitement cruel ou inhumain, voire une torture
consentement et à des fins autres que thérapeutiques de produits psychotropes et d’autres
types de produits chimiques contre des personnes détenues est condamné depuis
longtemps par des États, des organisations internationales et des organisations non
gouvernementales de défense des droits de l’homme. Les seuls contextes dans lesquels
l’administration non consensuelle et non thérapeutique d’un produit chimique
incapacitant à une personne détenue pourrait être compatible avec le droit des droits de
l’homme seraient les situations dans lesquelles la personne détenue représente une
menace immédiate et violente pour sa propre sécurité physique (par exemple, tentative de
suicide) ou pour la sûreté et l’ordre au sein de l’établissement de détention (par exemple,
attaque contre les gardiens ou participation à des émeutes).
On le voit, les fins de maintien de l’ordre public auxquelles des produits chimiques
incapacitants pourraient être légitimement utilisés sont très limitées en vertu de la règle
de la Convention sur les armes chimiques touchant les «types et quantités». Le facteur
crucial de cette interprétation est la pertinence du droit international des droits de
l’homme pour déterminer les types et quantités de produits chimiques incapacitants qui
peuvent être légitimement utilisés à des fins de maintien de l’ordre public liées à la
détention des personnes.
66. L’emploi sans consentement et à des fins autres que thérapeutiques67. L’emploi sansRésumé : les limites posées par la Convention sur les armes chimiques à la mise au point
et à l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public
De manière générale, la règle sur les «types et quantités» limite de manière notable la
capacité d’un État partie à la Convention sur les armes chimiques de mettre au point et
d’employer des produits chimiques incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public,
que ces fins concernent des groupes de personnes ou des individus détenus. La «lacune»
juridique de l’article II, par. 9, al. d) n’est donc pas, en réalité, aussi dangereuse que le
craignaient certains opposants des armes «non létales». La Convention sur les armes
chimiques, telle que complétée par le droit international des droits de l’homme, fixe des
limites strictes à la mise au point et à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des
fins de maintien de l’ordre public. Le fait de recourir au droit international des droits de
l’homme pour interpréter la restriction des «types et quantités» est conforme aux objectifs
éthiques invoqué par les tenants des armes «non létales» pour justifier leur intérêt à
l’égard des produits chimiques incapacitants. Les tenants des armes «non létales»
manqueraient de cohérence, du point de vue éthique, s’ils rejetaient l’application des
normes des droits de l’homme à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des fins
de maintien de l’ordre public. Ainsi, les positions des tenants et des adversaires de ces
armes convergent pour ce qui est de l’interprétation de la règle des «types et quantités»
présentée plus haut.
66
relatif aux droits civils et politiques.
Art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; art. 4, par. 2 et 7 du Pacte international67
l’homme dans Fidler,
On trouvera une analyse détaillée de ces questions relatives au droit international des droits deop. cit. (note 42), pp. 33-44.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e siècleLe sens du «maintien de l’ordre public»
La deuxième grande question soulevée par l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) au
lendemain des événements de Moscou concerne la portée de l’expression «maintien de
l’ordre public». Le consensus sur le fait que l’emploi du fentanyl par les autorités russes
répondait bien à des fins de maintien de l’ordre public a suscité inquiétudes et confusion
sur la question de savoir jusqu’où allait cette notion en ce qui concerne l’emploi de
produits chimiques incapacitants. Pour reprendre la formulation de Malcolm Dando, «la
question est de savoir où s’arrête la notion de maintien de l’ordre et où débute celle de
moyen de guerre
du «maintien de l’ordre public», ce qui oblige une nouvelle fois à interpréter le traité. La
question fondamentale consiste à savoir si la notion doit être interprétée strictement ou
largement
l’ordre public» englobe les activités concernant le droit international.
68». La Convention sur les armes chimiques ne donne pas de définition69. Comme on le verra ci-dessous, il s’agit aussi de décider si le «maintien deLe maintien de l’ordre public sur le plan national
Qu’entend-on par «maintien de l’ordre public» ? Il s’agit généralement de faire respecter
la loi
le plan national, le respect des lois qui s’appliquent aux activités menées sur le territoire,
ou sous la juridiction d’un État souverain. L’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur
les armes chimiques traite donc du maintien de l’ordre public sur le plan national. Il
autorise l’emploi de doses létales de produits chimiques toxiques pour appliquer la peine
capitale, une fonction d’application de la loi qui relève de la compétence de l’État. En
outre, cet article permet l’emploi de produits chimiques toxiques à «des fins de maintien
de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur». Le membre de
phrase «y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur» illustre un type d’activité de
maintien de l’ordre public autorisé par l’article II, par. 9, al. d), et focalise l’attention sur
le maintien de l’ordre public à l’intérieur des frontières ou de la juridiction d’un État
L’emploi du fentanyl par la Russie a eu lieu sur son territoire, en réponse à des actes
violents et criminels. Bien que l’article II, par. 9, al. d) concerne le maintien de l’ordre
public sur le territoire d’un État souverain, deux questions subsistent : cet article autoriset-
il l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale
en dehors des limites de la juridiction nationale, et pour faire respecter le droit
international ?
70; l’«ordre public», dans son acception ordinaire, désigne le plus souvent l’ordre sur71.68
armes chimiques : le problème des armes non létales»,
Malcolm Dando, «Les réalisations scientifiques et techniques et l’avenir de la Convention sur lesForum du Désarmement, 2002, pp. 33-34.69
l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur’ peut être interprété comme signifiant
qu’il existe des luttes antiémeute autres que sur le plan intérieur. Or, cette lutte antiémeute •non
intérieure’ devrait être un moyen de •maintien de l’ordre public’ accepté sur le plan international.»
Krutzsch et Trapp,
Krutzsch et Trapp ont explicité cette alternative : «Le membre de phrase •[d]es fins de maintien deop. cit. (note 50), p. 42, note 45 [notre traduction].70
Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 820.71
l’intérieur du territoire sur lequel ils exercent leur souveraineté. Voir Davison et Lewer 2004,
La pratique des États révèle un emploi fréquents d’agents de lutte antiémeute par les gouvernements àop. cit.(note 11), pp. 34-35 (qui recense les cas d’emploi d’agents de lutte antiémeute dans le monde afin de
contenir des foules).
D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
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e siècleL’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale audelà
de la juridiction nationale
Afin d’établir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques toxiques
pour faire respecter la législation nationale au-delà de la juridiction nationale, il faut
examiner les règles de droit international en la matière. Il ressort clairement de ces règles
que la Convention sur les armes chimiques n’autorise pas un tel emploi.
En droit international, un État ne peut faire respecter une loi que s’il détient une
compétence normative à son égard
autorisent un État à adopter des lois concernant des personnes, des comportements et des
activités situés hors des frontières de sa juridiction. Le droit international sur la
compétence d’exécution définit en revanche des limites plus strictes : «Il est
universellement reconnu, à titre de corollaire de la souveraineté de l’État, que les
fonctionnaires d’un État ne peuvent exercer leurs fonctions sur le territoire d’un autre
État sans le consentement de celui-ci
position : premièrement, le principe de la souveraineté et de l’égalité souveraine des
États
d’un autre État
prises dans la juridiction d’un autre État sans son consentement.
Ces règles signifient que l’article II, par. 9, al. d) autorisent un État partie à
employer des produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public
uniquement dans des lieux relevant de sa juridiction. Au regard du droit international sur
la compétence d’exécution, cet article ne saurait être interprété comme autorisant un État
partie à utiliser un produit chimique toxique pour faire respecter sa législation nationale
dans des zones soumise à la juridiction d’un autre État. Un tel emploi ne serait légitime
que dans des cas où 1) l’État partie à la Convention ayant la compétence territoriale aurait
autorisé l’emploi de produits chimiques toxiques; 2) l’autorisation porterait sur un emploi
à des fins de maintien de l’ordre public; et 3) l’emploi serait conforme à l’exigence
relative aux «types et quantités
Les règles internationales sur la compétence d’exécution démontrent que le sens
usuel de l’expression «maintien de l’ordre public» utilisée à l’article II, par. 9, al. d)
72. Les règles relatives à la compétence normative73.» Deux principes fondamentaux étayent cette74, et deuxièmement le principe qui interdit l’ingérence dans les affaires intérieures75. Des mesures destinées à faire respecter le droit pénal ne peuvent être76».72
American Law Institute Publishers, St. Paul, 1986, par. 431(1). En droit international, un État exerce
sa compétence normative sur : 1) des comportements, des personnes ou des activités qui se situent en
totalité ou en grande partie sur son territoire ou dans des zones relevant de sa juridiction; 2) les
activités, les intérêts, le statut ou le relations de ses ressortissants à l’extérieur comme à l’intérieur de
son territoire et des zones soumises à sa juridiction; et 3) les comportements hors de son territoire ou
des zones soumises à sa juridiction a) qui ont ou qui sont destinées à avoir un effet substantiel sur son
territoire, et b) par des personnes qui ne sont pas ses ressortissants, qui visent à porter atteinte à la
sûreté de l’État ou à une catégorie limitée d’autres intérêts de l’État.
telle base, cependant, l’exercice de la compétence doit en outre être raisonnable.
American Law Institute, Restatement (Third) of the Foreign Relations Law of the United States,Ibid. par. 402. Même avec uneIbid., par. 403.73
Ibid., p. 329 [notre traduction].74
Art. 2, par. 1 de la Charte des Nations Unies.75
Ibid., art. 2, par. 7.76
opérations navales (
d’un agent de lutte antiémeute en temps de paix est admissible «hors d’une base militaire à des fins de
maintien de l’ordre s’il est spécifiquement autorisé par le gouvernement hôte». Steven F. Day, «Legal
considerations in noncombatant evacuation operations»,
[notre traduction].
La pratique des États-Unis reflète cette interprétation. Le manuel du commandant sur le droit desCommander’s Handbook on the Law of Naval Operations) indique que l’emploiNaval Law Review, Vol. 40, 1992, p. 45, p. 60D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
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e siècleinclut l’application de la loi nationale sur le propre territoire de l’État ou dans des zones
soumises à sa juridiction. L’expression «maintien de l’ordre public», dans son acception
usuelle, exclut l’application extraterritoriale du droit national, parce qu’une telle
application dépend entièrement du consentement d’un autre État.
L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit international
La question de savoir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques
toxiques pour faire respecter le droit international a aussi été soulevée
de l’expression «maintien de l’ordre public», dans le cadre de l’objet et de la portée de la
Convention sur les armes chimiques, inclut-il l’application du droit international ?
Considérer que la notion de «maintien de l’ordre public» formulée à l’article II,
par. 9, al. d) inclut le droit international exigerait une conception peu orthodoxe de la
relation entre le droit international et les mesures d’application du droit. La question de
savoir si le droit international est exécutoire est un débat ancien, et de ce fait il paraît bien
peu plausible d’inclure ce droit dans la notion usuelle de «maintien de l’ordre public». La
nature décentralisée et anarchique des relations internationales complique son
application, d’où la controverse : le droit international contient peu de mécanismes
centralisés qui permettraient à des États d’en contraindre d’autres à le respecter. Comme
indiqué dans
en ce qui concerne les moyens à disposition pour faire respecter ses règles
conséquent, et étant donné la relation générale qui existe entre le droit international et son
application, il serait peu crédible d’affirmer que le sens usuel du «maintien de l’ordre»
englobe le droit international au même titre que le droit national.
Le respect du droit international est aussi soumis aux principes qui régissent la
manière dont les États devraient traiter les différends relatifs à des violations du droit
international. Le règlement pacifique des différends est un principe d’application
générale
la violence et aux armes. Les États peuvent prendre des contre-mesures pacifiques (des
sanctions économiques, par exemple) afin d’essayer de contraindre un autre État à
respecter ses obligations découlant du droit international. Le règlement pacifique des
différends n’englobe cependant pas l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire
respecter le droit international. Rien, en droit international, ne justifie l’emploi par un
État de produits chimiques toxiques pour obliger un autre État à respecter le droit
international.
77. Le sens ordinaireOppenheim’s International Law, le droit international présente des carences78. Par79, selon lequel les États doivent régler leurs différends sans recourir à la force, àLe maintien de l’ordre public et le droit de recourir à la force en cas de légitime défense
On pourrait arguer qu’un État partie à la Convention sur les armes chimiques serait en
droit d’utiliser des produits chimiques toxiques, en application de la disposition sur le
maintien de l’ordre public, dans l’exercice de son droit inhérent à la légitime défense
contre une attaque armée ou une autre forme d’agression illégale par des parties étatiques
77
explicitement quelles sources de droit les États pourraient faire respecter en invoquant l’article II,
par. 9, al. d). Il semble donc possible que les États pourraient souhaiter invoquer le droit international
pour justifier leurs activités •de maintien de l’ordre public’.» Chayes et Meselson,
p. 15 [notre traduction].
Comme l’ont relevé Chayes et Meselson, la Convention sur les armes chimiques «n’indique pasop. cit. (note 44),78
Oppenheim’s International Law, 9e éd., Longmans, Londres, 1992, p. 11.79
Art. 2, par. 3 et 4 et art. 33, par. 1 de la Charte des Nations Unies.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
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e siècleou non étatiques. En d’autres termes, l’emploi par un État de produits chimiques toxiques
ferait partie de la mise en oeuvre des règles juridiques internationales prohibant le recours
à la force. Or rien, en droit international, n’étaye cette argumentation. La légitime défense
est un droit inhérent des États, et non un mécanisme de «maintien de l’ordre public
Qui plus est, le texte de la Convention sur les armes chimiques, son contexte, son
objet et sa raison d’être servent l’objectif d’éliminer l’emploi des produits chimiques
toxiques dans les conflits armés. Autoriser l’emploi de produits chimiques toxiques dans
le cadre du droit à la légitime défense contre une agression reviendrait à autoriser
l’emploi des armes chimiques dans un conflit armé; c’est précisément là ce que la
Convention sur les armes chimiques interdit. Le même raisonnement s’applique aux
conflits armés menés par les forces armées d’un État hors de son territoire, que ces
opérations concernent des interventions collectives de sécurité autorisées par le Conseil
de sécurité de l’ONU, des interventions humanitaires ou des mesures de légitime défense
préventives.
80».Activités extraterritoriales de maintien de l’ordre public menées par des forces armées et
autorisées par le droit international
Ainsi, l’article II, par. 9, al. d) n’autorise pas les États parties à la Convention sur les
armes chimiques à employer des produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit
international. Le droit international autorise cependant certaines activités
extraterritoriales de maintien de l’ordre public par des forces armées, dans des opérations
militaires tant traditionnelles que non traditionnelles. Ces activités sont couvertes par
l’article II, par. 9, al. d).
Le droit international reconnaît un certain nombre de situations dans lesquelles des
forces militaires mènent des activités de maintien de l’ordre en relation avec des
opérations militaires de type traditionnel. Ces situations sont généralement liées au
maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans des zones placées sous l’autorité de
forces militaires. En premier lieu, le droit international humanitaire reconnaît la
responsabilité de la Puissance occupante « d’assurer l’administration régulière du
territoire
disposition conférait à la puissance occupante des pouvoirs «en sa qualité de Puissance
responsable de l’ordre et de la vie publics
et de la sécurité publics peut inclure, par exemple, des activités destinées à contenir des
foules civiles afin d’empêcher des désordres dans le territoire occupé.
Deuxièmement, le droit international humanitaire autorise aussi les forces
occupantes à assurer la sécurité de leurs membres et de leurs biens, de l’administration
d’occupation, ainsi que des établissements et des lignes de communications utilisés par
elle
et à faire appliquer une législation pénale afin de protéger leurs soldats, leurs
administrateurs, leurs bâtiments, leurs lignes de communication, leur matériel et d’autres
81». Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a relevé que cette82». L’exercice de cette responsabilité de l’ordre83. Les forces d’occupation sont donc autorisées, en droit international, à promulguer80
Ibid., art. 51.81
12 août 1949, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 75, p. 287 (ci-après, «CG IV»).
Art. 64, Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,82
de Genève
p. 362.
Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, IV : La Conventionrelative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, CICR, Genève, 1956,83
Art. 64, CG IV.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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23
e siècletypes de biens contre les problèmes ou les menaces dues aux non-combattants dans le
territoire occupé
Troisièmement, le droit international humanitaire reconnaît qu’outre les lois du
territoire occupé, la puissance occupante peut faire respecter des lois qu’elle promulgue
elle-même conformément aux responsabilités qui lui incombent en vertu du droit
international relatif à l’occupation
des armes de maintien de l’ordre comme les agents de lutte antiémeute, qui sont
employés pour maîtriser des foules civile et pour sauvegarder l’ordre et la sécurité
publics.
Quatrièmement, le droit international humanitaire autorise les forces militaires à
réglementer le comportement des prisonniers de guerre
faire respecter des lois, des règlements et des ordonnances concernant les prisonniers de
guerre
circonstances extrêmes telles que des tentatives de fuite
appropriées aux circonstances soient restées sans réponse. Selon le CICR, la puissance
détentrice peut recourir à la force contre des prisonniers de guerre qui se rebellent ou se
mutinent : «Avant de faire usage de leurs armes de guerre, les sentinelles peuvent utiliser
d’autres moyens ne causant pas de blessures mortelles et que l’on peut à la rigueur
considérer comme des sommations, tels que l’emploi de gaz lacrymogènes, matraques,
etc.
Ces quatre contextes dans lesquels le droit international reconnaît la légitimité
d’activités extraterritoriales de maintien de l’ordre par les forces militaires montrent que
l’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur les armes chimiques englobe ces activités.
Cette interprétation couvre certaines des circonstances dans lesquelles les États-Unis
revendiquent la possibilité d’employer des agents de lutte antiémeute dans des situations
militaires, à savoir : 1) dans des zones se trouvant sous le contrôle militaire direct et
distinct des États-Unis, y compris pour maîtriser des mutineries de prisonniers de guerre,
et 2) dans des zones situées à l’arrière du front, pour protéger les convois contre les
troubles civils
L’analyse qui précède s’applique aussi aux activités militaires non traditionnelles
telles que les opérations de maintien de la paix, reconnues comme légitimes en droit
84.85. Ces pouvoirs peuvent comprendre des techniques et86. Les forces militaires peuvent87 et peuvent utiliser des armes contre des prisonniers de guerre dans des88, après que des sommations89»90.84
puissance occupante dans un rapport sur les armes «non létales» financé par le Council on Foreign
Relations. En réponse à l’invasion par des civils d’une base militaire occupée par l’armée américaine à
Bagdad, et à la tentative de pillage, le personnel militaire américain a employé diverses armes «non
létales», dont un agent de lutte antiémeute — le gaz poivré — pour évacuer les civils du bâtiment.
