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CHAPITRE I

SECTION I : LA SOUVERAINETE : ELEMENT FONDAMENTAL DE L’ETAT

 

      Aucun Etat n’aurait de vie sur la scène internationale ainsi que sur la scène nationale en dehors de sa souveraineté. Elle est le principe vital de l’Etat. Mais la souveraineté inhérente à la nature de l’Etat est restée implicite à l’apparition de l’Etat moderne. Elle s’est affirmée avec succès entre le XVIIe et le XXe siècle par l’apparition de nouveaux Etats issus de l’éclatement des empires[1]. Le Congo-Brazzaville concerné par ce mouvement se voit souverain pour être ou rester en vie. On va donc élucider cette notion par son évolution historique  (§1) et sa consécration (§2).

 

§ 1 : BREF HISTORIQUE DE LA SOUVERAINETE AU CONGO

 

                   C’est par la France qu’on a connu la première théorie sur  la souveraineté[2] digne de ce nom dès le XVIe siècle. Cette élaboration s’inscrit dans la perspective d’une autonomie politique vis-à-vis de la papauté avec les slogans : le roi de France est empereur dans son royaume. Mais on ne saurait appréhender la souveraineté au Congo-Brazzaville sans pourtant une analyse rétrospective de la vie politique sur l’aire dénommée aujourd’hui  République du Congo.

A/ - La souveraineté dans la phase précoloniale

                  Il y a une déduction claire d’une analyse des théories abondantes sur l’apparition de l’Etat : c’est la souveraineté qui fonde l’Etat moderne[3]. En revanche, l’époque historique concernée est celle d’avant l’Etat moderne au Congo. Seule la religion est souveraine dans cette époque. En effet, celle-ci est dévolue au roi par transposition. Il est l’incarnation des dieux, le représentant légal des mânes. Le roi est souverain puisqu’il est sacré[4]. Il parle devant son peuple au nom de Mâ-Npungu[5] et des ancêtres. Le roi souverain détient un pouvoir qui n’a de contre poids que son cœur, le siège de l’Être Suprême et des mânes. C’est son cœur qui le pousse à demander conseil auprès du ministre du culte. Ainsi, il est souverain par le pouvoir qui lui est dévolu.

                  La souveraineté est, ici, synonyme de pouvoir. Dans cette perspective, elle peut être dévolue à un prince, à tout le peuple ou une partie de ce dernier[6]. Elle est unique et indivisible. Cela se ramène à l’idée que le souverain est celui sans l’assentiment duquel il n’est pas d’idée de droit valable dans la communauté[7]. C’est le roi qui est la source du droit et délègue à certains membres de la communauté l’exécution de ses décisions dans tout le royaume. Le roi détient un pouvoir absolu sans partage. Mais ce pouvoir était encadré par une coutume connue par les seuls initiés, les notables et les membres de la cour royale.

                  Nous sommes dans une situation identique à la conception théologique de plenitudo potestatis attachée au pouvoir spirituel[8]. La souveraineté est un élément non négligeable, s’il faudrait la considérer sous l’aspect intérieur par lequel se révèle la puissance pour que certains hommes soient sous l’autorité d’un homme ou d’un petit groupe. En effet, la relation de subordination entre les hommes constitue la source principale de la cohérence sociale et le fait générateur de l’Etat moderne. Par ses différentes manifestations, la forme d’organisation des sociétés a subi des mutations au cours de l’histoire. S’il faudrait la considérer cette fois-ci sous un aspect extérieur, on en déduira que la puissance doit exister pour que se forme un Etat[9].

                  Cette époque est jusqu’alors ignorée par les juristes[10]. Ce sont les historiens et les sociologues[11], voire les littéraires et les scènes de la vie courante qui se sont intéressés aux enjeux politiques de la phase précoloniale congolaise. On est même tenté d’affirmer que les différents royaumes dominant le territoire hérité par le Congo ainsi que la venue de deux explorateurs d’obédience différente[12] constituent une cause qui génère un comportement divergeant quant à la manière de concevoir le pouvoir. Mais aussi une source du comportement affiché par les populations au cours de la pénétration coloniale.

                                                                                                                                  L’organisation du pouvoir est fondée sur une subsidiarité entre le roi et ses représentants au niveau de différentes communautés constitutives du royaume. En effet, chaque communauté est sous l’autorité d’un chef apparenté[13] au roi. Celle-ci n’est que le résultat des chefs de famille à la recherche d’une localité propice pour l’émancipation de leur vie par l’appropriation des terres sans chef[14], les terres sous l’autorité du roi mais n’ont point été reconnues comme propriété privée. L’appartenance des terres au roi justifie le tribut que tout membre des communautés devait s’acquitter annuellement par des présents de toutes natures auprès du roi, le souverain et garant de la sécurité des personnes. La nature de ces présents diffère en fonction de l’activité individuelle[15]. Le point de repère demeure le calendrier agricole. Ainsi, le foyer devra donner, par exemple pendant la récolte d’arachide, une petite partie de sa production au chef de la communauté et cela en forme de chaîne jusqu’au roi. Mais cette situation a changé pendant la colonisation.

B/ - La souveraineté dans la période coloniale         

         La pénétration coloniale s’est faite pacifiquement avant que la violence ne naisse pour réprimer les résistants à l’autorité coloniale. Le royaume se trouva à la fin du XVIIIe siècle dans une zone convoitée par les puissances européennes et les Etats-Unis d’Amérique pour un intérêt commercial. Cette région récemment découverte permit, grâce au fleuve Congo, une prolifération des rapports commerciaux entre le Nord du continent[16] et la région de Zambèze. Tous les comptoirs commerciaux de cette zone finirent progressivement par être la propriété de l’Association internationale du Congo. Cette dernière est devenue un Etat dont la reconnaissance ne fit pas l’unanimité entre les super-grands de l’époque. Déjà, elle fut reconnue souveraine en 1883 par l’Allemagne et les Etats-Unis d’Amérique, par un vote au Congrès, reconnurent sa souveraineté en avril 1884[17]. Cette zone fut à l’origine de deux conférences internationales[18]: celle de Bruxelles de 1876 et celle de Berlin de 1885.

      Le roi est resté fidèle à la paix et comprit vite la faiblesse de son armée qui n’avait pas l’arme à feu, objet de discorde parmi les siens : certains la convoitent et d’autres non car ils en connaissent les méfaits. Cette attitude est approuvée par ses propos et comportement tenus devant De Brazza. Il lui envoya un émissaire dès qu’il fut entré pour la deuxième fois par l’Ogooué dans ses eaux territoriales. Son émissaire conduit cet explorateur devant le roi qui dit : je te reçois dans la paix et la tranquillité car ces terres sont des terres de paix[19]. Par la suite, il va conclure des traités[20] avec son hôte.

         Au fur et à mesure que s’affirmait l’autorité du colon grâce à un abandon de Mâ-Koko[21] à l’égard d’un hôte qui n’avait pas la même culture que lui et qui n’était pas par essence censé vivre avec lui, nous voyions émerger une dyarchie dans le royaume. Sur ce modèle, l’exploration débouchait sur un grand espace qui échappait au contrôle de la souveraineté royale. L’explorateur incorporait les territoires d’autres royaumes[22] dans son domaine d’action. Cela affaiblissait l’autorité du roi qui est remplacée par celle du colon, le vrai souverain. Ils entretenaient par conséquent des rapports non pas horizontaux comme au départ mais plutôt verticaux.

      Les différents accords procurent un droit de propriété à De Brazza sur certaines terres. Par un « malentendu », le pavillon français est devenu le symbole du royaume pour le protéger contre tout ennemi. Tous les chefs de communautés reçurent l’information et durent se conformer à cette nouvelle mesure concernant l’installation du drapeau de la France de temps à autres dans leur cour, un vrai symbole de paix. Dans cette perspective, la souveraineté de la France prit le dessus sur celle du roi. Son chef de l’Etat est l’homme habilité à créer le droit[23].  Cette situation a mis successivement fin à l’ordre ancien et il en découle des conséquences[24] pour le Congo-Brazzaville ainsi que les autres colonies françaises.

      La puissance de nouveaux arrivants est l’objet de contemplation et un don des dieux. Toute autorité dans le royaume est concurrencée par des commis de l’explorateur. Il est le symbole d’une nouvelle organisation de la société royale.  Cette dichotomie prit une autre forme avant même l’accession à l’indépendance. C’est à un intérêt purement touristique que se situent les Mâ-Koko et Mâ-Loango aujourd’hui. Le nouveau souverain, c’est le chef du gouvernement, élu au suffrage universel, avant le transfert au Congo-Brazzaville de l’institution du président de la République par la métropole.

         Mais la conception de la souveraineté nationale reste une fiction dans cet Etat ;  la souveraineté est une illusion. La forme dichotomique concerne aujourd’hui les gouvernants et les gouvernés. A chaque catégorie, il y a une dichotomie entre les privilégiés et les non privilégiés ou entre le détenteur de la puissance et l’individu qui en est titulaire.