Independent Task Force,
Foreign Relations, 2004, p. 51. Voir aussi Davison et Lewer 2005,
(décrivant l’emploi de divers agents de lutte antiémeute dans des opérations militaires des États-Unis
en Irak et en Afghanistan).
On trouve un exemple de l’emploi d’un agent de lutte antiémeute pour protéger les biens de laNon-Lethal Weapons and Capabilities, Washington, D.C., Council onop. cit. (note 11), pp. 22-2485
CG IV, art. 64 à 78.86
1949, Recueil de Traités des Nations Unies, vol. 75, p. 135 (ci-après, «CG III»).
Art. 41 et 82, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août87
Art. 82, CG III.88
Art. 42, CG III.89
Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,
Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, III : La Convention deCICR, Genève, 1958, p. 262.90
États-Unis, Executive Order 11850, Federal Register, Vol. 40, 1975, p. 161, par. (a), (d).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
24
e siècleinternational. Les opérations militaires non traditionnelles sont reconnues légitimes en
droit international si elles sont conduites 1) en réponse à une demande d’envoi de forces
de maintien de la paix émanant d’un État souverain, et 2) en tant qu’opérations de
maintien de la paix autorisées par le Conseil de sécurité de l’ONU en vertu du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Les forces militaires menant des opérations de maintien de la paix se trouvent
souvent responsables de la sécurité et du maintien de l’ordre public pour des populations
civiles. Elles peuvent être amenées à faire respecter la loi (par exemple en arrêtant des
personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre ou en libérant des otages),
et elles peuvent faire face à des menaces causées par l’action de non-combattants contre
la sécurité de leur personnel et de leur matériel
auxquelles sont confrontées les forces armées face aux populations civiles durant des
opérations de maintien de la paix qui ont motivé en partie l’intérêt des militaires à l’égard
des armes «non létales» au cours des dix dernières années
Ainsi, la Convention sur les armes chimiques autorise l’emploi par les forces
armées d’agents de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre lors d’opérations
militaires non traditionnelles autorisées par le droit international. Cette interprétation est
conforme aux revendications des États-Unis, selon lesquels leurs forces armées peuvent
recourir légitimement aux agents de lutte antiémeute dans les contextes suivants :
1) opérations militaires menées en temps de paix dans une zone de conflit armé en cours
lorsque les États-Unis ne sont pas parties au conflit; 2) opérations de maintien de la paix
autorisées par l’État hôte, y compris opérations de maintien de la paix menées
conformément au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies; et 3) opérations de
maintien de la paix dans lesquelles l’emploi de la force est autorisé par le Conseil de
sécurité de l’ONU en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies
Cette interprétation, toutefois, n’étaye pas la position des États-Unis selon laquelle
ils seraient en droit d’utiliser des agents de lutte antiémeute contre des forces
combattantes dans les opérations militaires non traditionnelles énumérées ci-dessus
types d’activités de maintien de l’ordre que le droit international autorise des forces
militaires à entreprendre dans des opérations militaires traditionnelles et non
traditionnelles concernent des contacts entre troupes militaires et des non-combattants —
prisonniers de guerre ou civils —, et non des affrontements entre forces combattantes.
L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) telle que présentée ci-dessus a deux
conséquences qui méritent d’être soulignées. Premièrement, elle signifie que dans des
situations extrêmes de maintien de l’ordre, les forces militaires qui mènent hors de leur
territoire national des activités de maintien de l’ordre autorisées par le droit international
91. Ce sont d’ailleurs les difficultés92.93.94. Les91
au Kosovo en mars 2004, l’Allemagne a annoncé son intention d’équiper ses troupes de maintien de la
paix d’agents de lutte antiémeute. Davison et Lewer 2004,
les forces armées françaises ont employé des agents de lutte antiémeute contre des civils qui
protestaient violemment contre l’intervention militaire française faisant suite à une attaque lancée par
l’aviation du pays contre les forces françaises de maintien de la paix. Davison et Lewer 2005,
Après s’être trouvée dans l’incapacité d’empêcher que des foules violentes attaquent des monastèresop. cit. (note 11), p. 34. En Côte d’Ivoire,op. cit.(note 11), p. 53.
92
Fidler, op. cit. (note 2), p. 58.93
US Senate Executive Resolution No. 75 – Relative to the Chemical Weapons Convention,Congressional Record
, Vol. 143, p. S3373-01, 17 avril 1997, par. 26A.94
Ibid.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
25
e siècledans le cadre d’opérations militaires traditionnelles et non traditionnelles pourraient ne
pas être limitées à l’emploi d’agents de lutte antiémeute. La pratique des États suggère
cependant que la Convention sur les armes chimiques est plus restrictive en ce qui
concerne l’emploi par les forces militaires de produits chimiques toxiques dans de telles
activités. Qui plus est, les États parties à la Convention sur les armes chimiques — les
États-Unis y compris — n’ont jamais employé, ni revendiqué le droit d’employer, des
produits chimiques autres que des agents de lutte antiémeute dans les types d’activités de
maintien de l’ordre autorisées par le droit international dans des opérations militaires
traditionnelles et non traditionnelles
deux facteurs : premièrement, ces activités sont extraterritoriales et ne bénéficient donc
pas de la latitude que le droit international reconnaît aux gouvernements sur leur propre
territoire; et 2) elles sont menées par des forces armées. L’objet et la raison d’être de la
Convention sur les armes chimiques signifient que les activités militaires
extraterritoriales au cours desquelles sont employés des produits chimiques toxiques
exigent un degré de surveillance accru et des mesures de sauvegarde supplémentaires.
La deuxième conséquence de l’interprétation ci-dessus de l’article II, par. 9, al. d)
est qu’elle couvre un grand nombre, mais pas la totalité, des emplois d’agents de lutte
antiémeute que les États-Unis affirment être autorisés par la Convention sur les armes
chimiques. Elle ne couvre pas deux situations dans lesquelles les États-Unis considèrent
que l’emploi d’agents de lutte antiémeute est légalement acceptable : 1) les situations
dans lesquelles des civils sont employés pour dissimuler ou camoufler des attaques et où
il est possible de limiter, voire de réduire à zéro, le nombre de victimes civiles; et 2) les
missions de sauvetage dans des zones éloignées d’équipages et de passagers d’avions
abattus, et de prisonniers de guerre en fuite
celles dans lesquelles les forces armées peuvent s’engager dans les types d’activité de
maintien de l’ordre sanctionnées par le droit international.
L’emploi d’agents de lutte antiémeute contre des combattants ennemis qui tentent
de capturer l’équipage et les passagers d’avions abattus, ou contre des prisonniers de
guerre en fuite, ou contre des combattants ennemis qui emploient des civils comme
boucliers humains ou pour dissimuler des attaques, ressemble davantage à une méthode
de guerre qu’à un objectif de maintien de l’ordre public. Aucun de ces actes ne répond au
type d’activité de maintien de l’ordre entreprises par des forces militaires et autorisées
95, 96. Cette interprétation plus restrictive s’appuie sur97. Ces deux situations ne sont pas similaires à95
antiémeute en Irak en 2003, dans les circonstances spécifiées par le décret-loi (Executive Order)
11850. Neil Davison et Nicholas Lewer,
Report No. 4,
n’emploieraient des agents de lutte antiémeute en Irak qu’à des fins de maîtrise d’émeutes. Davison et
Lewer 2004,
Le président Bush a autorisé les forces armées des États-Unis à employer des agents de lutteBradford Non-Lethal Weapons Research Project Research2003, p. 13. Les autorités militaires britanniques ont indiqué en mars 2003 qu’ellesop. cit. (note 11), p. 34.96
que les produits malodorants, dans la catégorie des agents de lutte antiémeute. C’est ce qu’ont fait les
États-Unis (Davison et Lewer 2003,
pour des produits chimiques incapacitants plus puissants. Comme le relève un rapport du National
Research Council, «l’emploi de produits sédatifs a (...) été envisagé par rapport à des situations de
prise d’otages et pour traiter des prisonniers •ingérables’, mais pas pour des situations d’émeute dans
lesquelles les personnes rendues inconscientes risqueraient d’être piétinées ou écrasées par les
émeutiers». Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,
Cette situation représente une incitation à tenter de faire entrer de nouveaux composés chimiques, telsop. cit. (note 95), p. 10). Ce procédé, toutefois, ne peut être utiliséop. cit.(note 62), p. 27 [notre traduction].
97
États-Unis, Executive Order 11850, op. cit. (note 90), par. (b)-(c).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
26
e sièclepar le droit international. L’interprétation présentée ici de l’article II, par. 9, al. d) est
conforme aux principes de l’interprétation des traités, parce qu’elle fait la distinction
entre les objectifs de maintien de l’ordre public autorisés par l’article II, par. 9, al. d) et
les méthodes de guerre interdites par l’article premier, par. 5.
Le maintien de l’ordre public et la répression des insurrections
Les opérations de répression de l’insurrection en Irak ont soulevé la question de savoir si
les forces armées pouvaient utiliser dans ce cadre des agents de lutte antiémeute ou des
produits chimiques incapacitants. En d’autres termes, peut-on considérer les activités de
lutte contre l’insurrection menées par des forces militaires comme des opérations menées
à des fins de maintien de l’ordre public aux termes de l’article II, par. 9, al. d) ? Le
contexte de l’insurrection pose des problèmes conceptuels, car il est à cheval entre les
notions traditionnelles de conflit armé entre États et de maintien de l’ordre à l’intérieur
d’un État. Les situations d’insurrection et de violences civiles organisées à grande échelle
ont posé par le passé des difficultés en termes de droit international humanitaire, comme
le montrent les controverses qui ont entouré la négociation du Protocole additionnel II sur
les conflits armés non internationaux. Il n’est donc pas surprenant que les situations
insurrectionnelles créent des problèmes en ce qui concerne l’interprétation de l’article II,
par. 9, al. d).
Les règles du droit international humanitaire sur les conflits armés non
internationaux s’appliquent aux conflits qui se déroulent sur le territoire d’un État entre
des forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui
exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des
opérations militaires continues et concertées
entre le conflit armé et le maintien de l’ordre à l’intérieur d’un État. Ainsi, le Protocole
additionnel II est une source pertinente en ce qui concerne les règles applicables pour
l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d).
Une action militaire menée contre des insurgés qui exercent un contrôle sur une
partie du territoire d’un État et qui mènent des opérations militaires continues et
concertées constitue un conflit armé plutôt qu’une action de maintien de l’ordre, et ne
tombe donc pas sous le coup de l’article II, par. 9, al. d). L’interdiction de l’emploi
d’armes chimiques «en aucune circonstance
que les conflits internationaux. Ce raisonnement suggère aussi que l’emploi d’agents de
lutte antiémeute dans des opérations contre une insurrection serait un moyen de guerre
prohibé par l’article premier, par. 5 de la Convention. La pratique étatique des forces
militaires en Irak à ce jour étaye cette interprétation, car ces forces n’ont pas employé
d’agents de lutte antiémeute ni de produits chimiques incapacitants dans leurs opérations
de lutte contre l’insurrection.
98. Ce seuil trace une ligne de démarcation99» englobe les conflits civils au même titre98
protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, Recueil des
traités des Nations Unies, Vol. 1125, p. 609.
Art. premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la99
Art. premier, par. 1 de la Convention sur les armes chimiques.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
27
e siècleMoscou, le maintien de l’ordre public et la Convention sur les armes
chimiques
L’analyse détaillée de la disposition de la Convention sur les armes chimiques touchant le
maintien de l’ordre public à laquelle nous venons de nous livrer est motivée par l’onde de
choc qu’a suscité, dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international,
l’emploi du fentanyl pour mettre un terme à la crise des otages à Moscou. La plupart des
expert sont tombés d’accord pour considérer que l’emploi du fentanyl par la Russie
tombait bien sous le coup de l’article II, par. 9, al. d), mais il subsistait des incertitudes et
des inquiétudes quant au sens de cette disposition et quant à son application dans des
contextes autres que le scénario de Moscou, auxquelles il était urgent d’apporter une
réponse. L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) donnée ci-dessus répond à de
nombreuses questions soulevées sur cette disposition, ainsi qu’aux craintes selon
lesquelles les événements de Moscou auraient démontré, comme certains commentateurs
l’ont affirmé, l’existence d’«une grave lacune» qui rendrait la Convention sur les armes
chimiques vulnérable «aux progrès de la science et des techniques
disposition relative au maintien de l’ordre est complexe, mais l’analyse faite à la lumière
des événements de Moscou montrent qu’elle ne prive pas la Convention de son objet et
de sa raison d’être en cas de manipulations, bien ou mal intentionnées, des progrès de la
science et de la technique. Il est important, après les événements de Moscou, d’expliciter
cette disposition, mais comme nous le verrons dans la section suivante, l’impact de ces
faits sur le débat concernant les armes «non létales» et le droit international dépasse la
seule question de déterminer le sens de la disposition relative au maintien de l’ordre
public dans la Convention sur les armes chimiques.
100». Certes, laComprendre les événements de Moscou : les armes «non létales» et le
droit international, aujourd’hui et demain
Les armes «non létales» chimiques et biologiques et le droit international :
une ère nouvelle ?
Au-delà de l’impact exercé par la crise de Moscou sur l’interprétation de la Convention
sur les armes chimiques, on décèle un changement d’attitude parmi des responsables
influents aux États-Unis quant à la question de savoir s’il est bien judicieux de chercher à
développer des capacités de production d’armes «non létales» chimiques ou biologiques.
Ce changement est perceptible dans deux rapports produits par des groupes de travail sur
les armes non létales, rapports financés par un organe influent, le Council on Foreign
Relations (Conseil sur les relations étrangères, CFR), et publiés l’un avant, l’autre après
les événements de Moscou. En 1999, un groupe de travail débattant des capacités de
production d’armes chimiques et biologiques estimait que «la sécurité des États-Unis
pourrait, dans certaines circonstances, être renforcée par la modification d’un traité
101»,100
traduction].
«New weapon technologies and the loophole in the Convention», op. cit. (note 38), p. 2 [notre101
Independent Task Force 1999, op. cit. (note 35).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
28
e sièclece qui laissait entendre que des personnalités influentes, aux États-Unis, envisageaient la
possibilité d’amender la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les
armes biologiques.
Un autre groupe de travail du CFR est cependant parvenu en 2004 à une conclusion
opposée. Ce groupe «a examiné les avantages ainsi que les problèmes qui découleraient,
soit d’une tentative de la part des États-Unis d’interpréter la Convention sur les armes
chimiques, ou d’une initiative des États-Unis pour amender la Convention ou la dénoncer
afin de pouvoir employer des produits chimiques comme armes •non létales’ contre des
combattants ennemis
suivante :
«Le groupe de travail considère que chercher à obtenir un amendement à la
Convention sur les armes chimiques, ou simplement affirmer le droit d’employer
les agents de lutte antiémeute comme méthode de guerre, risquerait de
compromettre la légitimité de toutes les armes non létales. Ceci ouvrirait la porte à
d’autres acteurs pour leur permettre de conduire ouvertement et légitimement des
activités de recherche-développement gouvernementales ciblées, susceptibles de
déboucher plus probablement sur des agents létaux perfectionnés que sur une
amélioration des capacités de production d’armes non létales. (...) Le groupe de
travail estime donc, tout bien considéré, que la manière la plus avisée de procéder
pour les États-Unis consiste à réaffirmer son appui à la Convention sur les armes
chimiques et à la Convention sur les armes biologiques, et d’être à la pointe des
efforts destinés à garantir le respect des traités par les autres pays
Le changement de cap constaté entre le rapport de 1999 et la conclusion du rapport
de 2004 dénote une prise de conscience croissante du fait qu’assouplir les exigences de la
Convention sur les armes chimiques ou de la Convention sur les armes biologiques dans
l’optique de favoriser le développement des armes «non létales» non seulement nuirait à
la sécurité nationale des États-Unis en incitant d’autres États à poursuivre des travaux de
recherche facilement exploitables à des fins létales, mais encore — pour citer les termes
du groupe de travail de 2004 — saperait la légitimité de toutes les armes «non létales».
Le groupe de travail de 2004 s’est exprimé en faveur du développement des armes non
létales
reviendrait à saper les progrès vers cet objectif. Ce groupe de travail souhaitait éviter la
politique délétère ainsi que les effets juridiques dus au «brouillard de fentanyl» dans le
cadre du mouvement général en faveur du développement des armes non létales.
Il y a aussi d’autres indications qui permettent de conclure que les perspectives et
l’enthousiasme concernant un développement plus énergique des capacités en matière
d’armes chimiques n’ont guère le vent en poupe. Le juriste David Koplow a affirmé que
l’idée d’amender la Convention sur les armes chimiques pour autoriser l’emploi militaire
d’armes chimiques «non létales» — qu’il s’agisse d’agents de lutte antiémeute ou de
produits chimiques incapacitants — était totalement utopique
Procureur général aux forces armées a admis que la Convention sur les armes chimiques
102». Cette analyse a conduit le groupe de travail à la conclusion103.»104, mais il a conclu que laisser ouvertes les options chimique ou biologique105. Un juriste auprès du102
Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 31.103
Ibid., p. 32.104
Ibid., p. 1.105
armes «non létales» David Koplow lors de la Non-Lethal Defense Conference VI en mars 2005).
Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26 (rapportant les commentaires du juriste expert enD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
29
e siècleinterdisait l’emploi à des fins militaires d’agents chimiques sédatifs, mettant en question
la licéité de tout intérêt militaire à l’égard d’armes incapacitantes de cette nature
Le changement de position des groupes de travail du CFR ne signifie certes pas que
l’intérêt ou les controverses à l’égard des armes «non létales» chimiques et biologiques
employées à des fins militaires se seraient évanouis. D’aucuns continuent à plaider pour
des armes «non létales» chimiques et biologiques qui exigeraient des modifications du
droit international
l’égard des produits chimiques incapacitants ne faiblit pas
l’OTAN mentionne les armes biologiques antimatériel comme une technologie
intéressante
armes biologiques
les armes biologiques antimatériel n’étaient pas autorisées par cette Convention
arguments sont avancés selon lesquels la Convention sur les armes chimiques ne régirait
pas les produits malodorants, ce qui signifierait que les forces armées seraient en droit de
les employer dans un conflit armé
de nouveaux produits chimiques incapacitants pourraient être qualifiés d’agents de lutte
antiémeute, pour couvrir les activités de recherche-développement sous prétexte de buts
de maintien de l’ordre
106.107. Qui plus est, selon certaines indications, l’intérêt des militaires à108. Ainsi, un rapport de109, malgré le fait que ces armes soient interdites par la Convention sur les110, et en dépit d’un rapport antérieur de l’OTAN qui avait conclu que111. Des112. Des appréhensions sont exprimées quant au fait que113. Des préoccupations croissantes se font jour, en outre,106
«il était probable que ces types de systèmes d’armement [sédatifs] étaient prohibés par la Convention
sur les armes chimiques» [notre traduction]).
Ibid. (rapportant l’avis d’un juriste des services du Procureur général aux forces armées, selon lequel107
Conference VI en mars 2005, John Alexander, partisan des armes «non létales», avait affirmé que «la
question des armes chimiques et biologiques devrait être réexaminée en ce qui concerne les armes non
létales, car le droit international interdisant leur mise au point était •dépassé’» [notre traduction]).
Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21 (signalant que lors de la Non-Lethal Defense108
un programme secret d’armes chimiques, en violation de la Convention sur les armes chimiques. «US
military operates secret chemical weapons program»,
Sunshine Project, 24 septembre 2002.
Dando, op. cit. (note 54), p. 17. Une organisation non gouvernementale a accusé les États-Unis d’avoirSunshine Project Aerogramme, No. 2002/05,109
Operations, doc. RTO-TR-SAS-040, novembre 2004, pp. 3-6.
Organisation pour la recherche et la technologie, Non-Lethal Weapons and Future Peace Enforcement110
Department of the Navy Office of the Judge Advocate General, 30 novembre 1997, p. 21 («La
Convention sur les armes biologiques, et — de manière plus explicite — les textes d’application
nationaux [des États-Unis], interdisent la mise au point, la production et le stockage d’agents
biologiques destinés à être utilisés comme armes. La loi définit les agents biologiques de manière
large, de façon à y inclure les agents employés à des fins antimatériel» [notre traduction]).
Voir, p. ex., Preliminary Legal Review of Proposed Chemical-Based Nonlethal Weapons, US111
des technologies de l’Assemblée de l’Atlantique Nord, doc. AP 238 STC (97) 8, octobre 1997, par. 19
(indiquant que «l'utilisation d'agents biologiques destinés à rendre les carburants inertes ou à détruire
des matériaux utilisés dans du matériel militaire, même si leur but n'est pas meurtrier», serait interdite
par la Convention sur les armes biologiques).
Voir Lord Lyell, Rapporteur général, Les armes non létales, rapport de la Commission des sciences et112
communication présentée lors du 3
12 mai 2005 à Ettlingen (Allemagne), p. 7 (affirmant que les produits malodorants ne sont pas des
produits chimiques toxiques au sens de la Convention sur les armes chimiques); Jared Silberman,
«Non-lethal weaponry and non-proliferation»,
Vol. 19, 2005, pp. 347-348 (juriste de la marine des États-Unis affirmant que «l’on pourrait voir
apparaître, à terme, l’emploi de produits malodorants, une façon de refuser l’accès à un ennemi» [notre
traduction]).
Massimo Annati, «Military use of chemical riot control agents: A case for legal assessment»,e Colloque européen sur les armes non létales organisé du 10 auNotre Dame Journal of Law, Ethics and Public Policy,113
Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
30
e siècleconcernant les armes «biochimiques» dites incapacitantes, qui recourent à des substances
qui pourraient être classées comme des toxines aux termes de la Convention sur les armes
biologiques ou comme des produits chimiques toxiques aux termes de la Convention sur
les armes chimiques
sur les armes «non létales» chimiques, biologiques et biochimiques demeure de mise.
Néanmoins, le changement d’attitude manifeste parmi les personnalités influentes
du CFR — auquel s’ajoutent les arguments et les efforts soutenus des sceptiques au sujet
des armes «non létales» — indique une rupture majeure à l’égard des armes chimiques et
biologiques dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international après la
crise de Moscou. Il faudra attendre la décennie à venir pour savoir si cette rupture est
permanente ou éphémère.
U
droit international
114. Toutes ces observations signifient que la vigilance internationalene voie moins balisée : les autres technologies d’armes «non létales» et leComme l’a montré la crise de Moscou, et comme l’a reconnu le dernier groupe de travail
du CFR, le développement d’armes «non létales» chimiques ou biologiques suscite de
très vives controverses, liées en grande partie à la manière «concentrée» dont le droit
international réglemente les armes chimiques et biologiques. Or, il existe d’autres
techniques utilisées dans les armes «non létales» qui ne font pas l’objet du même degré
d’attention de la communauté internationale, sur le plan juridique, que les agents
chimiques ou biologiques. Il n’existe rien de comparable à la Convention sur les armes
chimiques ou à la Convention sur les armes biologiques en ce qui concerne les
technologies d’armes «non létales» cinétiques, acoustiques, électriques, à
microfréquences et électromagnétiques, ce qui crée un cadre plus propice à la recherchedéveloppement.
Les règles du droit international humanitaire et du droit international des
droits de l’homme qui s’appliquent sont de nature générale (interdisant, par exemple,
qu’une arme cause des maux superflus, ou encore prohibant la torture ou les traitements
cruels, inhumains ou dégradants), mais ne concernent pas une technologie particulière.
Cette situation facilite le passage d’une technologie du stade de la recherchedéveloppement
au stade du déploiement. Bien que certaines de ces techniques suscitent
des préoccupations, comme le montrent les controverses autour des armes Taser
l’exploration de ces possibilités d’armes «non létales» ne rencontre actuellement aucun
obstacle comparable au «brouillard de fentanyl».
Il est intéressant de noter que d’aucuns, parmi les partisans des armes «non létales»,
cherchent à éviter la mise en place d’une réglementation plus stricte de ces technologies à
l’échelle internationale. Ainsi, en novembre 2004, l’Organisation pour la recherche et la
technologie de l’OTAN a recommandé que, «afin de garantir que les forces de l’OTAN
conservent leur capacité d’accomplir leurs missions, les pays membres de l’OTAN
115,114
Project Research Report No. 5
Dando, «L’utilisation des neurosciences à des fins malveillantes»,
pp. 20-27; Kathryn Nixdorff, «À l’attaque du système immunitaire»,
pp. 30-40.
Neil Davison, «Weapons focus: Biochemical weapons», in Bradford Non-Lethal Weapons Research, mai 2004, pp. 27-34; Wheelis, op. cit. (note 52), pp. 6-13; MalcolmForum du Désarmement, 2005,Forum du Désarmement, 2005,115
controverses autour des armes Taser).
Voir Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), pp. 34-41 (où les auteurs passent en revue lesD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
31
e siècledemeurent vigilants à l’égard du développement de régimes juridiques spécifiques qui
limiteraient sans nécessité la capacité d’employer des armes non létales
L’Organisation pour la recherche et la technologie n’a pas pour autant manifesté
d’opposition ouverte au rôle du droit international concernant les armes «non létales»,
puisqu’elle a insisté sur le devoir des pays membres de l’OTAN d’examiner la licéité des
armes nouvelles, et sur la nécessité de déterminer si le droit international humanitaire
traitait de manière appropriée l’emploi de ce type d’arme
la poursuite du développement d’une réglementation internationale spécifique dénote une
certaine préoccupation quant au fait que le débat sur les armes «non létales» et le droit
international a suscité un élan — ou tout au moins un intérêt marqué — pour une
réglementation juridique internationale des technologies des armes «non létales», ce qui
compromet l’adoption et l’emploi futurs, par les forces militaires, de ces technologies.
Cette recommandation de Organisation pour la recherche et la technologie confirme
cependant un argument invoqué par le camp des sceptiques : il n’existe pas d’arme «non
létale». L’Organisation pour la recherche et la technologie souhaite, pour l’essentiel, que
les règles actuelles qui s’appliquent à toute arme nouvelle s’appliquent aux armes «non
létales». En d’autres termes, il s’agirait de traiter les armes «non létales» comme de
simples armes en vertu des règles existantes. C’est exactement la position que les
sceptiques ont toujours défendue. La crise de Moscou, au demeurant, étaie aussi
l’argument selon lequel la classification des armes en «létales» et «non létales» est
douteuse, en termes empiriques comme sur le plan éthique.
Parallèlement, l’opposition de l’Organisation pour la recherche et la technologie à
une réglementation spécifique des technologies permettant la conception d’armes «non
létales» sape les arguments avancés par leurs partisans pour expliquer pourquoi les armes
«non létales» seraient différentes des autres sur le plan éthique. Si une technologie
nouvelle exige, pour des raisons d’ordre humanitaire ou pour d’autres raisons éthiques,
des règles supplémentaires pour sa mise au point ou pour son emploi, alors la manière
moralement correcte de procéder serait d’élaborer une nouvelle réglementation de la mise
au point et de l’emploi militaires de cette technologie
armes «non létales» seraient différentes sur le plan éthique reposent sur les principes
éthiques du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme existants; or
ces principes mêmes rendent moralement discutable le raisonnement selon lequel il
faudrait s’abstenir de réglementer de manière spécifique les nouvelles technologies de
l’armement destinées à accroître l’efficacité militaire des armes.
Reconnaissons, pour rendre justice à l’Organisation pour la recherche et la
technologie, que sa recommandation concernait des réglementations internationales
spécifiques qui restreindraient de manière «superflue» l’emploi militaire des armes non
létales. Ceci dit, ce qualificatif amène inévitablement une question : qu’est-ce qui
constitue une limite —nécessaire ou superflue — à l’emploi militairement efficace d’une
arme ? Les retombées de la crise de Moscou, y compris l’interprétation de la disposition
sur le maintien de l’ordre dans la Convention sur les armes chimiques, montrent
l’importance d’une réglementation juridique internationale spécifique des technologies de
116».117. Pourtant, le désir de prévenir118. Les arguments selon lesquels les116
Organisation pour la recherche et la technologie de l’OTAN, op. cit. (note 108), p. iii.117
Ibid., pp. 4-5.118
armes à laser aveuglantes.
L’exemple classique de cette dynamique est le processus qui a conduit à l’interdiction de l’emploi desD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
32
e sièclel’armement. La tension entre les enseignements tirés des événements de Moscou et le
désir de certains partisans des armes «non létales» de prévenir une réglementation
internationale plus poussée des technologies d’armes «non létales» n’est qu’une nouvelle
manifestation de la contradiction ancienne entre l’utilité militaire (définie par la
technologie) et les principes moraux (incarnés dans le droit humanitaire), contradiction
qui habite le droit international humanitaire depuis au moins la fin du XIX
L’avenir du débat sur les armes «non létales» et le droit international verra les partisans et
les opposants de ces armes affronter cette contradiction, avec en toile de fond les
avancées techniques qui ne manqueront pas de redéfinir la nature et l’art de la guerre.
e siècle.Conclusion
Davison et Lewer ont signalé que, lors d’une grande conférence sur les armes «non
létales» en mars 2005, les partisans de ces armes se sont plaints du fait qu’ils étaient en
train de perdre la «bataille de l’opinion» sous le coup des critiques émises par les
sceptiques et par les médias
médias, de toute évidence, ne «comprennent rien
médias ne sont pas les seuls dans ce cas. En 2004, le groupe de travail du Council on
Foreign Relations des États-Unis sur les armes «non létales» a conclu qu’il avait constaté
«peu de signes d’intérêt, dans les échelons supérieurs du Département de la défense, à
l’égard de la valeur et des applications nouvelles des armes non létales. Malgré des
succès à petite échelle, les armes non létales n’ont pas acquis leur place dans la réflexion
ni dans les achats en matière de défense
La déception des partisans des armes «non létales» quant à leur absence de progrès
reflète la difficulté du contexte actuel, qui s’explique par de nombreux facteurs, au
nombre desquels les événements de Moscou d’octobre 2002. La signification de ces
événements a refroidi aussi bien les avocats de ces armes que les sceptiques, forçant
chaque camp à revoir ses présupposés et ses arguments face à un avenir complexe et
délicat, en particulier en ce qui concerne le rôle du droit international. Le «brouillard de
fentanyl» a représenté, tant pour les partisans que pour les sceptiques de ces armes, une
réalité brutale qui a bouleversé le cadre de la réflexion future sur les armes «non létales».
Le sentiment de frustration ressenti par les tenants des armes «non létales»,
conscients de perdre la bataille en termes de relations publiques, a des causes plus
profondes qu’une simple incapacité de leur part de plaider avec succès la cause de ces
armes. Comme l’a démontré la crise de Moscou, on ne peut manquer de s’interroger
franchement quant au bien-fondé des affirmations sur le caractère «non létal» de ces
armes, et sur leur nature qui les distinguerait fondamentalement des autres armes, sur le
plan éthique, du fait de leur technologie, par opposition aux principes juridiques et
moraux de comportement. Les arguments utilisés par les avocats de ces armes dans la
deuxième moitié des années 1990 n’ont plus la même portée dans le contexte actuel, qui
est plus exigeant. Certains arguments — comme ceux qui plaident en faveur
d’amendements à la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les
armes biologiques — sont désormais considérés, même parmi les partisans des armes
119. Ils se montraient navrés de ce que les critiques et les120». Apparemment, les critiques et les121».119
Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 21.120
Ibid.121
Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 8 [notre traduction].D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
33
e siècle«non létales», non plus comme intellectuellement provocants, mais comme tout
simplement dangereux en ce qui concerne la mise au point d’autres techniques.
Les événements de Moscou sont aussi lourds de conséquences pour le camp des
sceptiques. Comme l’a montré l’analyse détaillée présentée ici, la réaction à l’attaque
terroriste du théâtre Nord-Ost a contraint à examiner de manière plus approfondie la
disposition de la Convention sur les armes chimiques concernant le maintien de l’ordre,
dont l’importance est apparue de manière éclatante à cette occasion. En outre, l’intérêt
qui continue à se manifester à l’égard d’un grand nombre de technologies non chimiques
et non biologiques en matière d’armes «non létales» signifie que le débat sur ces armes et
le droit international va se poursuivre pendant des années, mais plutôt porter sur des
techniques dont la mise au point et l’emploi ne sont pas régis par des traités de maîtrise
des armements. Dans l’ère de l’«après-Moscou», la prochaine phase critique sera
déclenchée par les avancées des techniques plus perfectionnées en matière d’armes
cinétiques, électriques, acoustiques, à microfréquences ou électromagnétiques, lorsque
ces nouvelles technologies seront déployées sur le terrain et lorsque l’emploi de telles
armes fournira des données empiriques
Les conséquences des événements de Moscou — la reconnaissance d’une place
pour l’emploi d’armes «non létales», avec en contrepartie la nécessité d’appliquer, de
préciser et de renforcer les paramètres définis par le droit international — préfigurent la
relation future entre ces armes et le droit international, avec les progrès de technologies
plus avancées. En un mot, les événements de Moscou nous montrent que l’évolution
rapide des techniques continuera à mettre à l’épreuve le droit international relatif à la
mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus chargée politiquement,
plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que l’application du droit
international humanitaire, par le passé, à des techniques spécifiquement conçues pour
tuer et pour détruire.
122.122
à l’adresse <http:// www.usatoday.com/news/world/iraq/2005-07-24-nonlethal-weapons_x.htm> (lien
consulté pour la dernière fois le 27 juillet 2005). Ces progrès sont freinés à l’heure actuelle par le
manque de fonds. Les engagements militaires des États-Unis en Irak et en Afghanistan ont des effets
négatifs sur les perspectives d’un soutien du Département de la défense à la mise au point de
technologies d’armes «non létales». Le fardeau de la recherche-développement retombera donc sur le
secteur privé. Voir Davison et Lewer 2005,
Voir Steven Komarow, «Pentagon deploys array of non-lethal weapons», USA Today, 24 juillet 2005,op. cit. (note 11), p. 22.Original anglais, « The meaning of Moscow: «Non-lethal» weapons and international law in the early 21st century »,
International Review of the Red Cross,
Vol. 87, No. 859, September 2005, pp. 525-552.Le sens des événements de
Moscou : les armes «non
létales» et le droit
international à l’orée du
XXI
e siècleDavid P. Fidler
Professeur de droit, titulaire de la bourse
de recherche Harry T. Ice, Faculté de droit
de l’Université de l’Indiana, Bloomington,
États-Unis.
Résumé
Le débat sur les armes dites «non létales» se situe au point de contact entre les nouvelles
technologies de l’armement et le droit international humanitaire; ces armes suscitent un
intérêt tout particulier. Cet article analyse la relation entre les armes «non létales» et le
droit international au début du XXI
emblématique survenu à ce jour dans la brève histoire du débat sur ce type d’arme, à
savoir l’emploi d’un produit chimique incapacitant pour mettre un terme à l’attaque
terroriste lancée dans un théâtre de Moscou en octobre 2002. Cet événement tragique a
montré que l’évolution rapide des techniques va continuer de mettre à l’épreuve le droit
international relatif à la mise au point et à l’emploi des armements, mais de manière plus
chargée politiquement, plus complexe juridiquement et plus délicate moralement que
l’application du droit international humanitaire par le passé.
e siècle, en se fondant sur l’événement le plus*****
Comprendre les événements de Moscou
Depuis une dizaine d’années, le rapport entre les technologies des armes nouvelles et le
droit international humanitaire suscite un débat particulièrement intéressant : celui qui
porte sur les armes dites «non létales». Les aspects techniques, militaires, politiques,
juridiques et éthiques de ces armes ont suscité beaucoup d’attention et de vives
D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
2
e sièclecontroverses
qu’il s’agit d’autre chose que d’un simple engouement passager au lendemain de la
guerre froide. Il est donc légitime, dans la réflexion sur la manière dont le droit a traité
l’apparition de technologies qui diffèrent, si l’on en croit leurs partisans, de celles des
armes «létales», de s’arrêter sur la place des armes «non létales» dans le droit
international humanitaire, et plus généralement en droit international. Le présent article
analyse la relation entre les armes «non létales» et le droit international au début du
XXI
emblématique survenu à ce jour dans la courte histoire du débat sur ces armes : l’emploi
d’un agent chimique incapacitant pour mettre un terme à une attaque terroriste contre un
théâtre de Moscou en octobre 2002.
L’apparition de nouvelles technologies d’armement est souvent le fruit d’un
moment historique où leur emploi concrétise soudain des questions politiques, juridiques
et morales qui restaient jusque-là abstraites. Le déploiement d’armes chimiques sur les
champs de bataille de la Première Guerre mondiale est encore pour beaucoup dans la
manière dont ces armes sont perçues dans l’opinion. De la même manière, la perception
des armes biologiques est marquée par les horreurs des expériences japonaises réalisées
en la matière en Chine, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les explosions
atomiques qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki en août 1945 pèsent jusqu’à ce jour sur
le débat concernant les armes nucléaires. À l’heure où ces lignes sont écrites,
l’événement le plus significatif à avoir marqué le débat sur les armes «non létales» est
l’emploi d’un agent chimique incapacitant à Moscou en 2002. Si cet événement concerne
surtout les controverses qui entourent les armes chimiques «non létales», les faits
survenus à Moscou ont des répercussions plus vastes pour la relation entre la mise au
point d’armes «non létales» et les règles de droit international; nous y reviendrons plus
loin.