          La « statogenèse[25] » de la République du Congo à l’image de celle des autres Etats issus des territoires de l’Afrique équatoriale de l’empire français s’est faite par l’absorption du modèle français[26] à quelques exceptions près. Le Congo-Brazzaville reproduit la conception française de la souveraineté. Tout dirigeant fait référence à la souveraineté dans les discours internes ou non. Un discours associant souvent ce terme à celui de « l’indépendance ». D’ailleurs, la doctrine[27] parle d’une synonymie entre les deux mots.



[1] Il s’agit notamment de l’empire romain ou prussien et ceux formés grâce à la colonisation ainsi que l’Empire russe (URSS).

[2] Cf. BODIN J., La République (IV livres), Fayard, 1986 ; v. aussi  BEAUD O., La puissance de l’Etat, PUF, 1994, p 65.

[3]  Cf. LAGROYE J., Sociologie politique, presses de la FNSP et Dalloz, 1993, p 72.

[4]  V. sur la sacralité du pouvoir en Afrique KAMTO M., Pouvoir et droit en Afrique noire, LGDJ, 1987.

[5] Dieu Créateur dans la civilisation Kongo.

[6] BODIN J., La République II, Fayard, 1986, p 7.

[7] BURDEAU G. cité par CHALTIEL F., op.cit., p 24.

[8] PORTALIS J., op.cit., on déduit de son analyse sur la pensée de KANT qu’il considère la souveraineté comme sacré ou divin, dont le repère n’est que la maxime paulinienne de « toute autorité vient de Dieu », pp 25 et s.

[9] BURDEAU G., Traité de science politique, t II, LGDJ, 1980, p 104.

[10] Il s’agit des juristes congolais. En revanche, d’autres juristes y font référence implicitement ou explicitement dans leurs travaux tel est le cas de KAMTO M. dans l’ouvrage cité, pp 411 et ss. et L. SINDJOUN, L’Etat ailleurs, Economica, 2002 : l’Etat ailleurs étudie l’Etat du Cameroun dont les caractéristiques de formation et l’organisation sont identiques à celles du Congo, deux Etats héritiers de la colonisation.

[11] Les Cahiers d’anthropologie de l’université Marien Ngouabi (Brazzaville) et les œuvres de MALONGA J., MBEMBA S., OBEGA T., ELIKIA MBOKOLO, etc.

[12] De Brazza P-S., agent de la France, et Stanley, agent du roi Léopold II.

[13] Un lien d’apparenté fondé sur la langue et non sur la famille sauf au sens élargi.

[14] Les premiers occupant les terres en sont les propriétaires à perpétuité et indiquent les nouveaux venus les terres non appropriées jusqu’alors.

[15] Chaque personne imposable apporte son dû en vertu de sa profession par exemple la tête du gibier ou le gibier pour le chasseur…

[16] Il s’agit de la région du Tchad ou de l’Afrique de l’ouest et non le nord de l’Afrique.

[17] Sur cette question, voir F. ALEXIS-M.G., Le Congo français illustré, 2 éd. H. Dessain, Paris, 1892, disponible sur www.gallica.bnf.fr (23 décembre 2006).

[18] Convoquées pour résoudre les questions d’abus de position pour éviter les conflits armés entre puissances à la recherche des débouchés : d’où la balkanisation de la région. V. GOUREVITCH J-P., La France en Afrique, Le Pré aux Clercs, 2004.

 

[19] Phrase corrigée par l’auteur et citée par F. ALEXIS-M.G., op.cit., p 66.

[20] Les traités de septembre et octobre 1880 par lesquels, respectivement,  ce royaume Téké devenait un protectorat de la France  et le roi concédait des terres à De Brazza.

[21] Appellation honorifique du roi chez les Tékés.

[22] C’est le cas du royaume Loango situé sur la côte de l’Atlantique devenu territoire de la France par le traité du 12 mars 1883 entre De Brazza P-S.et le Mâ-Loango (roi des Loango).

[23] Le Sénatus-consulte du 03 mai 1854 habilite le chef de l’Etat français à légiférer sur les colonies.

[24] Pour en connaître davantage, v. NIKIEMA A, L’Evolution du régime politique de la Haute-Volta depuis l’indépendance, Thèse de droit, Poitiers 1979, p 19 ; 23 et s.

[25] Genèse de l’Etat, terme emprunté à L. SINDJOUN, L’Etat ailleurs, Economica, 2002, p 25.

[26] Cf. BRETON J-M., « Portée et limites de la réception des modèles exogènes : réflexions sur la socialisation du système juridique dans l’expérience marxiste congolaise (1963-1991)», in <st1:personname w:st="on" productid="Ȼ殘ȹ

 
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