Cet article commence par retracer le déroulement du débat sur les armes «non
létales» et le droit international avant les événements de Moscou. Au cours de cette
période, de nombreux analystes – dont l’auteur du présent article
mise au point et l’emploi de diverses armes «non létales» au regard du droit international
existant, en particulier le droit international concernant le désarmement et le droit
international humanitaire. Ces travaux avaient mis en évidence des divergences de vues
entre les partisans des armes «non létales» et les sceptiques quant au rôle du droit
international dans la mise au point et l’emploi de ces armes. En l’absence de faits, de
preuves ou de données concrets, ce dialogue revêtait par la force des choses un caractère
abstrait, faisant plus de place aux réflexions théoriques qu’à l’analyse empirique
1. L’ampleur, la complexité et l’intensité croissantes de ce débat montrente siècle, en prenant pour point de départ l’événement sans doute le plus2, 3 – avaient étudié la4.1
bibliographie, compilée par la Air University Library à la base de l’armée de l’air des États-Unis de
Maxwell, à l’adresse <http://www.au.af.mil/au/aul/bibs/soft/nonlethal.htm> (Non-Lethal Weapons,
juillet 2005).
Les publications consacrées aux armes «non létales» sont aujourd’hui légion. On trouvera une2
International Law,
David P. Fidler, «The international legal implications of •non-lethal’ weapons», Michigan Journal ofVol. 21, 1999, pp. 51-100.3
David P. Fidler, «•Non-lethal’ weapons and international law: Three perspectives on the future»,Medicine, Conflict and Survival,
Vol. 17, 2001, pp. 194-206.4
«non létales» et de leur intégration dans les forces armées et dans la stratégie militaire, une très large
part des analyses juridiques menées sur le plan international ne peuvent se fonder sur aucun précédent,
J’avais ainsi affirmé en 1999 qu’«étant donné le caractère embryonnaire de la mise au point des armesD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
3
e siècleL’article décrit ensuite le déroulement des faits dans le théâtre de Moscou et la
manière dont cette crise a transformé les arguments abstraits du débat sur les armes «non
létales» en un événement réel d’importance majeure, touchant des questions de vie ou de
mort. L’une des conséquences les plus importantes des événements de Moscou a été de
concentrer l’attention sur la manière dont la Convention sur les armes chimiques
l’emploi d’agents chimiques incapacitants par les forces chargées du maintien de l’ordre,
et cet article donne une interprétation de cet aspect de la Convention à la lumière des
événements de Moscou. Enfin, les relations actuelles et futures entre les armes «non
létales» et le droit international sont examinées dans le contexte de l’«après-Moscou».
5 régitL’avant-Moscou : le débat sur les armes «non létales» et le droit
international
Le débat sur les implications juridiques internationales des armes «non létales» ne s’est
développé que vers la fin des années 1990, en réaction à l’intérêt croissant manifesté à
l’égard de ces armes par les armées dans divers endroits du monde, et en particulier aux
États-Unis d’Amérique. La question des armes conçues comme étant moins létales que
les armes classiques, ou prétendues telles, avait déjà été abordée en droit international;
des traités sur les armes biologiques, chimiques et classiques réglementaient les capacités
«non létales». Ainsi, la Convention sur les armes biologiques ou à toxines avait interdit la
mise au point d’armes biologiques «non létales», à des fins antipersonnel ou
antimatériel
l’emploi d’armes chimiques, définies comme incluant les produits chimiques toxiques qui
entraînent une incapacité temporaire
d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre
annexé à la Convention sur les armes classiques un protocole interdisant l’emploi des
armes à laser aveuglantes conçues pour provoquer la cécité permanente
Bien qu’il s’agisse là indéniablement d’exemples de dispositions de droit
international régissant les capacités «non létales» des armes, il fallut attendre le milieu
des années 1990 pour que s’instaure un débat réellement centré sur les armes «non
létales» en tant que telles. L’intérêt croissant des militaires — et, dans une moindre
mesure, des forces de maintien de l’ordre
6. La Convention sur les armes chimiques interdisait la mise au point et7. Cette même Convention interdisait aussi l’emploi8. En 1995, les États avaient9.10 — à l’égard de ces armes dans la deuxièmece qui leur confère un caractère abstrait, voire parfois de pure spéculation». Fidler,
p. 55 [notre traduction].
op. cit. (note 2),5
armes chimiques et sur leur destruction, 13 janvier 1993, doc. Nations Unies CD/CW/WP.400/Rev. 1.
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des6
bactériologiques (biologiques) ou à toxine et sur leur destruction, 10 avril 1972, Recueil des traités des
Nations Unies, Vol. 1015, 1976, pp. 174-179.
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes7
Articles I, par. 1 et II, par. 2, de la Convention sur les armes chimiques.8
Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.9
l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées
comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination),
13 octobre 1995, doc. Nations Unies CCW/CONF.I/7, 12 octobre 1995.
Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV à la Convention de 1980 sur10
moitié des années 1990; les forces de police et de sécurité intérieure utilisaient en effet depuis
Les armes «non létales» étaient certes bien connues des services de répression dans la deuxièmeD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
4
e sièclemoitié de cette décennie a stimulé une analyse juridique spécifique, sur le plan
international, des armes «non létales» en tant que nouvelle catégorie d’armes (voir le
tableau ci-après pour la description des technologies). Les experts prirent position par
rapport aux affirmations selon lesquelles ces armes différaient, non seulement sur le plan
technique mais aussi sur le plan éthique, des armes que le droit international essayait
depuis longtemps de réglementer par les traités de désarmement et par le droit
international humanitaire.
Les principaux domaines technologiques des armes «non létales»
11Technologie Exemples
Énergie cinétique Munitions à impact (projectiles en mousse de
caoutchouc, chevilles en bois, sacs à fèves, balles en
plastique, canons à eau, anneaux aérodynamiques)
Barrières et filets de rétention ou d’enchevêtrement Dispositifs destinés à ralentir la progression et à
stopper des véhicules ou des bateaux (p. ex. filets,
chaînes, pointes, mousses rigides)
Électricité Technologie d’incapacitation musculaire par
électrochoc (p. ex. arme à électrochoc Taser, «épée
rétractable à décharge électrique», exosquelette à
décharge électrique, arme électrique sans fil (p. ex.
fusil à électrochoc pour combat rapproché (
Quarters Shock Rifle),
laser)
Acoustique Générateurs acoustiques, canons acoustiques,
dispositifs acoustiques à longue portée
Énergie dirigée Micro-ondes à haute puissance, ondes
millimétriques, lasers, armes envoyant des
projectiles à énergie pulsée
Chimie Agents de lutte antiémeute, produits malodorants,
agents antitraction, obscurcissants, mousses
collantes, produits chimiques antimatériel,
défoliants/herbicides
Chimie/biochimie Produits sédatifs, convulsants, agents incapacitants
Biologie Micro-organismes antimatériel, agents anticulture
Technologies combinées Grenades aveuglantes, dispositifs de diffusion
cinétiques et chimiques, dispositifs de diffusion
optiques et chimiques
Vecteurs Munitions «non létales» (p. ex. obus de mortier),
mines terrestres, véhicules et engins nautiques sans
pilote, encapsulation/microencapsulation
longtemps des armes telles que balles en plastique, «sacs à fèves», agents de lutte antiémeute, canons à
eau et matraques. Toutefois, l’intérêt des forces de maintien de l’ordre et leur participation active au
débat sur les armes «non létales» semblent avoir pris de l’ampleur au moment même où les forces
armées commençaient à réfléchir plus sérieusement au déploiement de ce type de techniques.
Closearme à plasma induit par11
Désarmement,
Research Project Research Report No. 7,
Non-Lethal Weapons Research Project Research Report No. 6,
Nicholas Lewer et Neil Davison, «Tour d’horizon des technologies non létales», Forum du2005, pp. 41-57; Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradford Non-Lethal Weaponmai 2005; et Neil Davison et Nicholas Lewer, Bradfordoctobre 2004.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
5
e siècleLe débat sur les incidences des armes «non létales» au regard du droit international
s’est déroulé d’une manière qui a exacerbé les controverses. À la fin du XIX
pendant la majeure partie du XX
de l’armement s’était en effet développé, dans les grandes lignes, de manière à définir et
appliquer des règles régissant des armes de plus en plus destructrices et meurtrières
Or, les armes «non létales» n’entraient pas dans ce schéma. Selon la définition du
Département américain de la défense, les armes «non létales» sont des armes
«explicitement conçues et employées avant tout afin de causer l’incapacité du personnel
ou du matériel, tout en réduisant au minimum les décès, les lésions permanentes aux
personnes ainsi que les dommages indésirables aux biens et à l’environnement
Définies de cette manière, les armes «non létales» faisaient écho à l’objectif du droit
international humanitaire de rendre le conflit armé plus humain
armes «non létales» était guidée, dans une certaine mesure, par les contraintes que le droit
international humanitaire imposait aux forces militaires engagées dans des opérations non
traditionnelles telles que les missions de maintien de la paix. Cette apparente
convergence d’intérêts créait un cadre dans lequel on pouvait imaginer que les forces
armées d’une part, les juristes et les experts en droit international humanitaire d’autre
part, finiraient par se rallier ensemble à ces nouvelles technologies d’armement.
Cette conjonction ne s’est pas produite. Les partisans des armes «non létales» se
sont heurtés au scepticisme des analystes politiques, des juristes et des acteurs
humanitaires internationaux
personnes : pourquoi donc ces experts exprimaient-ils des réticences à l’égard de moyens
somme toute plus humains de mener la guerre et de maintenir la paix ? Pour simpliste
qu’elle soit, cette question menaçait de prendre à contre-pied tous ceux qui manquaient
d’enthousiasme à l’égard des armes «non létales». Ils répondaient en soulignant les
nombreuses questions auxquelles le droit international exigeait une réponse avant que des
armes puisent être légitimement déployées
e siècle ete siècle, le droit international touchant les technologies12.13».14. En outre, l’étude des15. Cette attitude suscita la perplexité de nombreuses16. Rien ne symbolise mieux le fossé entre12
du droit international humanitaire, thème traité en 1996 dans un avis consultatif rendu par la Cour
internationale de justice. Voir l’affaire de la
L’exemple le plus parlant, à ce titre, est sans doute le problème posé par les armes nucléaires au regardLicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,avis consultatif, 8 juillet 1996,
CIJ Recueil 1996, p. 226.13
1996) [notre traduction]. Voir aussi Politique de l’OTAN sur les armes non létales, OTAN, 13 octobre
1999, à l’adresse <http://www.nato.int/docu/pr/1999/p991013f.htm> (lien consulté pour la dernière
fois le 22 juin 2005). («Les armes non létales sont des armes spécifiquement conçues et mises au point
pour mettre hors de combat ou repousser le personnel, avec une faible probabilité d’issue fatale ou de
lésion permanente, ou mettre hors d’état le matériel, avec un minimum de dommages non
intentionnels ou d’incidences sur l’environnement.»)
Policy for Non-Lethal Weapons, US Departement of Defense Directive No. 3000.3, par. C (9 juillet14
Jonathan D. Moreno, «Medical ethics and non-lethal weapons», American Journal of Bioethics,Vol. 4, 2004, p. W1 (qui note que «les armes non létales semblent répondre à l’une des exigences de la
guerre juste selon Saint Augustin, à savoir l’emploi de la force strictement nécessaire à la tâche à
accomplir» [notre traduction]).
15
Form of Warfare: The Rise of Non-Lethal Weapons
Steven Schofield,
Coupland, «•Non-lethal’ weapons: Precipitating a new arms race»,
1997, p. 72.
On peut citer, parmi les premiers critiques notoires des armes «non létales», Malcolm Dando, A New, Brassey’s, Londres, 1996; Nicholas Lewer etNon-Lethal Weapons: A Fatal Attraction?, Zed Books, Londres, 1997; et RobinBritish Medical Journal, Vol. 315,16
nouvelle arme ainsi que de tous nouveaux moyens ou méthodes de guerre (art. 36). Voir, en ce qui
Ainsi, le Protocole additionnel I de 1977 exige que les États parties évaluent la légalité de touteD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
6
e sièclepartisans et sceptiques de ces armes que leurs divergences touchant l’expression «arme
non létale
spécificité, sur le plan technique comme sur le plan éthique; pour les sceptiques, cette
désignation était trompeuse, parce qu’elle conférait un statut moral à des armes sur la
base de leur technologie, et non sur la base d’une analyse juridique et éthique des raisons
et du contexte de leur emploi, et de la manière dont elles étaient employées.
Ce désaccord a eu des répercussions sur le débat juridique international. Persuadés
que les armes «non létales» étaient des armes qui se distinguaient des autres sur le plan
éthique, leurs partisans ont mis en question les règles internationales susceptibles de
limiter leur mise au point et leur emploi, affirmant qu’il était nécessaire d’envisager la
modification de ces règles. Un certain nombre de partisans de ces armes ont affirmé que
les traités restreignant leur mise au point devraient être amendés
en pleine lumière les restrictions imposées par les Conventions sur les armes biologiques
et chimiques à la mise au point d’armes biologiques et chimiques «non létales».
Dans certains cas, cependant, les tenants de ces armes sont allés plus loin, laissant
entendre qu’il fallait repenser le cadre moral qui avait guidé historiquement le droit
international des conflits armés, et le remplacer par un droit qui reconnaisse le nouveau
contexte militaire et éthique rendu possible par les technologies des armes «non
létales
létales» sur la règle traditionnelle de droit international humanitaire qui interdit
d’employer les armes intentionnellement contre les populations civiles
des armes «non létales» ont soulevé la question de savoir si cette interdiction était
défendable sur le plan éthique, au vu de la probabilité croissante de conflits armés en
zones urbaines. L’emploi intentionnel d’une arme «non létale» contre des populations où
se mêlent combattants et non-combattants n’offrirait-il pas la possibilité de faire moins de
morts et de blessés parmi les civils que le fait de restreindre les forces armées à l’emploi
d’armes «létales» dans une situation où il est pour ainsi dire impossible de distinguer
entre combattants et non-combattants et où cet emploi est désavantageux sur le plan
militaire
17». Pour les partisans de ces armes, cette expression résumait parfaitement leur18. Cette position a mis19». Cette position radicale peut être illustrée par l’impact potentiel des armes «non20. Les partisans21 ?concerne cette obligation, Isabelle Daoust, Robin Coupland et Rikke Ishoey, «New wars, new
weapons? The obligation of States to assess the legality of means and methods of warfare»,
internationale de la Croix-Rouge,
review of weapons in accordance with Article 36 of Additional Protocol I»,
Croix-Rouge,
RevueVol. 84, n° 846, juin 2002, pp. 345-363; Justin McClelland, «TheRevue internationale de laVol. 85, n° 850, juin 2003, pp. 397-415.17
Legitimating Forces? Technology, Politics and the Management of Conflict
2003, pp. 17-34.
Pour une discussion de l’expression «armes non létales», voir Brian Rappert, Non-Lethal Weapons as, Frank Cass, Londres,18
perspective».
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «selective changeFidler, op. cit. (note 3), pp. 199-201.19
perspective». Ibid.,
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «radical changepp. 201-204.20
brought by new means and methods of warfare with new effects?», in Davison et Lewer 2004,
Robin Coupland, «•Calmatives’ and •incapacitants’: Questions for international humanitarian lawop. cit.(note 11), p. 35 et p. 38 («Une autre préoccupation majeure, en ce qui concerne les armes •non létales’,
est le fait que leurs partisans proposent qu’elles soient utilisées par les soldats contre des civils en cas
de besoin» [notre traduction]).
21
Jefferson D. Reynolds, «Collateral damage on the 21st century battlefield: Enemy exploitation of theD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
7
e sièclePersuadés que les armes «non létales» étaient des armes comme les autres, sans
particularité spécifique sur le plan éthique, les sceptiques invoquaient quant à eux le droit
international existant relatif à la maîtrise des armements, à l’emploi de la force, aux
conflits armés et aux droits de l’homme, pour affirmer que ces armes soulevaient un
grand nombre de graves questions d’ordre juridique et moral qui ne sauraient être
dissimulées par la rhétorique relative à leur «non-létalité». En outre, les tenants de cette
position insistaient sur le fait que la mise au point et l’emploi des armes «non létales»
devait être conforme au droit international existant et à venir
partisans de ces armes ont affirmé qu’il convenait de modifier ou d’abroger des règles
juridiques internationales importantes pour faire leur place aux armes «non létales»
qu’une vive opposition s’est manifestée. Les sonnettes d’alarme ont retenti avec une
vigueur toute particulière au sujet des armes «non létales» qui pourraient être susceptibles
de saper les Conventions sur les armes biologiques et sur les armes chimiques
Il est un point, cependant, sur lequel les tenants de ces armes et les sceptiques
tombaient d’accord : le débat sur les armes «non létales» et le droit international
concernait essentiellement les technologies de demain, et non les armes «non létales»
susceptibles d’être déployées dans la deuxième moitié des années 1990 et au début des
années 2000. Bien que ce débat couvre les balles en plastique, les «sacs à fèves», le filets
d’enchevêtrement, les chausse-trapes, les mousses collantes, les agents de lutte
antiémeute, les grenades aveuglantes et assourdissantes et autres techniques similaires, ce
type d’arme «non létale» faisant appel à de technologies simples ne constituait pas
l’enjeu le plus important, ni pour les partisans ni pour les sceptiques. La génération
actuelle de ces armes avait des capacités limitées parce qu’elles reposaient
principalement sur des dispositifs mécaniques, chimiques ou cinétiques à courte portée; le
débat portait surtout sur les armes «de science-fiction», c’est-à-dire la génération suivante
d’armes non létales, qui utiliseraient des capacités bien plus avancées, sur les plans
cinétique, acoustique, électrique, électromagnétique, biologique et chimique, sans oublier
d’autres possibilités futuristes éventuelles comme la nanotechnologie
C’est pour cette raison que les partisans de ces armes et les sceptiques se livraient
pour l’essentiel, dans leur analyse de la manière dont les armes «non létales» pourraient
influencer les conflits armés, à des spéculations relevant de la boule de cristal. Les
tenants des armes «non létales» considéraient qu’elles pourraient réduire le nombre de
morts sur les champs de bataille; à l’opposé, les sceptiques mettaient en garde quant au
22. C’est surtout lorsque les23.24.law of armed conflict, and the struggle for a moral high ground»,
2005, p. 1, pp. 99-100 («Les plus prometteuses de toutes sont sans doute les armes non létales, qui
peuvent être employées contre des combattants ennemis mêlés à la population civile» [notre
traduction]).
Air Force Law Review, Vol. 56,22
Dans des articles antérieurs, j’ai désigné cette position sous l’appellation «compliance perspective».Fidler,
op. cit. (note 3), pp. 198-199.23
p. 1 (où l’on peut lire que «il est de plus en plus urgent, au vu des investissements croissants dans les
nouvelles technologies relatives aux •armes non létales’, de prendre conscience de la menace qu’elles
représentent pour le régime juridique de la Convention sur les armes chimiques et de la Convention
sur les armes biologiques» [notre traduction]).
«•Non-lethal’ weapons, the CWC and the BWC» CBW Conventions Bulletin, No. 61, septembre 2003,24
dans : Center for Responsible Nanotechnology, Dangers of Molecular Manufacturing
[<http://www.crnano.org/dangers.htm#arms> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin 2005)].
On trouvera une description des conséquences potentielles des armes recourant à la nanotechnologieD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
8
e sièclefait que ces armes pourraient démultiplier les effets des armes «létales», et rendre ainsi
les champs de bataille plus meurtriers encore. Du point de vue du droit international,
l’issue de ce type de débat théorique repose sur la «densité» du régime juridique
international pertinent pour telle ou telle technologie d’armes «non létales». Les régimes
les plus «denses» interdisaient à la fois la mise au point et l’emploi de certaines
techniques, à l’instar des interdictions générales des armes biologiques ou chimiques.
Les régimes juridiques moins «denses» n’interdisent pas spécifiquement des
technologies précises, mais appliquent des règles générales à la mise au point et à
l’emploi des armes. Ainsi, il n’existe aucun traité régissant l’emploi d’armes utilisant les
hyperfréquences, mais le droit international humanitaire applique à tout emploi d’armes,
y compris les armes à hyperfréquences, des principes généraux, dont l’exigence que cet
emploi distingue les combattants des non-combattants
superflus aux combattants
technologies ou de données empiriques sur leur emploi, les débats sur les armes «non
létales» dans les domaines où le droit international était le moins «dense» étaient par
conséquent les plus spéculatifs, car souvent le résultat de l’analyse dépendait de
l’intention et du comportement réels des soldats.
Ces débats, pour abstraits et théoriques qu’ils fussent, ont cependant eu deux
conséquences qui ont placé les partisans de ces armes sur la défensive. Premièrement, les
arguments plaidant pour la mise au point de la nouvelle génération de technologies
dépendaient dans une large mesure de leur «non-létalité». S’il était impossible de prouver
empiriquement qu’une nouvelle technologie était «non létale», les arguments moraux en
faveur de son développement perdaient de leur force. Les données concernant les effets
sur l’être humain de la plupart des armes «non létales» actuelles ou proposées étaient
inexistantes, rares ou n’étayaient guère les affirmations relatives à leur «non-létalité
Les partisans avaient ainsi entraîné le débat dans une voie qui exigeait d’eux qu’ils
établissent les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Le seuil éthique qu’ils
avaient eux-mêmes fixé imposait un prix empirique en termes de recherchedéveloppement
qui restait à payer
La deuxième conséquence résultait, elle aussi, des arguments d’ordre éthique
avancés par les tenants de ces armes. Si les armes «non létales» étaient supérieures sur le
25 et ne cause pas des maux26. Du fait du manque d’informations sur les nouvelles27».28.25
compréhension et au respect du droit des conflits armés»,
sélection française 2005,
humanitaire coutumier, «[l]es parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et
combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent
pas être dirigées contre des civils.»)
Jean-Marie Henckaerts, «Étude sur le droit international humanitaire coutumier : une contribution à laRevue internationale de la Croix-Rouge :CICR, Genève, 2006, p. 315 (affirmant que, en droit international26
des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.»
Ibid., p. 322 (affirmant que, en droit international humanitaire coutumier, «[i]l est interdit d’employer27
qu’aucune arme dite «non létale» ne répondait aux critères qui permettraient de la qualifier réellement
de non létale). Pour des descriptions plus récentes des problèmes d’impact sur la santé, voir Lewer et
Davison,
Fidler, op. cit. (note 2), p. 62 (décrivant des études, réalisées à la fin des années 1990, qui concluaientop. cit. (note 11), pp. 48-49; Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 28.28
l’absence de données empiriques concernant les effets des armes «non létales» sur l’être humain. Voir
Davison et Lewer 2005,
des armes «non létales», des «préoccupations concernant le manque de données touchant les effets des
armes •non létales’ sur l’être humain» [notre traduction]).
Certains partisans des armes «non létales» ont exprimé leur agacement au sujet des remarques surop. cit. (note 11), p. 21 (qui évoque la réfutation par John Alexander, partisanD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
9
e siècleplan éthique, demandaient certains experts, alors les gouvernements auraient-ils
l’obligation morale de les employer en premier lieu, avant de recourir à une force
«létale» ? Les tenants de ces armes opposaient à cet argument éthique un argument
juridique : le droit international n’exige pas l’emploi d’une force «non létale» avant
l’emploi d’une force «létale» dans les conflits armés
droit international, cette réponse juridique ne répondait pas à l’interrogation morale.
Comment pourrait-on plaider pour la mise au point d’armes supérieures sur le plan
éthique, et ne pas avoir l’obligation morale d’employer ces armes avant des armes
«létales» ? Cette question est certainement loin de couvrir tous les aspects pertinents du
problème du choix des armes dans un conflit armé, mais elle met en pleine lumière les
incohérences potentielles, sur le plan éthique, de la position des partisans des armes «non
létales». Ce type d’interrogation morale, associé aux incertitudes quant aux effets
concrets sur l’être humain des technologies en question, posait bien des problèmes aux
tenants de ces systèmes d’armement dans le débat juridique international.
Ce débat animé sur les armes «non létales» et le droit international s’est développé
dans la seconde moitié des années 1990, sans qu’aucun des deux camps ne l’emporte
vraiment, et il a montré que tenants et opposants de ces armes se préparaient à débattre
des questions que soulèveraient des armes faisant appel à des technologies plus avancées.
Malgré le nombre croissant de conférences, d’articles, de livres et de rapports, il
manquait dans ce débat un événement qui cristalliserait les problèmes et qui susciterait un
intérêt plus large, tant à l’échelon politique qu’en termes d’orientations générales, à
l’égard des questions débattues par les tenants et les opposants des armes «non létales».
C’est alors, en octobre 2002, que des terroristes tchétchènes prirent d’assaut un
théâtre de Moscou.
29. Bien que correcte au regard duLes événements de Moscou : le «brouillard de fentanyl»
L’attaque du théâtre Nord-Ost, à Moscou, par un commando tchétchène et la crise qui
s’ensuivit, avec la prise de quelque 830 otages, prirent fin lorsque les forces de sécurité
russes diffusèrent dans le bâtiment un produit chimique qui était sans doute un dérivé du
fentanyl (produit opiacé), avant d’envahir le théâtre. Les forces russes tuèrent tous les
terroristes et sauvèrent des centaines d’otages. Toutefois, le fentanyl tua environ
130 otages, ce qui représente un taux de mortalité de 16%, soit plus du double du taux de
mortalité causé par les armes chimiques «létales» utilisées sur les champs de bataille de la
Première Guerre mondiale
30. Le recours à un produit chimique incapacitant pour mettre29
constitue pas une obligation d’emploi de ces armes ni n’impose une norme supérieure, ou des
restrictions supplémentaires, au recours à la force létale.» Voir, cependant, Davison et Lewer 2005,
cit.
la situation actuelle du droit international sur cette question a «peu de chances de durer» et qui prédit
«qu’à l’avenir, les armes •non létales’ élèveront bel et bien le seuil pour le recours à la force létale»
[notre traduction]).
OTAN, op. cit. (note 13) : «L’existence, la présence ou l’effet potentiel des armes non létales neop.(note 11), p. 27 (évoquant le juriste expert en armes «non létales» David Koplow, qui affirme que30
biologiques»,
santé des otages survivants deux ans après les faits dans l’article de Anna Rudnitskaya, «Nord-Ost
tragedy goes on»,
<http://english.mn.ru/english/issue.php?2004-41-2> (lien consulté pour la dernière fois le 22 juin
Alexander Kelle, «La science, la technologie et les régimes de contrôle des armes chimiques etForum du Désarmement, 2005, p. 7, p. 10. On trouvera un rapport sur les problèmes deThe Moscow News, No. 41, 2004, à l’adresseD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
10
e siècleun terme à la crise des otages de Moscou a bouleversé le débat sur les armes «non
létales» et le droit international.
L’emploi du fentanyl eut sur ce débat deux conséquences immédiates. La première
fut de porter au grand jour la controverse sur les produits chimiques incapacitants
pouvant potentiellement servir d’armes «non létales». Comme indiqué plus en détail cidessous,
les événements de Moscou ont appelé particulièrement l’attention sur la manière
dont la Convention sur les armes chimiques traite ces produits chimiques. Le drame de
Moscou a fait ressortir l’importance politique et juridique du traitement des produits
chimiques incapacitants dans la Convention, et renforcé la place de cette problématique
dans le débat sur les armes «non létales» et sur le droit international.
Deuxièmement, la crise de Moscou a produit ce que j’appelle le «brouillard de
fentanyl», car l’emploi de ce produit incapacitant a fourni des arguments aux deux camps
en présence, obscurcissant ainsi les enjeux du débat plutôt que de les éclaircir. Pour les
tenants des armes «non létales», les événements de Moscou représentaient le type même
de scénario qui appelait une réflexion plus approfondie sur ces armes. La combinaison du
fentanyl et des forces classiques avait permis de sauver la majorité des otages, ce que
n’aurait pas permis l’emploi des seules forces classiques. La capacité d’allier des
capacités «non létales» et des capacités «létales» semblait donc pouvoir sauver des vies.
À la lumière des prédictions concernant la menace du terrorisme après le 11 septembre
2001, les événements de Moscou semblaient donc — aux yeux des tenants de ces armes
— suggérer la nécessité de s’engager plus vigoureusement sur la voie de leur emploi pour
garantir l’ordre public et la sécurité et pour faire face aux nouvelles menaces militaires
dans ce contexte inédit.
La crise de Moscou apportait aussi, cependant, de l’eau au moulin des sceptiques.
Le nombre de décès dus au fentanyl prouvait en effet que les produits chimiques
incapacitants n’étaient pas «non létaux». L’emploi du fentanyl dans un contexte qui ne
permettait de maîtriser ni le dosage, ni les conditions de l’exposition au produit avait
causé un taux de létalité considérable parmi les personnes exposées. Ces morts
confirmaient le bien-fondé des arguments des sceptiques selon lesquels les armes «non
létales» devaient être considérées purement et simplement comme des armes, dont la
dangerosité dépend de nombreux facteurs exigeant d’être évalués au cas par cas, et ne pas
être occultée par une étiquette trompeuse et politiquement correcte.
Les événements de Moscou renforcèrent les craintes des sceptiques à l’égard d’un
intérêt accru pour les produits chimiques incapacitants, qui pourrait menacer la
Convention sur les armes chimiques. La manière dont les forces de sécurité russes avaient
achevé les terroristes déjà mis hors d’état de nuire venait renforcer les préoccupations
d’ordre humanitaire, à l’échelon international, quant au fait que les armes «non létales»
pourraient encourager les forces militaires à violer le principe de droit international
humanitaire concernant le respect des personnes hors de combat
causés par le fentanyl parmi les otages, ils soulevaient des questions touchant le
comportement du gouvernement russe au regard des droits de l’homme, en particulier en
31. Quant aux décès2005).
31
est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat.»)
Henckaerts, op. cit. (note 25), p. 320 (indiquant qu’en droit international humanitaire coutumier, «[i]lD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
11
e sièclece qui concerne son manque de préparation pour soigner les personnes victimes du
fentanyl après l’assaut lancé contre le théâtre
Ce «brouillard de fentanyl» signifiait que, pour dramatique que soient les
événements de Moscou, l’emploi de ce produit chimique incapacitant ne réglait pas le
débat sur les armes «non létales» et le droit international. En tant qu’événement concret
le plus important ayant donné lieu à l’emploi d’une arme «non létale» autre que les
dispositifs cinétiques et mécaniques habituels et les agents de lutte antiémeute, la crise de
Moscou a souligné l’importance du débat, en particulier en ce qui concerne les armes
chimiques «non létales». Nous allons, dans les deux sections suivantes de cet article,
examiner de plus près l’impact des événements de Moscou sur le débat concernant les
armes «non létales» et le droit international, en commençant par les dispositions
concernant les produits chimiques incapacitants dans la Convention sur les armes
chimiques, pour explorer ensuite les conséquences plus larges des événements de Moscou
sur la relation future entre ces armes et le droit international.
32.L’«après-Moscou» : les produits chimiques incapacitants et la
Convention sur les armes chimiques
L’impact des événements de Moscou sur la Convention
Le plus ancien volet du débat sur les armes «non létales» et le droit international
concerne les armes chimiques «non létales». Au cours des négociations de la Convention
sur les armes chimiques, la question de savoir si les agents de lutte antiémeute pouvaient
être utilisés comme moyens de guerre a été vivement débattue
Convention ont aussi traité de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins liées au
maintien de l’ordre
pendant la seconde moitié des années 1990 a conduit leurs partisans à plaider la nécessité
de réexaminer, et le cas échéant de modifier, les règles restreignant l’emploi de ces agents
de lutte antiémeute et des produits chimiques incapacitants à des fins militaires
expert a résumé cette position par une image hardie, allant jusqu’à affirmer que «les
produits chimiques peuvent être nos amis
33. Les négociateurs de la34. L’intérêt à l’égard des armes «non létales» qui s’est manifesté35. Un36».32
for Consequences of Gas Violates Obligation to Protect Life, Human Rights Watch, 30 octobre 2002,
à l’adresse <http://www.hrw.org/press/2002/10/russia1030.htm> (lien consulté pour la dernière fois le
20 juin 2005).
Independent Commission of Inquiry Must Investigate Raid on Moscow Theater: Inadequate Protection33
Article I, par. 5 de la Convention sur les armes chimiques.34
Ibid., art. II, par. 9, al. d).35
Foreign Relations, New York, 1999, à l’adresse
<http://www.cfr.org/pub3326/richard_l_garwin_w_winfi
eld/nonlethal_technologies_progress_and_prospects.php#Report> (lien consulté pour la dernière fois
le 22 juin 2005). L’auteur soutient, au sujet des armes chimiques et biologiques, que la modification
des traités y afférents pourrait permettre de renforcer la sécurité des États-Unis.
Voir, p. ex., Nonlethal Technologies: Progress and Prospects, Independent Task Force, Council on36
operations», exposé présenté à la 4
2000 [notre traduction].
Russell Glenn, «Separating the wheat from the chaff: Non-lethal capabilities in future urbane conférence annuelle de Jane sur les armes non létales, 5 décembreD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
12
e siècleL’emploi du fentanyl lors de la crise de Moscou a attiré une attention toute
particulière sur les dispositions de la Convention sur les armes chimiques concernant les
produits chimiques incapacitants, et en particulier sur l’article II, par. 9, al. d), qui
autorise l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre
public
préoccupations tant pendant qu’après les négociations sur la Convention
interrogations quant à sa portée et à son impact possibles sur la Convention avaient
persisté jusqu’à la crise de Moscou
urgence et une importance nouvelles, tant pour la Convention que pour le débat plus large
touchant les armes «non létales» et le droit international. La plupart des experts
tombèrent d’accord pour considérer que les événements de Moscou relevaient bien de la
disposition de la Convention touchant le maintien de l’ordre public, et ce consensus
exacerba encore les controverses sur la manière dont cette disposition devait être
interprétée
Pour ce qui est de l’interprétation de la disposition relative au maintien de l’ordre
public, l’enjeu était important, pour les tenants des armes «non létales» comme pour les
sceptiques. Pour ces derniers, cette disposition représentait une lacune potentielle, que les
tenants des armes chimiques incapacitantes pouvaient exploiter pour saper l’interdiction
— inscrite dans la Convention — de l’emploi de produits chimiques incapacitants à des
fins antipersonnel
l’ordre public offrait la possibilité de développer le potentiel des produits chimiques
incapacitants et de démontrer leur utilité, tant aux fins de maintien de l’ordre que pour les
missions que les armées auraient à accomplir dans les conflits armés du XXI
disposition représentait donc une plate-forme permettant d’élaborer un argument selon
lequel l’interdiction, dans la Convention, de l’emploi à des fins militaires des agents de
lutte antiémeute et de produits chimiques incapacitants devrait être révisée pour refléter
les nouvelles capacités «non létales» dans le domaine chimique. En ce sens, la disposition
sur le maintien de l’ordre public représentait une passerelle potentielle vers des capacités
37. Cette disposition sur le maintien de l’ordre public avait suscité des38, et les39; celle-ci, cependant, conféra à ces questions une40.41. Pour les partisans de ces armes, la disposition sur le maintien dee siècle. La37
Convention’ : (…) d) Des fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan
intérieur.»
Article II, par. 9, al. d), qui dispose que : «On entend par •fins non interdites par la présente38
disposition touchant le maintien de l’ordre public (art. II, par. 9, al. d)), s’interrogeait en ces termes :
«qu’est-ce que le •maintien de l’ordre’ ? (...) De quel ordre s’agit-il ? Qui le maintient et où ?» «New
weapon technologies and the loophole in the Convention»,
No. 23, mars 1994, p. 1 [notre traduction].
À titre d’exemple, un éditorial dans le Chemical Weapons Convention Bulletin, consacré à laChemical Weapons Convention Bulletin,39
en posant la question : «que faut-il entendre par •maintien de l’ordre’ dans le contexte de la
Convention ?» «•Law enforcement’ and the CWC»,
décembre 2002, p. 1 [notre traduction].
Un éditorial du CBW Conventions Bulletin revint sur cette question après les événements de MoscouCBW Conventions Bulletin, No. 58,40
l’ordre public contenue dans la Convention sur les armes chimiques, à savoir la tenue au printemps de
l’année 2003 — six mois environ après les événements de Moscou — de la première conférence
d’examen de la Convention. À cette occasion, les États parties ne parvinrent pas à traiter des
problèmes soulevés par la crise de Moscou, ce qui renforça la controverse.
Un autre facteur a renforcé l’importance accordée à la signification de la disposition sur le maintien de41
fins antimatériel, dans des contextes où cet emploi n’a pas d’effet néfaste sur les êtres humains ou les
animaux. Voir Fidler,
La Convention sur les armes chimiques n’interdit pas l’emploi de produits chimiques toxiques à desop. cit. (note 2), p. 72.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
13
e sièclechimiques «non létales» plus conséquentes pour le personnel responsable du maintien de
l’ordre public et pour les forces armées.
La question de savoir comment la disposition sur le maintien de l’ordre public
serait interprétée après les événements de Moscou devint ensuite une question politique et
juridique de première importance pour le débat sur les armes «non létales» et le droit
international; nous allons maintenant nous pencher sur l’interprétation de cette
disposition et sur les conséquences de cette interprétation pour l’avenir de ce débat
42.Quels produits chimiques toxiques peuvent-ils être employés à des fins de
maintien de l’ordre public ?
La question initiale pour l’interprétation concernait la gamme de produits chimiques
autorisés à des fins de maintien de l’ordre public. L’article II, par. 9, al. d) inclut
clairement les agents de lutte antiémeute dans la gamme de produits chimiques
autorisés
maintien de l’ordre public devait avoir les mêmes propriétés qu’un agent de lutte
antiémeute
Premièrement, l’article II, par. 9, al. d) autorise les pays à employer des produits
chimiques toxiques pour imposer la peine capitale, et les produits chimiques employés à
cette fin ne sont pas des agents de lutte antiémeute
Deuxièmement, les règles d’interprétation des traités n’appuient pas la restriction
de la portée de l’article II, par. 9, al. d) aux seuls produits chimiques qui sont des agents
de lutte antiémeute. En droit international, un traité doit être interprété «de bonne foi
suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière
de son objet et de son but
L’article II, par. 1, al. a) de la Convention dispose que : «On entend par "armes
chimiques" les éléments ci-après, pris ensemble ou séparément : a) Les produits
43. Certains experts ont affirmé que tout produit chimique employé à des fins de44. Cette interprétation est erronée, pour quatre raisons.45.46».42
présentée dans cet article se fonde sur l’analyse antérieure de cette question par l’auteur, qui a été
présentée pour la première fois à l’occasion du forum ouvert destiné aux organisations non
gouvernementales lors de la première conférence d’examen de la Convention sur les armes chimiques,
en mai 2003, puis, sous forme révisée, dans : David P. Fidler, «Background paper on incapacitating
chemical and biochemical weapons and law enforcement under the Chemical Weapons Convention»,
25 mai 2005, préparé pour un colloque sur les armes biochimiques incapacitantes en juin 2005.
L’interprétation de la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public qui est43
chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains
une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé
l’exposition.»)
Article II, par. 7 de la Convention (qui définit un agent de lutte antiémeute comme «[t]out produit44
other toxic chemicals under the Chemical Weapons Convention»,
Bulletin
Berlin Information and Center for Transatlantic Security Research Note 03.2, avril 2003, p. 4.
Abraham Chayes et Matthew Meselson, «Proposed guidelines on the status of riot control agents andChemical Weapons Convention, No. 35, mars 1997, p. 13; Walter Krutzsch, «‘Non-lethal’ chemicals for law enforcement?»,45
maintien de l’ordre public aux produits qui répondent à la définition des agents de lutte antiémeute,
certains admettent que des doses létales de produits chimiques toxiques peuvent être utilisées pour
administrer la peine de mort. Chayes et Meselson,
Parmi les partisans d’une limitation de la gamme de produits chimiques toxiques utilisés aux fins deop. cit. (note 44), p. 13, et Krutzsch, op. cit.(note 44).
46
des Nation Unies, vol. 1155, p. 331 (ci-après, «Convention de Vienne»).
Article 31, par. 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Recueil des traitésD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
14
e sièclechimiques toxiques et leurs précurseurs, à l’exception de ceux qui sont destinés à des fins
non interdites par la présente Convention, aussi longtemps que les types et quantités en
jeu sont compatibles avec de telles fins». Ainsi, les «produits chimiques toxiques» sont
des armes chimiques, sauf lorsqu’ils sont destinés à des fins non interdites par la
Convention sur les armes chimiques, comme le maintien de l’ordre public. La disposition
relative au maintien de l’ordre public s’applique donc aux «produits chimiques toxiques»
tels que définis à l’article II, par. 2
antiémeute tels que définis à l’article II, par. 7. L’article II, par. 1, al. a) ne mentionne pas
les agents de lutte antiémeute comme limitant les «produits chimiques toxiques» qui
peuvent être utilisés à des fins non interdites par la Convention.
Troisièmement, les agents de lutte antiémeute sont définis comme des produits
chimiques qui ne sont inscrits sur aucun tableau de la Convention sur les armes
chimiques
sont pas interdites, y compris le maintien de l’ordre public, peuvent être inscrits sur les
tableaux 2 et 3 de la Convention. L’Annexe de la Convention sur la vérification stipule
clairement qu’un État partie à la Convention ne peut fabriquer, ni acquérir, conserver ou
utiliser de produits chimiques du tableau 1sauf si, entre autres, «ces produits chimiques
servent à des fins de recherche, à des fins médicales ou pharmaceutiques ou à des fins de
protection
produits chimiques du tableau 1 peuvent être fabriqués, acquis, conservé ou utilisés.
Comme le relèvent Krutzsch et Trapp, l’Annexe sur la vérification concernant les
produits chimiques du tableau 1est plus restrictif que l’article II, par. 9, ce qui signifie
qu’«un produit chimique du tableau 1 ne peut être utilisé à des fins autres que celles
citées, même s’il s’agit de fins pacifiques qui ne sont pas liées à la mise au point, à la
fabrication ou à l’emploi d’une arme chimique
La partie de l’Annexe sur la vérification concernant les produits chimiques du
tableau 1 signifie, par conséquent, que les États parties à la Convention sur les armes
chimiques ne peuvent fabriquer, acquérir, conserver ni utiliser des produits chimiques du
tableau 1 à des fins de maintien de l’ordre public. En revanche, la partie de l’Annexe sur
la vérification concernant les produits chimiques des tableaux 2 et 3 ne restreint pas de la
même manière les fins qui ne sont pas interdites, ce qui signifie que les produits
chimiques toxiques énumérés dans les tableaux 2 ou 3 —qui ne peuvent être de agents de
lutte antiémeute —peuvent être employés à de fins de maintien de l’ordre public.
Quatrièmement, lors des événements de Moscou, l’emploi d’un produit chimique
toxique qui n’est pas un agent de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre public
47, et non pas exclusivement aux agents de lutte48. Les produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des fins qui ne49». Le maintien de l’ordre public n’est pas cité parmi les fins auxquelles les50».47
chimique qui, par son action chimique sur des processus biologiques, peut provoquer chez les êtres
humains ou les animaux la mort, une incapacité temporaire ou des dommages permanents. Cela
comprend tous les produits chimiques de ce type, quels qu’en soient l’origine ou le mode de
fabrication, qu’ils soient obtenus dans des installations, dans des munitions ou ailleurs. (Aux fins de
l’application de la présente Convention, des produits chimiques toxiques qui ont été reconnus comme
devant faire l’objet de mesures de vérification sont énumérés aux tableaux figurant dans l’Annexe sur
les produits chimiques.)»
L’article II, par. 2 de la Convention définit les «produits chimiques toxiques» comme : «[t]out produit48
Art. II, par. 7 de la Convention sur les armes chimiques.49
Ibid., Annexe sur la vérification, Sixième partie, Lettre A, par. 2, al. a).50
Nijhoff Publishers, La Haye, 1994, p. 418 [notre traduction].
Walter Krutzsch et Ralf Trapp, A Commentary on the Chemical Weapons Convention, MartinusD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
15
e siècleapporte un élément de preuve d’une pratique étatique selon laquelle la Convention sur les
armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte antiémeute la gamme des produits
chimiques pouvant être utilisés en vertu de l’article II, par. 9, al. d). Au regard du droit
international, l’interprétation d’un traité peut tenir compte de la pratique ultérieurement
suivie par les États dans l’application de ce traité
donné lieu les événements de Moscou ne comprend pas seulement l’emploi par la Russie
du produit chimique toxique, mais aussi l’acceptation de cet emploi par les autres États
parties à la Convention. Comme l’a noté Mark Wheelis, «la plupart des analystes
considèrent que l’emploi par la Russie d’un dérivé du fentanyl était légal» au regard de
l’article II, par. 9, al. d)
indique que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte
antiémeute la gamme des produits chimiques toxiques qui peuvent être employés à des
fins de maintien de l’ordre public.
51. La pratique étatique à laquelle ont52. Ainsi, le droit international relatif à l’interprétation des traitésLes limitations imposées par la Convention sur les armes chimiques à la
mise au point et à l’emploi des produits chimiques toxiques à des fins de
maintien de l’ordre public
Bien que la Convention sur les armes chimiques ne limite pas aux seuls agents de lutte
antiémeute les produits chimiques toxiques pouvant être employés à des fins de maintien
de l’ordre public, cet emploi est soumis à la condition que les types et les quantités de
produits chimiques mis au point, fabriqués, acquis, stockés, conservés, transférés ou
employés soient compatibles avec ces fins autorisées
la mise au point, la possession et l’emploi de produits chimiques toxiques aux fins de
maintien de l’ordre public ne sapent pas l’interdiction, par la Convention sur les armes
chimiques, de la mise au point et de l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins
militaires. Tout comme pour d’autres dispositions de ce traité, ces règles doivent être
interprétées de bonne foi pour que leur sens ordinaire soit établi à la lumière de leur
contexte et de l’objet et du but du traité.
La règle sur les «types et quantités» exige que soit examinée la relation entre le
produit chimique employé et l’objectif y relatif en matière de maintien de l’ordre public.
Plus il est difficile de maîtriser les effets d’un produit chimique employé dans une
opération de maintien de l’ordre public, plus il est permis de douter que le type ou la
quantité de l’agent en question soit conforme à un but de maintien de l’ordre public. Cette
53. Ces restrictions garantissent que51
Art. 31, par. 3, al. b) de la Convention de Vienne.52
p. 6, p. 8 [notre traduction]. Cette analyse ne suggère pas que la pratique d’un État dans un incident
donné pourrait régler des questions d’interprétation soulevées par la Convention sur les armes
chimiques, mais la pratique étatique suscitée par la prise d’otages de Moscou est un cas important de
pratique étatique au regard de l’article II, par. 9, al. d).
Mark Wheelis, «Will the new biology lead to new weapons?» Arms Control Today, juillet-août 2004,53
doit non seulement apporter la preuve que la fabrication ou le stockage d’un produit chimique donné se
fondait sur une intention licite, mais aussi que le produit chimique est bien d’un type
compatible/conforme à l’intention visée, et que sa quantité correspond bien à l’objectif spécifié.»
Krutzsch et Trapp,
Art. II, par. 1, al. a) de la Convention sur les armes chimiques. Selon Krutzsch et Trapp, «un État partieop. cit. (note 50), p. 27 [notre traduction].D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
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e siècleinterprétation va dans le sens des préoccupations exprimées au sujet des décès causés à
Moscou par l’emploi d’un produit chimique incapacitant
54.Situations extrêmes de maintien de l’ordre public
L’emploi de produits chimiques incapacitants dans des contextes où il est impossible de
maîtriser le dosage individuel et les conditions d’exposition n’est donc légitime que dans
des situations extrêmes. Les situations extrêmes en matière de maintien de l’ordre public
sont celles où le gouvernement est confronté à la nécessité de recourir à une force
potentiellement létale pour résoudre des situations urgentes et où des vies sont en danger,
parce que les moyens moins violents et moins dangereux de résoudre les problèmes ont
échoué. La crise de Moscou pouvait être qualifiée de situation extrême de maintien de
l’ordre public
pas un agent chimique incapacitant par sa nature ou par son dosage conformément à des
fins de maintien de l’ordre public s’il ne peut en maîtriser ni le dosage, ni les conditions
d’exposition.
Le droit international relatif aux droits de l’homme, en tant que corpus pertinent de
droit international selon les règles d’interprétation des traités
Dans des situations extrêmes de maintien de l’ordre public, les gouvernements qui
envisagent de recourir à des produits chimiques incapacitants doivent faire face à
l’obligation de protéger le droit à la vie
priver arbitrairement de la vie les personnes relevant de leur juridiction
international des droits de l’homme n’autorise aucune dérogation à cette obligation,
même en cas de danger public exceptionnel
Les organisations de défense des droits de l’homme ont accusé la Russie d’avoir
violé le droit à la vie en ne fournissant pas des services médicaux suffisants aux otages
55. En l’absence d’une telle situation extrême, un gouvernement n’emploie56, appuie cette conclusion.57. Cette obligation interdit aux gouvernements de58, et le droit59.54
partie du bâtiment était difficile à maîtriser, les effets d’une concentration donnée de fentanyl sur telle
ou telle personne particulièrement vulnérable ne pouvaient être connus, et il est extrêmement difficile
de distinguer entre les effets incapacitants et les effets létaux du produit, en d’autres termes de fixer la
limite entre la dose induisant une perte de connaissance et la dose provoquant l’arrêt de la respiration.»
Malcolm Dando, «The danger to the Chemical Weapons Convention from incapacitating chemicals»,
First CWC Review Conference Paper No. 4, mars 2003, p. 4 [notre traduction].
«Comme pour tout produit chimique incapacitant, la concentration de fentanyl dans n’importe quelle55
droit international n’interdit pas l’emploi d’une force potentiellement létale dans des opérations visant
à libérer des otages, mais il exige que cette force soit •absolument nécessaire’ et que toutes les
précautions soient prises, tant dans la planification que dans l’exécution de telles opérations, pour
réduire au minimum les pertes en vies civiles.» Human Rights Watch,
traduction].
Comme l’a relevé Human Rights Watch dans ses commentaires sur la crise des otages à Moscou, «leop. cit. (note 32) [notre56
contexte : (...) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les
parties»).
Art. 31, par. 3, al. c) e la Convention de Vienne («Il sera tenu compte, en même temps que du57
Nations Unies, doc. Nations Unies A/810, 1948, p. 71; art. 6 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, rés. 2200 A (XXI),
16 décembre 1966, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 999, p. 186.
Art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, rés. 217 A (III) de l’Assemblée générale des58
des observations générales ou recommandations générales adoptées par les organes créés en vertu
d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (Note du secrétariat),
HRI/GEN/1/Rev. 7, 12 mai 2004, p. 141.
Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 6 : Article 6 (droit à la vie), in Récapitulationdoc. Nations Unies59
Art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
17
e sièclequi avaient été sauvés et qui ont succombé au fentanyl
dosage ou le conditions d’exposition lorsque des produits chimiques incapacitants sont
employés dans des situations de maintien de l’ordre public extrêmes et urgentes exacerbe
la responsabilité des autorités de veiller à ce que toutes les précautions soient prises pour
réduire au minimum les dommages causés aux personnes innocentes et de fournir des
soins médicaux immédiats aux personnes exposées et qui pourraient subir de effets
néfastes
60. L’incapacité de maîtriser le61.La détention de personnes aux fins de maintien de l’ordre public
Cette interprétation signifie que la condition limitative touchant les «types et quantités»
au sujet de l’emploi de produits chimiques incapacitants dans des situations de maintien
de l’ordre public qui ne sont pas des situations extrêmes exige des États parties à la
Convention sur les armes chimiques qu’ils maintiennent une stricte maîtrise sur le dosage
du produit et sur les conditions d’exposition à ce produit
les autorités responsables du maintien de l’ordre doivent avoir la garde physique de la
personne en question. Conformément aux règles sur l’interprétation des traités, la règle
sur les «types et quantités» doit être interprétée à la lumière du droit international
pertinent applicable aux relations entre les États
l’ordre public qui exige la garde physique de personnes requiert nécessairement que soit
pris en considération le droit international des droits de l’homme
relatif aux droits civils et politiques traite directement des activités de maintien de l’ordre
public
droits de l’homme limite considérablement les contextes dans lesquels les autorités
responsables du maintien de l’ordre pourraient recourir à des produits chimiques
incapacitants contre des personnes détenues.
Le droit international des droits de l’homme interdit la torture ainsi que les autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et n’autorise aucune dérogation à
62. Cette maîtrise signifierait que63. Ainsi, une situation de maintien de64. Le droit international65. Une lecture de la règle sur les «types et quantités» à la lumière du droit des60
Human Rights Watch, op. cit. (note 32).61
incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public : «La décision d’utiliser une substance pour
provoquer un état d’inconscience calme ou profonde implique de connaître les antécédents médicaux
du sujet, et notamment l’utilisation de tout médicament prescrit ou non, ainsi que toute information
pertinente sur l’état de santé de la personne. Une telle décision entraîne aussi une responsabilité
considérable en termes d’assistance immédiate et de suivi après l’incident.» Cité par Lewer et Davison,
Le gouvernement britannique a déclaré, au sujet de l’emploi éventuel de produits chimiquesop. cit.
(note 11), p. 52.62
dangereux de dépression respiratoire (en d’autres termes, calmer tout en maintenant la conscience)
exige un contrôle strict du dosage.»
Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology, National Academies
Press, Washington, D.C., 2003, p. 27 [notre traduction].
«Obtenir le niveau souhaité de modification du comportement psychique sans provoquer un niveauAn Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,63
Art. 31, par. 3, al. c) de la Convention de Vienne.64
droits de l’homme ait été formulé, ce qui rend d’autant plus légitime la référence à ce droit pour
interpréter la disposition de la Convention concernant le maintien de l’ordre public.
La Convention sur les armes chimiques a été négociée bien après que le droit international relatif aux65
privation arbitraire de la vie et règles relatives à la peine de mort), 7 (interdiction de la torture et des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants), 9-10 (règles relatives à la privation de liberté)
et 14-15 (règles sur l’accusation et les poursuites contre les personnes soupçonnées d’infraction
pénale).
Voir, p. ex., le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 6 (interdiction de laD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
18
e sièclecette interdiction
d’un produit chimique incapacitant contre des personnes détenues constituerait un
traitement dégradant et pourrait, selon la gravité des effets physiologiques de la substance
chimique, constituer un traitement cruel ou inhumain, voire une torture
consentement et à des fins autres que thérapeutiques de produits psychotropes et d’autres
types de produits chimiques contre des personnes détenues est condamné depuis
longtemps par des États, des organisations internationales et des organisations non
gouvernementales de défense des droits de l’homme. Les seuls contextes dans lesquels
l’administration non consensuelle et non thérapeutique d’un produit chimique
incapacitant à une personne détenue pourrait être compatible avec le droit des droits de
l’homme seraient les situations dans lesquelles la personne détenue représente une
menace immédiate et violente pour sa propre sécurité physique (par exemple, tentative de
suicide) ou pour la sûreté et l’ordre au sein de l’établissement de détention (par exemple,
attaque contre les gardiens ou participation à des émeutes).
On le voit, les fins de maintien de l’ordre public auxquelles des produits chimiques
incapacitants pourraient être légitimement utilisés sont très limitées en vertu de la règle
de la Convention sur les armes chimiques touchant les «types et quantités». Le facteur
crucial de cette interprétation est la pertinence du droit international des droits de
l’homme pour déterminer les types et quantités de produits chimiques incapacitants qui
peuvent être légitimement utilisés à des fins de maintien de l’ordre public liées à la
détention des personnes.
66. L’emploi sans consentement et à des fins autres que thérapeutiques67. L’emploi sansRésumé : les limites posées par la Convention sur les armes chimiques à la mise au point
et à l’emploi de produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public
De manière générale, la règle sur les «types et quantités» limite de manière notable la
capacité d’un État partie à la Convention sur les armes chimiques de mettre au point et
d’employer des produits chimiques incapacitants à des fins de maintien de l’ordre public,
que ces fins concernent des groupes de personnes ou des individus détenus. La «lacune»
juridique de l’article II, par. 9, al. d) n’est donc pas, en réalité, aussi dangereuse que le
craignaient certains opposants des armes «non létales». La Convention sur les armes
chimiques, telle que complétée par le droit international des droits de l’homme, fixe des
limites strictes à la mise au point et à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des
fins de maintien de l’ordre public. Le fait de recourir au droit international des droits de
l’homme pour interpréter la restriction des «types et quantités» est conforme aux objectifs
éthiques invoqué par les tenants des armes «non létales» pour justifier leur intérêt à
l’égard des produits chimiques incapacitants. Les tenants des armes «non létales»
manqueraient de cohérence, du point de vue éthique, s’ils rejetaient l’application des
normes des droits de l’homme à l’emploi de produits chimiques incapacitants à des fins
de maintien de l’ordre public. Ainsi, les positions des tenants et des adversaires de ces
armes convergent pour ce qui est de l’interprétation de la règle des «types et quantités»
présentée plus haut.
66
relatif aux droits civils et politiques.
Art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; art. 4, par. 2 et 7 du Pacte international67
l’homme dans Fidler,
On trouvera une analyse détaillée de ces questions relatives au droit international des droits deop. cit. (note 42), pp. 33-44.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
19
e siècleLe sens du «maintien de l’ordre public»
La deuxième grande question soulevée par l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) au
lendemain des événements de Moscou concerne la portée de l’expression «maintien de
l’ordre public». Le consensus sur le fait que l’emploi du fentanyl par les autorités russes
répondait bien à des fins de maintien de l’ordre public a suscité inquiétudes et confusion
sur la question de savoir jusqu’où allait cette notion en ce qui concerne l’emploi de
produits chimiques incapacitants. Pour reprendre la formulation de Malcolm Dando, «la
question est de savoir où s’arrête la notion de maintien de l’ordre et où débute celle de
moyen de guerre
du «maintien de l’ordre public», ce qui oblige une nouvelle fois à interpréter le traité. La
question fondamentale consiste à savoir si la notion doit être interprétée strictement ou
largement
l’ordre public» englobe les activités concernant le droit international.
68». La Convention sur les armes chimiques ne donne pas de définition69. Comme on le verra ci-dessous, il s’agit aussi de décider si le «maintien deLe maintien de l’ordre public sur le plan national
Qu’entend-on par «maintien de l’ordre public» ? Il s’agit généralement de faire respecter
la loi
le plan national, le respect des lois qui s’appliquent aux activités menées sur le territoire,
ou sous la juridiction d’un État souverain. L’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur
les armes chimiques traite donc du maintien de l’ordre public sur le plan national. Il
autorise l’emploi de doses létales de produits chimiques toxiques pour appliquer la peine
capitale, une fonction d’application de la loi qui relève de la compétence de l’État. En
outre, cet article permet l’emploi de produits chimiques toxiques à «des fins de maintien
de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur». Le membre de
phrase «y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur» illustre un type d’activité de
maintien de l’ordre public autorisé par l’article II, par. 9, al. d), et focalise l’attention sur
le maintien de l’ordre public à l’intérieur des frontières ou de la juridiction d’un État
L’emploi du fentanyl par la Russie a eu lieu sur son territoire, en réponse à des actes
violents et criminels. Bien que l’article II, par. 9, al. d) concerne le maintien de l’ordre
public sur le territoire d’un État souverain, deux questions subsistent : cet article autoriset-
il l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale
en dehors des limites de la juridiction nationale, et pour faire respecter le droit
international ?
70; l’«ordre public», dans son acception ordinaire, désigne le plus souvent l’ordre sur71.68
armes chimiques : le problème des armes non létales»,
Malcolm Dando, «Les réalisations scientifiques et techniques et l’avenir de la Convention sur lesForum du Désarmement, 2002, pp. 33-34.69
l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur’ peut être interprété comme signifiant
qu’il existe des luttes antiémeute autres que sur le plan intérieur. Or, cette lutte antiémeute •non
intérieure’ devrait être un moyen de •maintien de l’ordre public’ accepté sur le plan international.»
Krutzsch et Trapp,
Krutzsch et Trapp ont explicité cette alternative : «Le membre de phrase •[d]es fins de maintien deop. cit. (note 50), p. 42, note 45 [notre traduction].70
Shorter Oxford English Dictionary, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 820.71
l’intérieur du territoire sur lequel ils exercent leur souveraineté. Voir Davison et Lewer 2004,
La pratique des États révèle un emploi fréquents d’agents de lutte antiémeute par les gouvernements àop. cit.(note 11), pp. 34-35 (qui recense les cas d’emploi d’agents de lutte antiémeute dans le monde afin de
contenir des foules).
D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
20
e siècleL’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter la législation nationale audelà
de la juridiction nationale
Afin d’établir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques toxiques
pour faire respecter la législation nationale au-delà de la juridiction nationale, il faut
examiner les règles de droit international en la matière. Il ressort clairement de ces règles
que la Convention sur les armes chimiques n’autorise pas un tel emploi.
En droit international, un État ne peut faire respecter une loi que s’il détient une
compétence normative à son égard
autorisent un État à adopter des lois concernant des personnes, des comportements et des
activités situés hors des frontières de sa juridiction. Le droit international sur la
compétence d’exécution définit en revanche des limites plus strictes : «Il est
universellement reconnu, à titre de corollaire de la souveraineté de l’État, que les
fonctionnaires d’un État ne peuvent exercer leurs fonctions sur le territoire d’un autre
État sans le consentement de celui-ci
position : premièrement, le principe de la souveraineté et de l’égalité souveraine des
États
d’un autre État
prises dans la juridiction d’un autre État sans son consentement.
Ces règles signifient que l’article II, par. 9, al. d) autorisent un État partie à
employer des produits chimiques toxiques à des fins de maintien de l’ordre public
uniquement dans des lieux relevant de sa juridiction. Au regard du droit international sur
la compétence d’exécution, cet article ne saurait être interprété comme autorisant un État
partie à utiliser un produit chimique toxique pour faire respecter sa législation nationale
dans des zones soumise à la juridiction d’un autre État. Un tel emploi ne serait légitime
que dans des cas où 1) l’État partie à la Convention ayant la compétence territoriale aurait
autorisé l’emploi de produits chimiques toxiques; 2) l’autorisation porterait sur un emploi
à des fins de maintien de l’ordre public; et 3) l’emploi serait conforme à l’exigence
relative aux «types et quantités
Les règles internationales sur la compétence d’exécution démontrent que le sens
usuel de l’expression «maintien de l’ordre public» utilisée à l’article II, par. 9, al. d)
72. Les règles relatives à la compétence normative73.» Deux principes fondamentaux étayent cette74, et deuxièmement le principe qui interdit l’ingérence dans les affaires intérieures75. Des mesures destinées à faire respecter le droit pénal ne peuvent être76».72
American Law Institute Publishers, St. Paul, 1986, par. 431(1). En droit international, un État exerce
sa compétence normative sur : 1) des comportements, des personnes ou des activités qui se situent en
totalité ou en grande partie sur son territoire ou dans des zones relevant de sa juridiction; 2) les
activités, les intérêts, le statut ou le relations de ses ressortissants à l’extérieur comme à l’intérieur de
son territoire et des zones soumises à sa juridiction; et 3) les comportements hors de son territoire ou
des zones soumises à sa juridiction a) qui ont ou qui sont destinées à avoir un effet substantiel sur son
territoire, et b) par des personnes qui ne sont pas ses ressortissants, qui visent à porter atteinte à la
sûreté de l’État ou à une catégorie limitée d’autres intérêts de l’État.
telle base, cependant, l’exercice de la compétence doit en outre être raisonnable.
American Law Institute, Restatement (Third) of the Foreign Relations Law of the United States,Ibid. par. 402. Même avec uneIbid., par. 403.73
Ibid., p. 329 [notre traduction].74
Art. 2, par. 1 de la Charte des Nations Unies.75
Ibid., art. 2, par. 7.76
opérations navales (
d’un agent de lutte antiémeute en temps de paix est admissible «hors d’une base militaire à des fins de
maintien de l’ordre s’il est spécifiquement autorisé par le gouvernement hôte». Steven F. Day, «Legal
considerations in noncombatant evacuation operations»,
[notre traduction].
La pratique des États-Unis reflète cette interprétation. Le manuel du commandant sur le droit desCommander’s Handbook on the Law of Naval Operations) indique que l’emploiNaval Law Review, Vol. 40, 1992, p. 45, p. 60D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
21
e siècleinclut l’application de la loi nationale sur le propre territoire de l’État ou dans des zones
soumises à sa juridiction. L’expression «maintien de l’ordre public», dans son acception
usuelle, exclut l’application extraterritoriale du droit national, parce qu’une telle
application dépend entièrement du consentement d’un autre État.
L’emploi de produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit international
La question de savoir si l’article II, par. 9, al. d) autorise l’emploi de produits chimiques
toxiques pour faire respecter le droit international a aussi été soulevée
de l’expression «maintien de l’ordre public», dans le cadre de l’objet et de la portée de la
Convention sur les armes chimiques, inclut-il l’application du droit international ?
Considérer que la notion de «maintien de l’ordre public» formulée à l’article II,
par. 9, al. d) inclut le droit international exigerait une conception peu orthodoxe de la
relation entre le droit international et les mesures d’application du droit. La question de
savoir si le droit international est exécutoire est un débat ancien, et de ce fait il paraît bien
peu plausible d’inclure ce droit dans la notion usuelle de «maintien de l’ordre public». La
nature décentralisée et anarchique des relations internationales complique son
application, d’où la controverse : le droit international contient peu de mécanismes
centralisés qui permettraient à des États d’en contraindre d’autres à le respecter. Comme
indiqué dans
en ce qui concerne les moyens à disposition pour faire respecter ses règles
conséquent, et étant donné la relation générale qui existe entre le droit international et son
application, il serait peu crédible d’affirmer que le sens usuel du «maintien de l’ordre»
englobe le droit international au même titre que le droit national.
Le respect du droit international est aussi soumis aux principes qui régissent la
manière dont les États devraient traiter les différends relatifs à des violations du droit
international. Le règlement pacifique des différends est un principe d’application
générale
la violence et aux armes. Les États peuvent prendre des contre-mesures pacifiques (des
sanctions économiques, par exemple) afin d’essayer de contraindre un autre État à
respecter ses obligations découlant du droit international. Le règlement pacifique des
différends n’englobe cependant pas l’emploi de produits chimiques toxiques pour faire
respecter le droit international. Rien, en droit international, ne justifie l’emploi par un
État de produits chimiques toxiques pour obliger un autre État à respecter le droit
international.
77. Le sens ordinaireOppenheim’s International Law, le droit international présente des carences78. Par79, selon lequel les États doivent régler leurs différends sans recourir à la force, àLe maintien de l’ordre public et le droit de recourir à la force en cas de légitime défense
On pourrait arguer qu’un État partie à la Convention sur les armes chimiques serait en
droit d’utiliser des produits chimiques toxiques, en application de la disposition sur le
maintien de l’ordre public, dans l’exercice de son droit inhérent à la légitime défense
contre une attaque armée ou une autre forme d’agression illégale par des parties étatiques
77
explicitement quelles sources de droit les États pourraient faire respecter en invoquant l’article II,
par. 9, al. d). Il semble donc possible que les États pourraient souhaiter invoquer le droit international
pour justifier leurs activités •de maintien de l’ordre public’.» Chayes et Meselson,
p. 15 [notre traduction].
Comme l’ont relevé Chayes et Meselson, la Convention sur les armes chimiques «n’indique pasop. cit. (note 44),78
Oppenheim’s International Law, 9e éd., Longmans, Londres, 1992, p. 11.79
Art. 2, par. 3 et 4 et art. 33, par. 1 de la Charte des Nations Unies.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
22
e siècleou non étatiques. En d’autres termes, l’emploi par un État de produits chimiques toxiques
ferait partie de la mise en oeuvre des règles juridiques internationales prohibant le recours
à la force. Or rien, en droit international, n’étaye cette argumentation. La légitime défense
est un droit inhérent des États, et non un mécanisme de «maintien de l’ordre public
Qui plus est, le texte de la Convention sur les armes chimiques, son contexte, son
objet et sa raison d’être servent l’objectif d’éliminer l’emploi des produits chimiques
toxiques dans les conflits armés. Autoriser l’emploi de produits chimiques toxiques dans
le cadre du droit à la légitime défense contre une agression reviendrait à autoriser
l’emploi des armes chimiques dans un conflit armé; c’est précisément là ce que la
Convention sur les armes chimiques interdit. Le même raisonnement s’applique aux
conflits armés menés par les forces armées d’un État hors de son territoire, que ces
opérations concernent des interventions collectives de sécurité autorisées par le Conseil
de sécurité de l’ONU, des interventions humanitaires ou des mesures de légitime défense
préventives.
80».Activités extraterritoriales de maintien de l’ordre public menées par des forces armées et
autorisées par le droit international
Ainsi, l’article II, par. 9, al. d) n’autorise pas les États parties à la Convention sur les
armes chimiques à employer des produits chimiques toxiques pour faire respecter le droit
international. Le droit international autorise cependant certaines activités
extraterritoriales de maintien de l’ordre public par des forces armées, dans des opérations
militaires tant traditionnelles que non traditionnelles. Ces activités sont couvertes par
l’article II, par. 9, al. d).
Le droit international reconnaît un certain nombre de situations dans lesquelles des
forces militaires mènent des activités de maintien de l’ordre en relation avec des
opérations militaires de type traditionnel. Ces situations sont généralement liées au
maintien de l’ordre et de la sécurité publics dans des zones placées sous l’autorité de
forces militaires. En premier lieu, le droit international humanitaire reconnaît la
responsabilité de la Puissance occupante « d’assurer l’administration régulière du
territoire
disposition conférait à la puissance occupante des pouvoirs «en sa qualité de Puissance
responsable de l’ordre et de la vie publics
et de la sécurité publics peut inclure, par exemple, des activités destinées à contenir des
foules civiles afin d’empêcher des désordres dans le territoire occupé.
Deuxièmement, le droit international humanitaire autorise aussi les forces
occupantes à assurer la sécurité de leurs membres et de leurs biens, de l’administration
d’occupation, ainsi que des établissements et des lignes de communications utilisés par
elle
et à faire appliquer une législation pénale afin de protéger leurs soldats, leurs
administrateurs, leurs bâtiments, leurs lignes de communication, leur matériel et d’autres
81». Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a relevé que cette82». L’exercice de cette responsabilité de l’ordre83. Les forces d’occupation sont donc autorisées, en droit international, à promulguer80
Ibid., art. 51.81
12 août 1949, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 75, p. 287 (ci-après, «CG IV»).
Art. 64, Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre,82
de Genève
p. 362.
Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, IV : La Conventionrelative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, CICR, Genève, 1956,83
Art. 64, CG IV.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
XXI
23
e siècletypes de biens contre les problèmes ou les menaces dues aux non-combattants dans le
territoire occupé
Troisièmement, le droit international humanitaire reconnaît qu’outre les lois du
territoire occupé, la puissance occupante peut faire respecter des lois qu’elle promulgue
elle-même conformément aux responsabilités qui lui incombent en vertu du droit
international relatif à l’occupation
des armes de maintien de l’ordre comme les agents de lutte antiémeute, qui sont
employés pour maîtriser des foules civile et pour sauvegarder l’ordre et la sécurité
publics.
Quatrièmement, le droit international humanitaire autorise les forces militaires à
réglementer le comportement des prisonniers de guerre
faire respecter des lois, des règlements et des ordonnances concernant les prisonniers de
guerre
circonstances extrêmes telles que des tentatives de fuite
appropriées aux circonstances soient restées sans réponse. Selon le CICR, la puissance
détentrice peut recourir à la force contre des prisonniers de guerre qui se rebellent ou se
mutinent : «Avant de faire usage de leurs armes de guerre, les sentinelles peuvent utiliser
d’autres moyens ne causant pas de blessures mortelles et que l’on peut à la rigueur
considérer comme des sommations, tels que l’emploi de gaz lacrymogènes, matraques,
etc.
Ces quatre contextes dans lesquels le droit international reconnaît la légitimité
d’activités extraterritoriales de maintien de l’ordre par les forces militaires montrent que
l’article II, par. 9, al. d) de la Convention sur les armes chimiques englobe ces activités.
Cette interprétation couvre certaines des circonstances dans lesquelles les États-Unis
revendiquent la possibilité d’employer des agents de lutte antiémeute dans des situations
militaires, à savoir : 1) dans des zones se trouvant sous le contrôle militaire direct et
distinct des États-Unis, y compris pour maîtriser des mutineries de prisonniers de guerre,
et 2) dans des zones situées à l’arrière du front, pour protéger les convois contre les
troubles civils
L’analyse qui précède s’applique aussi aux activités militaires non traditionnelles
telles que les opérations de maintien de la paix, reconnues comme légitimes en droit
84.85. Ces pouvoirs peuvent comprendre des techniques et86. Les forces militaires peuvent87 et peuvent utiliser des armes contre des prisonniers de guerre dans des88, après que des sommations89»90.84
puissance occupante dans un rapport sur les armes «non létales» financé par le Council on Foreign
Relations. En réponse à l’invasion par des civils d’une base militaire occupée par l’armée américaine à
Bagdad, et à la tentative de pillage, le personnel militaire américain a employé diverses armes «non
létales», dont un agent de lutte antiémeute — le gaz poivré — pour évacuer les civils du bâtiment.
Independent Task Force,
Foreign Relations, 2004, p. 51. Voir aussi Davison et Lewer 2005,
(décrivant l’emploi de divers agents de lutte antiémeute dans des opérations militaires des États-Unis
en Irak et en Afghanistan).
On trouve un exemple de l’emploi d’un agent de lutte antiémeute pour protéger les biens de laNon-Lethal Weapons and Capabilities, Washington, D.C., Council onop. cit. (note 11), pp. 22-2485
CG IV, art. 64 à 78.86
1949, Recueil de Traités des Nations Unies, vol. 75, p. 135 (ci-après, «CG III»).
Art. 41 et 82, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août87
Art. 82, CG III.88
Art. 42, CG III.89
Genève relative au traitement des prisonniers de guerre,
Jean S. Pictet (éd.), Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire, III : La Convention deCICR, Genève, 1958, p. 262.90
États-Unis, Executive Order 11850, Federal Register, Vol. 40, 1975, p. 161, par. (a), (d).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e siècleinternational. Les opérations militaires non traditionnelles sont reconnues légitimes en
droit international si elles sont conduites 1) en réponse à une demande d’envoi de forces
de maintien de la paix émanant d’un État souverain, et 2) en tant qu’opérations de
maintien de la paix autorisées par le Conseil de sécurité de l’ONU en vertu du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Les forces militaires menant des opérations de maintien de la paix se trouvent
souvent responsables de la sécurité et du maintien de l’ordre public pour des populations
civiles. Elles peuvent être amenées à faire respecter la loi (par exemple en arrêtant des
personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre ou en libérant des otages),
et elles peuvent faire face à des menaces causées par l’action de non-combattants contre
la sécurité de leur personnel et de leur matériel
auxquelles sont confrontées les forces armées face aux populations civiles durant des
opérations de maintien de la paix qui ont motivé en partie l’intérêt des militaires à l’égard
des armes «non létales» au cours des dix dernières années
Ainsi, la Convention sur les armes chimiques autorise l’emploi par les forces
armées d’agents de lutte antiémeute à des fins de maintien de l’ordre lors d’opérations
militaires non traditionnelles autorisées par le droit international. Cette interprétation est
conforme aux revendications des États-Unis, selon lesquels leurs forces armées peuvent
recourir légitimement aux agents de lutte antiémeute dans les contextes suivants :
1) opérations militaires menées en temps de paix dans une zone de conflit armé en cours
lorsque les États-Unis ne sont pas parties au conflit; 2) opérations de maintien de la paix
autorisées par l’État hôte, y compris opérations de maintien de la paix menées
conformément au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies; et 3) opérations de
maintien de la paix dans lesquelles l’emploi de la force est autorisé par le Conseil de
sécurité de l’ONU en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies
Cette interprétation, toutefois, n’étaye pas la position des États-Unis selon laquelle
ils seraient en droit d’utiliser des agents de lutte antiémeute contre des forces
combattantes dans les opérations militaires non traditionnelles énumérées ci-dessus
types d’activités de maintien de l’ordre que le droit international autorise des forces
militaires à entreprendre dans des opérations militaires traditionnelles et non
traditionnelles concernent des contacts entre troupes militaires et des non-combattants —
prisonniers de guerre ou civils —, et non des affrontements entre forces combattantes.
L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) telle que présentée ci-dessus a deux
conséquences qui méritent d’être soulignées. Premièrement, elle signifie que dans des
situations extrêmes de maintien de l’ordre, les forces militaires qui mènent hors de leur
territoire national des activités de maintien de l’ordre autorisées par le droit international
91. Ce sont d’ailleurs les difficultés92.93.94. Les91
au Kosovo en mars 2004, l’Allemagne a annoncé son intention d’équiper ses troupes de maintien de la
paix d’agents de lutte antiémeute. Davison et Lewer 2004,
les forces armées françaises ont employé des agents de lutte antiémeute contre des civils qui
protestaient violemment contre l’intervention militaire française faisant suite à une attaque lancée par
l’aviation du pays contre les forces françaises de maintien de la paix. Davison et Lewer 2005,
Après s’être trouvée dans l’incapacité d’empêcher que des foules violentes attaquent des monastèresop. cit. (note 11), p. 34. En Côte d’Ivoire,op. cit.(note 11), p. 53.
92
Fidler, op. cit. (note 2), p. 58.93
US Senate Executive Resolution No. 75 – Relative to the Chemical Weapons Convention,Congressional Record
, Vol. 143, p. S3373-01, 17 avril 1997, par. 26A.94
Ibid.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e siècledans le cadre d’opérations militaires traditionnelles et non traditionnelles pourraient ne
pas être limitées à l’emploi d’agents de lutte antiémeute. La pratique des États suggère
cependant que la Convention sur les armes chimiques est plus restrictive en ce qui
concerne l’emploi par les forces militaires de produits chimiques toxiques dans de telles
activités. Qui plus est, les États parties à la Convention sur les armes chimiques — les
États-Unis y compris — n’ont jamais employé, ni revendiqué le droit d’employer, des
produits chimiques autres que des agents de lutte antiémeute dans les types d’activités de
maintien de l’ordre autorisées par le droit international dans des opérations militaires
traditionnelles et non traditionnelles
deux facteurs : premièrement, ces activités sont extraterritoriales et ne bénéficient donc
pas de la latitude que le droit international reconnaît aux gouvernements sur leur propre
territoire; et 2) elles sont menées par des forces armées. L’objet et la raison d’être de la
Convention sur les armes chimiques signifient que les activités militaires
extraterritoriales au cours desquelles sont employés des produits chimiques toxiques
exigent un degré de surveillance accru et des mesures de sauvegarde supplémentaires.
La deuxième conséquence de l’interprétation ci-dessus de l’article II, par. 9, al. d)
est qu’elle couvre un grand nombre, mais pas la totalité, des emplois d’agents de lutte
antiémeute que les États-Unis affirment être autorisés par la Convention sur les armes
chimiques. Elle ne couvre pas deux situations dans lesquelles les États-Unis considèrent
que l’emploi d’agents de lutte antiémeute est légalement acceptable : 1) les situations
dans lesquelles des civils sont employés pour dissimuler ou camoufler des attaques et où
il est possible de limiter, voire de réduire à zéro, le nombre de victimes civiles; et 2) les
missions de sauvetage dans des zones éloignées d’équipages et de passagers d’avions
abattus, et de prisonniers de guerre en fuite
celles dans lesquelles les forces armées peuvent s’engager dans les types d’activité de
maintien de l’ordre sanctionnées par le droit international.
L’emploi d’agents de lutte antiémeute contre des combattants ennemis qui tentent
de capturer l’équipage et les passagers d’avions abattus, ou contre des prisonniers de
guerre en fuite, ou contre des combattants ennemis qui emploient des civils comme
boucliers humains ou pour dissimuler des attaques, ressemble davantage à une méthode
de guerre qu’à un objectif de maintien de l’ordre public. Aucun de ces actes ne répond au
type d’activité de maintien de l’ordre entreprises par des forces militaires et autorisées
95, 96. Cette interprétation plus restrictive s’appuie sur97. Ces deux situations ne sont pas similaires à95
antiémeute en Irak en 2003, dans les circonstances spécifiées par le décret-loi (Executive Order)
11850. Neil Davison et Nicholas Lewer,
Report No. 4,
n’emploieraient des agents de lutte antiémeute en Irak qu’à des fins de maîtrise d’émeutes. Davison et
Lewer 2004,
Le président Bush a autorisé les forces armées des États-Unis à employer des agents de lutteBradford Non-Lethal Weapons Research Project Research2003, p. 13. Les autorités militaires britanniques ont indiqué en mars 2003 qu’ellesop. cit. (note 11), p. 34.96
que les produits malodorants, dans la catégorie des agents de lutte antiémeute. C’est ce qu’ont fait les
États-Unis (Davison et Lewer 2003,
pour des produits chimiques incapacitants plus puissants. Comme le relève un rapport du National
Research Council, «l’emploi de produits sédatifs a (...) été envisagé par rapport à des situations de
prise d’otages et pour traiter des prisonniers •ingérables’, mais pas pour des situations d’émeute dans
lesquelles les personnes rendues inconscientes risqueraient d’être piétinées ou écrasées par les
émeutiers». Committee for an Assessment of Non-Lethal Weapons Science and Technology,
Cette situation représente une incitation à tenter de faire entrer de nouveaux composés chimiques, telsop. cit. (note 95), p. 10). Ce procédé, toutefois, ne peut être utiliséop. cit.(note 62), p. 27 [notre traduction].
97
États-Unis, Executive Order 11850, op. cit. (note 90), par. (b)-(c).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e sièclepar le droit international. L’interprétation présentée ici de l’article II, par. 9, al. d) est
conforme aux principes de l’interprétation des traités, parce qu’elle fait la distinction
entre les objectifs de maintien de l’ordre public autorisés par l’article II, par. 9, al. d) et
les méthodes de guerre interdites par l’article premier, par. 5.
Le maintien de l’ordre public et la répression des insurrections
Les opérations de répression de l’insurrection en Irak ont soulevé la question de savoir si
les forces armées pouvaient utiliser dans ce cadre des agents de lutte antiémeute ou des
produits chimiques incapacitants. En d’autres termes, peut-on considérer les activités de
lutte contre l’insurrection menées par des forces militaires comme des opérations menées
à des fins de maintien de l’ordre public aux termes de l’article II, par. 9, al. d) ? Le
contexte de l’insurrection pose des problèmes conceptuels, car il est à cheval entre les
notions traditionnelles de conflit armé entre États et de maintien de l’ordre à l’intérieur
d’un État. Les situations d’insurrection et de violences civiles organisées à grande échelle
ont posé par le passé des difficultés en termes de droit international humanitaire, comme
le montrent les controverses qui ont entouré la négociation du Protocole additionnel II sur
les conflits armés non internationaux. Il n’est donc pas surprenant que les situations
insurrectionnelles créent des problèmes en ce qui concerne l’interprétation de l’article II,
par. 9, al. d).
Les règles du droit international humanitaire sur les conflits armés non
internationaux s’appliquent aux conflits qui se déroulent sur le territoire d’un État entre
des forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui
exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des
opérations militaires continues et concertées
entre le conflit armé et le maintien de l’ordre à l’intérieur d’un État. Ainsi, le Protocole
additionnel II est une source pertinente en ce qui concerne les règles applicables pour
l’interprétation de l’article II, par. 9, al. d).
Une action militaire menée contre des insurgés qui exercent un contrôle sur une
partie du territoire d’un État et qui mènent des opérations militaires continues et
concertées constitue un conflit armé plutôt qu’une action de maintien de l’ordre, et ne
tombe donc pas sous le coup de l’article II, par. 9, al. d). L’interdiction de l’emploi
d’armes chimiques «en aucune circonstance
que les conflits internationaux. Ce raisonnement suggère aussi que l’emploi d’agents de
lutte antiémeute dans des opérations contre une insurrection serait un moyen de guerre
prohibé par l’article premier, par. 5 de la Convention. La pratique étatique des forces
militaires en Irak à ce jour étaye cette interprétation, car ces forces n’ont pas employé
d’agents de lutte antiémeute ni de produits chimiques incapacitants dans leurs opérations
de lutte contre l’insurrection.
98. Ce seuil trace une ligne de démarcation99» englobe les conflits civils au même titre98
protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, Recueil des
traités des Nations Unies, Vol. 1125, p. 609.
Art. premier du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la99
Art. premier, par. 1 de la Convention sur les armes chimiques.D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e siècleMoscou, le maintien de l’ordre public et la Convention sur les armes
chimiques
L’analyse détaillée de la disposition de la Convention sur les armes chimiques touchant le
maintien de l’ordre public à laquelle nous venons de nous livrer est motivée par l’onde de
choc qu’a suscité, dans le débat sur les armes «non létales» et le droit international,
l’emploi du fentanyl pour mettre un terme à la crise des otages à Moscou. La plupart des
expert sont tombés d’accord pour considérer que l’emploi du fentanyl par la Russie
tombait bien sous le coup de l’article II, par. 9, al. d), mais il subsistait des incertitudes et
des inquiétudes quant au sens de cette disposition et quant à son application dans des
contextes autres que le scénario de Moscou, auxquelles il était urgent d’apporter une
réponse. L’interprétation de l’article II, par. 9, al. d) donnée ci-dessus répond à de
nombreuses questions soulevées sur cette disposition, ainsi qu’aux craintes selon
lesquelles les événements de Moscou auraient démontré, comme certains commentateurs
l’ont affirmé, l’existence d’«une grave lacune» qui rendrait la Convention sur les armes
chimiques vulnérable «aux progrès de la science et des techniques
disposition relative au maintien de l’ordre est complexe, mais l’analyse faite à la lumière
des événements de Moscou montrent qu’elle ne prive pas la Convention de son objet et
de sa raison d’être en cas de manipulations, bien ou mal intentionnées, des progrès de la
science et de la technique. Il est important, après les événements de Moscou, d’expliciter
cette disposition, mais comme nous le verrons dans la section suivante, l’impact de ces
faits sur le débat concernant les armes «non létales» et le droit international dépasse la
seule question de déterminer le sens de la disposition relative au maintien de l’ordre
public dans la Convention sur les armes chimiques.
100». Certes, laComprendre les événements de Moscou : les armes «non létales» et le
droit international, aujourd’hui et demain
Les armes «non létales» chimiques et biologiques et le droit international :
une ère nouvelle ?
Au-delà de l’impact exercé par la crise de Moscou sur l’interprétation de la Convention
sur les armes chimiques, on décèle un changement d’attitude parmi des responsables
influents aux États-Unis quant à la question de savoir s’il est bien judicieux de chercher à
développer des capacités de production d’armes «non létales» chimiques ou biologiques.
Ce changement est perceptible dans deux rapports produits par des groupes de travail sur
les armes non létales, rapports financés par un organe influent, le Council on Foreign
Relations (Conseil sur les relations étrangères, CFR), et publiés l’un avant, l’autre après
les événements de Moscou. En 1999, un groupe de travail débattant des capacités de
production d’armes chimiques et biologiques estimait que «la sécurité des États-Unis
pourrait, dans certaines circonstances, être renforcée par la modification d’un traité
101»,100
traduction].
«New weapon technologies and the loophole in the Convention», op. cit. (note 38), p. 2 [notre101
Independent Task Force 1999, op. cit. (note 35).D. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e sièclece qui laissait entendre que des personnalités influentes, aux États-Unis, envisageaient la
possibilité d’amender la Convention sur les armes chimiques ou à la Convention sur les
armes biologiques.
Un autre groupe de travail du CFR est cependant parvenu en 2004 à une conclusion
opposée. Ce groupe «a examiné les avantages ainsi que les problèmes qui découleraient,
soit d’une tentative de la part des États-Unis d’interpréter la Convention sur les armes
chimiques, ou d’une initiative des États-Unis pour amender la Convention ou la dénoncer
afin de pouvoir employer des produits chimiques comme armes •non létales’ contre des
combattants ennemis
suivante :
«Le groupe de travail considère que chercher à obtenir un amendement à la
Convention sur les armes chimiques, ou simplement affirmer le droit d’employer
les agents de lutte antiémeute comme méthode de guerre, risquerait de
compromettre la légitimité de toutes les armes non létales. Ceci ouvrirait la porte à
d’autres acteurs pour leur permettre de conduire ouvertement et légitimement des
activités de recherche-développement gouvernementales ciblées, susceptibles de
déboucher plus probablement sur des agents létaux perfectionnés que sur une
amélioration des capacités de production d’armes non létales. (...) Le groupe de
travail estime donc, tout bien considéré, que la manière la plus avisée de procéder
pour les États-Unis consiste à réaffirmer son appui à la Convention sur les armes
chimiques et à la Convention sur les armes biologiques, et d’être à la pointe des
efforts destinés à garantir le respect des traités par les autres pays
Le changement de cap constaté entre le rapport de 1999 et la conclusion du rapport
de 2004 dénote une prise de conscience croissante du fait qu’assouplir les exigences de la
Convention sur les armes chimiques ou de la Convention sur les armes biologiques dans
l’optique de favoriser le développement des armes «non létales» non seulement nuirait à
la sécurité nationale des États-Unis en incitant d’autres États à poursuivre des travaux de
recherche facilement exploitables à des fins létales, mais encore — pour citer les termes
du groupe de travail de 2004 — saperait la légitimité de toutes les armes «non létales».
Le groupe de travail de 2004 s’est exprimé en faveur du développement des armes non
létales
reviendrait à saper les progrès vers cet objectif. Ce groupe de travail souhaitait éviter la
politique délétère ainsi que les effets juridiques dus au «brouillard de fentanyl» dans le
cadre du mouvement général en faveur du développement des armes non létales.
Il y a aussi d’autres indications qui permettent de conclure que les perspectives et
l’enthousiasme concernant un développement plus énergique des capacités en matière
d’armes chimiques n’ont guère le vent en poupe. Le juriste David Koplow a affirmé que
l’idée d’amender la Convention sur les armes chimiques pour autoriser l’emploi militaire
d’armes chimiques «non létales» — qu’il s’agisse d’agents de lutte antiémeute ou de
produits chimiques incapacitants — était totalement utopique
Procureur général aux forces armées a admis que la Convention sur les armes chimiques
102». Cette analyse a conduit le groupe de travail à la conclusion103.»104, mais il a conclu que laisser ouvertes les options chimique ou biologique105. Un juriste auprès du102
Independent Task Force 2004, op. cit. (note 84), p. 31.103
Ibid., p. 32.104
Ibid., p. 1.105
armes «non létales» David Koplow lors de la Non-Lethal Defense Conference VI en mars 2005).
Davison et Lewer 2005, op. cit. (note 11), p. 26 (rapportant les commentaires du juriste expert enD. P. Fidler - Le sens des événements de Moscou : les armes « non létales » et le droit international à l'orée du
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e siècleinterdisait l’emploi à des fins militaires d’agents chimiques sédatifs, mettant en question
la licéité de tout intérêt militaire à l’égard d’armes incapacitantes de cette nature
Le changement de position des groupes de travail du CFR ne signifie certes pas que
l’intérêt ou les controverses à l’égard des armes «non létales» chimiques et biologiques
employées à des fins militaires se seraient évanouis. D’aucuns continuent à plaider pour
des armes «non létales» chimiques et biologiques qui exigeraient des modifications du
droit international
l’égard des produits chimiques incapacitants ne faiblit pas
l’OTAN mentionne les armes biologiques antimatériel comme une technologie
intéressante
armes biologiques
les armes biologiques antimatériel n’étaient pas autorisées par cette Convention
arguments sont avancés selon lesquels la Convention sur les armes chimiques ne régirait
pas les produits malodorants, ce qui signifierait que les forces armées seraient en droit de
les employer dans un conflit armé
de nouveaux produits chimiques incapacitants pourraient être qualifiés d’agents de lutte
antiémeute, pour couvrir les activités de recherche-développement sous prétexte de buts
de maintien de l’ordre
106.107. Qui plus est, selon certaines indications, l’intérêt des militaires à108. Ainsi, un rapport de109, malgré le fait que ces armes soient interdites par la Convention sur les110, et en dépit d’un rapport antérieur de l’OTAN qui avait conclu que111. Des112. Des appréhensions sont exprimées quant au fait que113. Des préoccupations croissantes se font jour, en outre,106
«il était probable que ces types de systèmes d’armement [sédatifs] étaient prohibés par la Convention
sur les armes chimiques» [notre traduction]).
Ibid. (rapportant l’avis d’un juriste des services du Procureur général aux forces armées, selon lequel